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14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 22:25

25-09.jpgLa poursuite inutile de l'Opération Menace par les Britanniques, les 24 et 25 septembre

 

Même si Churchill montre des doutes de la possibilité des anglo-gaullistes à s’emparer de Dakar, il tient à intensifier l’attaque en espérant que les Français finissent par céder. Pour De Gaulle, qui pourtant montrait tant d’optimisme quelques jours auparavant, il n’y avait presque aucune chance de prendre la place forte. Il a avait contribué à faire affronter des français entre eux, et les résultats s’avérèrent désastreux. Sans doute voulait-il ne pas aggraver la situation. Par conséquent, les troupes gaullistes se placent en retrait et laissent désormais les Britanniques mener l’Opération Menace. Churchill évoque brièvement cette matinée du 24 septembre 1940 : « La visibilité était meilleure que la veille, mais restait encore mauvaise. Les batteries de côte ouvrirent le feu sur nos navires quand ceux-ci se rapprochèrent. Le Barham et le Résolution engagèrent le Richelieu à 12 500 mètres. Peu après, le Devonshire et l’Australia tirèrent sur un croiseur et sur un contre-torpilleur, endommageant ce dernier. Le bombardement se termina vers 10 heures. A ce moment, le Richelieu avait reçu un projectile de 380 mm, le fort Manuel avait également été touché et un croiseur léger était en feu. En outre, un sous-marin qui avait essayé d’empêcher notre approche fut contraint de remonter à la surface par une grenade et son équipage se rendit. Aucun de nos navires ne fut touché. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185). Encore une fois, le Premier ministre britannique est peu précis, et surtout n’évoque que les faits qui lui plait. En effet, dès 5 heures du matin, les troupes fidèles au maréchal Pétain se déploie afin de résister à l’orage qui s’annonce. Ainsi, le sous-marin Bévéziers sort de son bassin et appareille afin de prendre position à 10 milles dans le sud de Gorée. Environ quinze minutes plus tard, le contre torpilleur Fantasque, qui était indisponible depuis le 21 suite à une avarie, ainsi que le torpilleur Hardi, sortent du port et rallient l'escadre de l'amiral Lacroix. Et à 5h40, l’Ajax s’enfonce dans la mer. Puis deux avions Loire 130 décollent afin surveiller la côte et détecter les mouvements britanniques. Mais l’un est pris en chasse par un swordfish qui le crible de balles. Néanmoins, les deux avions parviennent tout de même à regagner Dakar. Puis vers 7 heures, plusieurs monoplans de type SKUA tentent d'attaquer le cuirassé Richelieu, mais ils sont accueillis par les tirs de DCA. Une heure plus tard, à 8 heures, le sous-marin Ajax repère les deux cuirassés Barham et Résolution, ainsi que trois torpilleurs. Il tente d’attaquer l’ennemi mais est immédiatement détecté. Il est alors pris en chasse par les torpilleurs. Il reçoit trois grenades du Fortune, provoquant de graves dégâts et l’empêchant de combattre ou de se mouvoir. Le commandant du sous-marin donne l’ordre de le remonter à la surface, puis ordonne l’évacuation. Le Fortune repère la proie en difficulté et récupère les soldats à son bord. Puis l’Ajax coule aux alentours de 10h15.

Entre temps, six avions swordfishs tentent à nouveau d'attaquer le Richelieu vers 9 h 10, accompagnés de bombes de 250 livres. Cependant, leurs bombes n’atteignent que des canalisations à mazout, et ils doivent faire face à de nombreux tirs de DCA. Dans la foulée, des chasseurs rejoignent l’ennemi et abattent quatre swordfishs. Ils capturent cinq aviateurs britanniques. Puis les Britanniques bombardent la batterie côtière du cap Manuel mais ne font que très peu de dégâts. Ensuite aux alentours de 9h30, c’est au tour des cuirassés Barham et Resolution d’ouvrir le feu sur le Richelieu et le cap Manuel, à une distance d’entre 12 500 à 14 000 mètres. En face, les Français tentent de dissimuler ces points par un rideau de fumée produit par le torpilleur Hardi. Quelques minutes plus tard, le Richelieu réplique mais l’une de ses tourelles tombe en avarie juste après. Alors les batteries côtières et les croiseurs prennent le relais et envoient des salves en direction des croiseurs ennemis. Puis une deuxième tourelle du Richelieu tombe également en avarie. Un quart d'heure plus tard, le torpilleur Hardi est placé sous l’autorité du commandant Marzin par l'amiral Lacroix, puis reçoit l’ordre de protéger le Richelieu en difficulté par des émissions de fumée, en cas de nouvelle offensive de cuirassés britanniques. Vers 10h50, le Barham et le Resolution s’attaquent alors aux croiseurs et aux contres-torpilleurs qui évoluent à l'intérieur du filet par-torpille. Les Britanniques les encadrent plusieurs fois et les neutralisent avec difficulté puisque les navires français se révèlent plus maniables et leurs moteurs plus puissants. Mais vers midi, les deux tourelles endommagées du Richelieu sont réparées, donc à nouveaux en état de fonctionner. Au même moment, l’équipage du cuirassé aperçoit un point noir sur l'eau, précisément à tribord arrière. Il s’agit d’un avion britannique qui fut abattu plus tôt par la DCA du Richelieu. Le commandant Marzin ordonne alors au torpilleur Hardi d'aller récupérer les rescapés, même s’ils sont ennemis. Une demi-heure après, le Hardi parvient à destination et récupère un aviateur anglais blessé. Mais il tente aussitôt de rejoindre l’entrée du port puisqu’il a remarqué que deux cuirassés et deux torpilleurs britanniques le poursuivaient. Une fois avertie, le Richelieu, le Georges Leygues et le Montcalm envoient des salves afin d’éloigner les poursuivants. Puis à 13 heures, l’amiral Lacroix donne l’ordre de faire de la fumée afin de masquer les navires en rade. Ainsi, les Britanniques tirent à l’aveugle et n'atteignent aucun de leur objectif. Seul le port est légèrement touché avec le Portos et le cargo suédois Tacoma. Vers 13h30, les Britanniques arrêtent l’offensive et disparaissent. Ils n’ont toujours pas fait céder les Français.

 

Une nouvelle attaque a lieu dans l’après-midi. Churchill s’y étale très peu : « Le bombardement reprit dans l’après-midi pendant un temps assez court. Cette fois, le Barham fut touché à quatre reprises, mais ne subit pas de graves dommages. Le bombardement ne donna aucun résultat concluant et indiqua seulement que les défenses étaient puissantes et que la garnison était résolue à résister. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185-186). En reprenant les évènements, nous pouvons supposer pourquoi il n'en parle quasiment pas. En effet, à 15h30, huit swordfish de l'Ark Royal tente de s’approcher de Dakar. Cependant, ils sont accueillis par des tirs de DCA en provenance des croiseurs Georges Leygues et Montcalm. Puis d’autres vaisseaux envoyèrent une salve : Le Fantasque, le Malin, le Hardi, l'Air France IV, la Gazelle et le Commandant Rivière. Les avions anglais sont complètement désorganisés à cause de ces tirs de DCA. Deux d’entre eux sont abattus, et quatre lâchent rapidement leurs torpilles et loupent complètement leurs cibles. Malgré tout, deux swordfish parviennent à envoyer plusieurs munitions, loupant de très peu le Georges Leygues et le Montcalm. En fin d’après-midi, le pont du Résolution reçoit des éclats d'obus, puis le Barham est atteint à quatre reprises sans que les dégâts ne soient importants. Côté Français, le Malin est victime d’une fuite de l’une des chaudières à cause des chocs subis lors des bombardements, mais elle a été rapidement réparée. Egalement, plusieurs canons du Richelieu sont endommagés, malgré quelques réparations. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le grand cuirassé avait quitté Brest en pleine débâcle française, en juin 1940, alors que la totalité de son artillerie n’a pas été installée. Mais encore une fois, les Britanniques sont repoussés par les défenses françaises. Malgré tout, craignant une offensive surprise par l’intermédiaire des vedettes, les avisos patrouillent dans la soirée tout le long des filets. Egalement, la Gazelle et la Surprise recherchent des mines magnétiques aux alentours de l’île de Gorée, mais ils ne retrouvent que quelques torpilles n’ayant pas explosé.

Toujours durant cette soirée du 24 septembre, Charles de Gaulle se rend sur le Barham afin de rencontrer l'amiral Cunningham et le général Irwin. Ce que ne dira pas le Premier ministre anglais (volontairement ?) dans son mémoire, c’est que les trois officiers conclurent que les troupes anglo-gaullistes ne pouvaient pas prendre Dakar et décidèrent d’arrêter le bombardement de la ville, mais Churchill continua à s’obstiner et envoie un message à la flotte anglaise en leur ordonnant de poursuivre le combat. Alors une nouvelle offensive est prévue le lendemain, c’est-à-dire le 25 septembre.

 

Richelieu-3.jpgEst-ce que la situation va changer le 25 septembre ? Voyons ce que dit Churchill au cours de la matinée de ce jour : « L’action recommença le 25 septembre. Le temps était clair et notre flotte ouvrit le feu à 19 000 mètres. La riposte vint non seulement des batteries de côte au tir fort précis, mais aussi des salves doubles de 380 mm du Richelieu. Notre objectif se trouva alors masqué par un rideau de fumée tendu par le commandant de Dakar. Un peu après 9 heures, le cuirassé Résolution fut atteint par une torpille d’un sous-marin de Vichy. A la suite de cet incident, l’amiral décida de se retirer vers le large « étant données la situation du Résolution, la menace permanente des sous-marins, ainsi que la grande précision et la résolution des défenses côtières. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 186). Le Premier ministre britannique reconnaît que la continuation de la bataille fut un échec. Il est vrai que la visibilité s’était nettement améliorée. A 4 heures du matin, les différents navires commencent déjà à appareiller, et des avions de reconnaissance des deux camps sont envoyés. Puis vers 5h30, six avions Curtiss décollent et abattent, environ une heure plus tard, un Swordfish de l'Ark Royal avec l’aide des DCA des navires. Suite à ce petit événement, les autres avions britanniques regagnent leur porte-avion. L’aviation française possédait la maîtrise du ciel et l’ennemi ne parvint pas à l’ébranler. Elle refoula plusieurs avions d’observation et abattent le Warlus qui avait été catapulté de l’Australia. Mais aux alentours de 7h40, le poste d'observation du château d'eau du cap Manuel signale l'arrivée de plusieurs navires anglais. En effet, à 8h25 arrivent à 34 000 mètres ces derniers. Parmi eux, le Barham doit attaquer le Richelieu, l'Australia doit détruire les croiseurs Montcalm et Georges Leygues, le Resolution doit neutraliser la batterie de l'île de Gorée et le Devonshire celle du cap Manuel. Alors à partir de 8h30, le Fantasque, la Surprise, le Hardi et le Malin tendent des rideaux de fumée, et un canot à moteur mouille quelques fumigènes à l'Est de la jetée, où se trouve le Richelieu, afin de parfaire cet écran de fumée. Pendant ce temps, le gouverneur général Boisson donne l'ordre de ménager les munitions, car le Richelieu ne possédait plus que 24 charges de poudre pour les tourelles de 380. A exactement 9h04, la tourelle I du Richelieu ouvre le feu sur les cuirassés britanniques situées 22 000 mètres. Alors le Barham répond par une salve de quatre coups, mais il manque sa cible. Au même moment, le Resolution est touché par plusieurs torpilles du sous-marin Bévéziers, qui était placé en embuscade au Sud de Gorée, et ne peut pas répliquer. Puis le Bévéziers rejoint l’île de Gorée, tandis que le Foresight le bombarde à coup de grenades, mais sans causer de dégâts importants. Ensuite, des tirs sont échangés des deux côtés. Le Georges Leygues et le Montcalm sont encadrés à plusieurs reprises, mais le Richelieu encadre le Barham en parallèle. A 9h15, le Richelieu est atteint par un obus de 380 mm, mais les dégâts ne sont pas importants et il n’y a aucune victime. Puis à 9h20, l'avion de réglage de tir britannique est abattu par un Curtiss.

Le bilan de cette matinée est catastrophique pour les Britanniques. L'aviation française maîtrise le ciel, le Resolution est hors de combat, l'Australia est touché par deux fois par des obus de 152 mm, mais qui ne provoquent aucune gravité. Cette résistance inattendue des français et la peur de perdre des navires incita l'amiral Cunningham à retirer ses hommes. De Gaulle écrit dans ses mémoires : "L’amiral Cunningham décida d’arrêter les frais. Je ne pouvais que m’en accommoder. Nous mîmes le cap sur Freetown". De plus, les fidèles du maréchal Pétain sont beaucoup mieux organisés. En effet, ils se sont préparés à répondre à une attaque aérienne, au cas où les Britanniques décident d’insister. En face, l’Ark Royal fait décoller des Swordfish pour couvrir la retraite en cas de riposte provenant de Dakar. Les Français envoient trois bombardiers Glenn Martin 167F, mais une seule bombe de 200 kg est larguée sur les navires anglais et tombe à 50 m du croiseur Faulknor. Les autres bombes sont délestées en mer à cause d'un mauvais fonctionnement. Certaines d'entre elles tombent même entre le Georges Leygues et le Montcalm, provoquant une alerte aérienne. Churchill évoque la suite de cette matinée : « Entre temps, le Comité de Défense qui s’était réuni à 10 heures, sans moi, avait émis l’avis qu’aucune pression ne devait être exercée sur les chefs locaux pour les amener à agir contre leur jugement. Le cabinet se réunit à 11h30 et c’est au cours de la réunion que nous parvinrent les messages annonçant les résultats des opérations de la matinée. A la lecture de ces renseignements, il parut clair que l’affaire avait été poussée aussi loin que le permettaient la prudence et nos ressources. Plusieurs beaux navires avaient été gravement avariés. Il était évident que Dakar serait défendu jusqu’à la mort. Personne ne pouvait assurer que les passions féroces que déclencherait un combat prolongé ne provoqueraient pas une déclaration de guerre de la part de Vichy. Aussi, après une pénible discussion, décidâmes-nous à l’unanimité de ne pas pousser l’affaire plus avant. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 186). Du côté des Français, la « tempête » se calme à partir de 10 heures, et l’amiral Lacroix donne l’ordre de cesser d’émettre la fumée. Puis, des avions de reconnaissances sont envoyés pour confirmer la retraite des Britanniques vers Freetown. Enfin, différentes chaînes de radios annoncent la décision du gouvernement britannique de renoncer à poursuivre les opérations contre Dakar. A exactement 13h27, Churchill envoie le message suivant aux chefs de l'opération, dont voici un extrait : "Vu tous les renseignements en notre possession, y compris celui annonçant l'avarie du Resolution, nous avons décidé que l'opération contre Dakar devait être abandonnée, en dépit des conséquences facheuses auxquelles il faut évidemment s'attendre. A moins qu'il ne se soit produit quelque chose que nous ignorons et qui vous fasse désirer de tenter un débarquement en force, il vous faut arrêter immédiatement toute action. Faites-nous connaître par télégramme "Très Urgent" si vous êtes d'accord, mais, à moins que la situation ne se soit complètement retournée en notre faveur, vous ne devez pas commencer à débarquer tant que vous n'aurez pas reçu de réponse de notre part." (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 186-187). Puis c'est au président des Etats-Unis qu'il s'adresse, afin de lui tenir au courant le bilan de l'Opération Menace : "Je regrette beaucoup que nous soyons obligés d'abandonner l'entreprise de Dakar. Vichy y est arrivé avant nous et a réorganisé la défense avec des partisans et des spécialistes d'artillerie. Tous les éléments amis ont été arrêtés ou neutralisés. Plusieurs de nos navires ont été touchés. Persister à vouloir débarquer en force nous eût imposé des obligations dont nous n'avons nul besoin, quand on pense à tout ce que nous avons déjà sur les bras." (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 187).

 

L'opération Menace est un échec complet et largement évitable, engendrant la mort de 203 français pour 393 blessés. D’un côté, nous avons eu un Churchill qui émettait des doutes quant à la réussite de la prise de Dakar. Cependant, une fois l’Opération Menace déclenchée, il souhaitait à tout pris qu’elle se déroule jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à la prise de la ville, et cela contre l’avis des généraux et officiers britanniques stationnés sur place. De l’autre côté, l’autoproclamé chef de la France Libre Charles de Gaulle se montrait confiant quant aux chances de succès, sans prendre en compte l’arrivée des renforts français à Dakar quelques semaines avant le début des hostilités. Néanmoins, il a rapidement compris, dès le premier jour de l’offensive, que la place forte s’avérait imprenable. Malgré tout, le mal était fait. Celui qui a tant souhaité s’installer à Dakar pour accroître son influence au détriment de Pétain a déclenché un conflit franco-français inutile. Il a été prêt à briser l’unité de l’Empire français afin de contribuer à ses intérêts qu’il assimilait à ceux de la France (ne s’est-il pas exclamé « Je suis la France ! » devant Churchill ?), alors que le gouvernement français était à l’époque en situation de neutralité dans la guerre. Nous pouvons alors nous poser une question. En effet, nous savons qu’une collaboration franco-allemande était inévitable, même si de Gaulle n’avait pas attaqué Dakar, notamment dans les domaines économiques et sociales (diminution de l’endettement, libération des prisonniers de guerre, …). Mais nous pouvons nous demander si la collaboration militaire envisagée entre Pétain et Hitler en octobre 1940, à l’occasion de l’entrevue de Montoire, était la conséquence directe de l’offensive anglo-gaulliste sur Dakar ? Mais auparavant, que pensait Pétain envers de Gaulle ?

 

Petain.jpgLes pensées de Pétain vis-à-vis de De Gaulle

 

Si on se réfère à de Gaulle et à Churchill, cet affrontement a eut peu de conséquences. Voici ce que disait ce dernier : « Bien que le combat de Dakar eût été beaucoup plus sérieux qu’on ne s’y attendait, nous n’avions pas tort de penser que le gouvernement de Vichy ne déclarerait pas la guerre à l’Angleterre. Il se contenta d’exercer des représailles par air sur Gibraltar en partant de l’Afrique du Nord. Les 24 et 25 septembre, des raids successifs furent effectués au-dessus du port et des chantiers ; 150 bombes furent lancés au cours du premier raid et environ deux fois autant au cours du second auquel participèrent une centaine d’avions. Les aviateurs français ne parurent pas avoir montré beaucoup de zèle dans leur mission et la plupart des bombes tombèrent dans la mer. Il y eut quelques dégâts, mais personne ne fut touché. Nos batteries de DCA abattirent trois appareils. Le combat de Dakar s’étant terminé par un succès pour Vichy, on se tint tacitement pour « quitte » dans chaque camp. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 188).

Pourtant, la Bataille de Dakar aura un impact très important en métropole. En effet, dès le lendemain de l’événement, la presse française annonce "l’ex-général de Gaulle fait tirer sur Dakar". De Gaulle est accusé à juste titre d’empêcher des rapports de bon voisinage entre ceux qui continuent la guerre et ceux qui l’ont cessée, à une période où l’Etat Français voulait rester neutre dans la guerre. Par ailleurs,  au cours d’une conversation, le général allemand von Stülpnagel indique au général français Huntziger que si les anglo-gaullistes auraient pris Dakar et entraîné dans leur camp l'A.O.F, alors l’Allemagne aurait rompu l'armistice et aurait envahi immédiatement de la zone Sud métropolitaine afin d’attaquer l'Afrique du Nord (Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement, La Table Ronde, 1948, p. 399). Finalement, la victoire des pétainistes va s'avérer aussi bénéfique à la France qu'à la cause des Alliés. Si de Gaulle avait réussi son coup, alors il aurait été responsable de l’invasion allemande en métropole et en Afrique du Nord, et toutes les conséquences qui vont avec. Quant à Pétain, il est furieux à l’encontre de De Gaulle, non pas parce qu’il s’opposait à l’armistice de Rethondes, mais par ses actions qui ont entraîné un conflits entre Français. En effet, si les deux hommes s’opposaient, le Maréchal ne semblait pas éprouver pas une grande haine contre le réfugié d’Angleterre. Si Pétain avait condamné à mort par contumace de Gaulle, il avouera lui-même qu’il n’avait jamais voulu faire appliquer cette condamnation et qu’il s’agissait d’un jugement de principe. Voici la rédaction d’une note datant de début août 1944 :

« Le jugement du général de Gaulle s’est imposé :

1° par une nécessité de discipline militaire ;

2° comme valeur d’exemple afin d’arrêter un mouvement d’exode d’officiers français vers l’étranger.

3° Il est évident que ce jugement par contumace ne peut-être de principe. Il n’a jamais été dans ma pensée de lui donner une suite.

4° Je suis prêt, au contraire, à m’associer aux actes qui faciliteront le retour de l’ordre en France et l’union des cœurs entre tous les Français. » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 593). Cette note était épinglée au dossier de condamnation à mort de Charles de Gaulle.

En réalité, il ne reproche pas à de Gaulle de s’opposer à lui, mais d’avoir monter les Français entre eux et de rompre l’unité de la France. En effet, il faut savoir qu’il existe au dossier de la Haute Cour un document écrit de la main du Maréchal dont on ignore s’il a exprimé sa véritable pensée ou ce qui lui paraissait, sous la pression allemande, le plus conforme aux intérêts des français. En effet, même s’il manque quelques morceaux, nous pouvons en recopier un extrait :

« Les nouvelles qui m’arrivent de l’extérieur signalent un mal qui se répand dans nos possessions d’outre-mer et agit sur les foules comme un poison subtil qui tend à leur faire perdre le sens du réel et à les détourner de leurs devoirs envers la mère patrie. Ce mal s’appelle gaullisme du nom de l’ex-général français de Gaulle.

[Ce général a abandonné la France au lendemain de l’armistice pour prendre du service en Angleterre]

Dès que la France vaincue fut obligée de déposer les armes et de demander un armistice à l’Allemagne, de Gaulle, n’acceptant pas la défaite, résolut de reprendre à son compte la guerre contre l’Allemagne. Il quitta donc la France et se retira en Angleterre où il appela auprès de lui tous les Français qui, comme lui, n’acceptaient pas les conditions de l’armistice. On aurait pu croire que cette armée composée de Français et destinée à chasser nos ennemis hors du territoire français s’emploierait uniquement à cette tâche.

Il n’en fut rien. De Gaulle n’en veut qu’aux Français et ne se bat que contre les Français.

Je veux bien croire que le but poursuivi par de Gaulle n’était pas tout à fait tel que je viens de le définir. Mais quand il a compris que la France refusait de se donner à lui [référence à Dakar], qu’il était manifeste qu’il s’était trompé, que son orgueil l’avait conduit dans une fâcheuse impasse, il eût dû, au moins, ne pas persévérer dans une tentative qui devenait criminelle.

Il ne s’est pas borné à maintenir son attitude, il a attiré à lui de jeunes Français qu’il a abusé en leur faisant croire que leur moyen de sauver la France était de reprendre la guerre.

Sans connaître exactement le plan gaulliste, on peut penser que le premier acte aurait consisté à s’emparer de l’Afrique du Nord, à y organiser une armée moitié française, moitié indigène, capable de défendre l’Afrique du Nord. A une telle tentative, les Allemands aurait certainement répondu par l’occupation de la France entière [nous savons que c’est une réalité puisque le général von Stülpnagel l’a déclaré au général Huntziger].

De Gaulle s’était engagé à ne pas porter les armes contre des Français.

Voyons, comment il a tenu parole ! » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 596).

A la suite de ce même texte, Pétain énumère quelques actions gaullistes contre les Français, et la première évoquée est bien sûr l’offensive sur Dakar. Pour lui, de Gaulle avait nuit aux intérêts de la France au nom de ses intérêts personnels, au point de faire attaquer les Français les uns contre les autres. Qu’on le veuille ou non, en prenant pour exemple la Bataille de Dakar, c’est un fait incontestable. De Gaulle n’a jamais cherché à éviter un conflit entre habitants de l’Empire Français, alors qu’il aurait pu le faire, mais il lui aurait été impossible de se légitimer et donc de se montrer comme l'nuique sauveur de la nation. Alors il est indiscutable que Pétain ait changé de comportement après et à cause de l’Opération Menace, car il lui fallait défendre le territoire qui menaçait de sombrer dans la guerre civile déclenchée par le général français et soutenu par Churchill.

 

petain-copie-1.jpgDe Gaulle et Churchill, responsables de l’Entrevue de Montoire ?

 

Dès début octobre 1940, Pétain entend faire la paix avec tous ses voisins, aussi bien Britanniques que Allemands. En effet, voici ce qu’il déclare à la radio le 11 de ce mois : "Indépendante du revers de ses armes, la tâche que la France doit accomplir l'est aussi, et à plus forte raison, des succès et des revers d'autres nations qui ont été, dans l'histoire, ses amies ou ses ennemies. Le régime nouveau, s'il entend être national, doit se libérer de ces amitiés ou de ces inimitiés, dites traditionnelles, qui n'ont, en fait, cessé de se modifier à travers l'histoire pour le plus grand profit des émetteurs d'emprunts et des trafiquants d'armes. Le régime nouveau défendra, tout d'abord, l'unité nationale, c'est-à-dire l'étroite union de la Métropole et de la France d'outre-mer. Il maintiendra les héritages de sa culture grecque et latine et leur rayonnement dans le monde. Il remettra en honneur le véritable nationalisme, celui qui, renonçant à se concentrer sur lui-même, se dépasse pour atteindre la collaboration internationale. Cette collaboration, la France est prête à la rechercher dans tous les domaines avec tous ses voisins. Elle sait d'ailleurs que, qu'elle que soit la carte politique de l'Europe et du monde le problème des rapports franco-allemands, si criminellement traité dans le passé, continuera de déterminer son avenir. Sans doute, l'Allemagne peut-elle, au lendemain de sa victoire sur nos armes, choisir entre une paix traditionnelle d'oppression, et une paix toute nouvelle de collaboration."

Comme nous l’avons déjà dit, le Maréchal considérait que des accords avec l’Allemagne étaient indispensables pour diverses raisons, telles que l’allégement des dettes ou la libération de prisonniers qui étaient au nombre 1,5 millions au moment de l’armistice. Cependant, le dirigeant de la France sait très bien qu’une attaque anglo-gaulliste peut se reproduire de nouveau. Ils avaient échoué à Dakar, alors ils allaient sans doute recommencer à forcer la barrière. Défendre l’Empire Français contre les agresseurs était donc nécessaire, même s’il souhaitait en même temps faire la paix avec tous les pays, quel que soit le camp. Alors le 24 octobre 1940, Pétain rencontre Hitler à Montoire, dans le Loir et Cher. Pourquoi ? Le procès verbal de la conversation du 24 octobre 1940, signé par Paul Schmidt et paru en 1961, évoque l’entretien entre Pétain et Hitler. Peu d’historiens l’ont mentionné, à part François Delpha dans son Montoire (Albin Michel, 1996, p. 438-444), mais qui a un esprit totalement partisan et anti-Pétain, ainsi que Marc Ferro dans son Pétain (Hachette, 2009, p. 188-193), qui est plus objectif sans l’être à 100%. Voici un résumé que j’ai déjà accompli dans un autre article (http://realite-histoire.over-blog.com/article-22506257.html) :

Tout d'abord, Pétain s'est dit heureux de rencontrer Hitler, même si l'atmosphère était tendue. Le Maréchal lui rappelle qu'à la place du gouvernement français, il n'aurait jamais déclaré la guerre à l'Allemagne tant leur supériorité militaire était évidente en 1939. Alors qu'il était ambassadeur en Espagne, il avait en vain demandé à deux reprises pour reprendre ses fonctions au sein du Conseil supérieur de la guerre. Il n'a l'accord de revenir qu'en mai 1940, c'est-à-dire en pleine débacle, à un moment ou tout était perdu. Puis Pétain annonce le souhait de renforcer la défense de ses colonies d'Afrique face à l'Angleterre et les gaullistes. Selon Paul Schmidt, l'ancienne alliée de la France "s'était incroyablement mal comportée envers elle". En effet, alors que l'Etat Français avait évité l'occupation totale de la métropole par l'Allemagne, le royaume de Grande-Bretagne le poignarde dans le dos. Quant à De Gaulle, il avait trahi sa patrie en déclenchant une guerre franco-française à Dakar le 23 septembre 1940, chose stupide et qui avait un impact négatif pour la cohésion de l'armée française et la préservation de l'Empire. Le Führer explique qu'il n'avait pas désiré cette guerre contre la France, mais qu'il était normal qu'elle en paye les frais. Ensuite, il indique qu'il luttera jusqu'à l'anéantissement de l'Angleterre et parle des opérations aériennes en Grande Bretagne. Pour Hitler, c'est cet Etat qui devait payer la plus grande part dans la guerre. Cependant, le futur traité ne devra pas être un traité d'oppression car cela risque d'empêcher l'établissement de rapports harmonieux entre les peuples. Il fallait, il est vrai, répartir les responsabilités et encourager ceux qui voulaient prendre un nouvel essor dans de meilleures conditions. D'après Pétain, le chef du Reich prévoyait un encerclement de l'Angleterre sur toutes les mers et par tous les pays voisins limitrophes. Si la France s'alliait à ce projet, c'est-à-dire le seul pays voisin de la Grande-Bretagne à ne pas être entièrement sous domination allemande, alors l'Angleterre ne pourra pas survivre longtemps. Cependant, les limites de la coopération ne pouvaient être connues immédiatement. Pétain accepta les principes d'une collaboration, mais lui préférait s'attarder sur les possibilités militaires en Afrique où l'Angleterre était l'assaillant. Sa volonté est visible, il souhaitait avant-tout sauvegarder l'Empire français contre tout intrus. De plus, si le Maréchal déclare directement la guerre contre l'Angleterre, il devrait faire appel au gouvernement, ce qu'il n'avait guère envie de faire. On peut donc prévoir une coopération, mais il faut agir avec prudence. Ensuite, le chef de la France exprima son admiration sur l'armement du Reich, et reconnu qu'il n'avait jamais connu de personne qui soit parvenu à des résultats gigantesques. A la fin de cet entretien, Philippe Pétain se déclara prêt à prendre en considération le principe d'une coopération avec Adolf Hitler et exprime sa satisfaction.

Malgré tout, Marc Ferro indique clairement une distinction entre Laval et Pétain qui n'abordaient pas la discussion de la même manière. En effet, Pierre Laval évoquait déjà son souhait d'une défaite anglaise, et remercie Hitler en déclarant accepter avec gratitude le principe de la collaboration qu'il propose. Au contraire, Pétain demeure froid comme à son habitude, avec un certain retrait. Par ailleurs, un nouveau malentendu émerge. Le Führer avait demandé que la France aide le Reich à acquérir des positions en Afrique. Mais d'après le Maréchal, la France a déjà ses positions à défendre et accepter cette collaboration doit engendrer une contrepartie. Toujours d'après Ferro, Pétain "considère qu'en assurant l'Allemagne qu'il défendra l'Empire français, il fait le maximum pour l'Allemagne." (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 191). Les résultats souhaités se sont pas satisfaisants pour les Allemands et le projet évoqué ne sera jamais appliqué. En effet, après la guerre, le diplomate allemand von Renthe-Finck dira que Montoire  "constitue la plus grande défaite de la politique allemande vis-à-vis de la France. Nous n'y avons rien obtenu [...] si il n'y avait pas eu Montoire, il n'y aurait probablement pas eu de débarquement allié en Afrique du Nord." Le docteur Schmidt, qui est aussi traducteur d'Adolf Hitler et auteur de Ma figuration auprès de Hitler, conclut la relation de l'entrevue dans ses mémoires par ces mots chargés de sens : "Je suis enclin à considérer le vainqueur de Verdun comme celui qui l'a emporté diplomatiquement dans le duel de Montoire." (Paul Schmidt, Ma figuration auprès de Hitler, Editions Plon, 1950). Lors de l'entrevue de Montoire, Hitler était prêt à céder en échange d'un engagement de la France contre l'Angleterre, mais Pétain se montrait prudent et souhaitait s'engager avec modération. Yves Bouthillier, le ministre des finances de l'époque, le confirme au Conseil des ministres le 26 octobre : "Entrevue sans grande portée. Hitler a parlé tout le temps. Il a fait étalage de moyens militaires avec lesquels aucune force du monde n'est capable de se mesurer. Le Maréchal a accepté le principe d'une collaboration, c'est à dire un pacte de cohabitation entre la puissance occupée et la puissance occupante. Il n'a pris aucun engagement. Son espoir était que sa rencontre avec le maître du Reich et l'assurance qu'il lui avait donnée d'un respect loyal de la convention d'armistice rendrait plus efficace désormais les efforts des ministres militaires de réarmer la France, des ministres civils pour la faire vivre, et les siens pour le retour des prisonniers." (Yves Bouthillier, Le drame de Vichy, Tome I : Face à l'ennemi, face à l'allié, p. 198).

Cependant, la coopération militaire envisagée n’est sans doute pas le seul sujet évoqué par les deux chefs d’Etats. Selon Paul Schmidt, Pétain souhaitait s'entretenir sur cinq points : les prisonniers, les frais d’occupation, les départements du nord, l’Alsace et la ligne de démarcation. Nous ignorons si ces points ont été évoqués, mais nous savons que le Maréchal n'a jamais parlé de l'Alsace lors de cet entretien puisqu'il l'avoua lors d'une conversation à du Moulin de Labarthète. D'ailleurs, le Chef d'Etat ajouta qu'aucun accord immédiat a été pris (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 192-193). Et dans une lettre envoyée au général Weygand, que j’ai repris dans la première partie concernant un double jeu de Pétain, ce dernier indique également « J’ai pu leur affirmer, car c’est la vérité, qu’il n’avait été question que d’une collaboration de principe. Aucune modalité n’avait été envisagée. Je me suis d’ailleurs borné, dans cette entrevue, à réclamer l’amélioration du sort des prisonniers, du ravitaillement, des communications entre les deux zones et la suppression de la ligne de démarcation, etc. ». Puis il ajoute que « Je ferai en sorte qu’elle ne pose pas sur les considérations d’ordre économique, ou sur la défense de notre empire africain, en écartant toute idée d’agression contre l’Angleterre. Je suis bien résolu à ne m’associer, pour cette tâche, ni aux Italiens et ni aux Allemands. » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 576-577, et Maxime Weygand, Mémoires, Tome III, appendice X). Autrement dit, une coopération militaire est envisagée, même elle n’est aucunement souhaitée par le Maréchal. Que plusieurs personnes indiquent ces points secondaires de l’entretien (tels le sort des prisonniers, la ligne de démarcation ou le ravitaillement), même s’ils ne figurent pas dans le procès verbal de la conversation du 24 octobre 1940, cela ne peut être le fruit du hasard. Chacun ne regardait pas ce qu’écrivait l’autre pour copier la même chose.

 

Il y a néanmoins une volonté de coopération militaire du Maréchal qui voulait protéger l’Empire français des anglo-gaullistes, même si cela ne lui plaisait guère. Alors Churchill et de Gaulle sont-ils responsables de l’entrevue de Montoire dont le principal motif pour Pétain était la défense de l’Empire Français ? Une instruction datée du 12 novembre 1940 et numéroté 18, va nous donner la réponse. Elle indique clairement que Pétain avait demandé une aide militaire à Hitler pour reconquérir les terres perdues en Afrique contre l'Angleterre et les gaullistes, et décrit l'objectif du Führer : "Le but de ma politique à l'égard de la France est de coopérer avec ce pays de la manière la plus efficace pour la conduite future de la guerre contre l'Angleterre. [...] La France aura provisoirement à jouer le rôle d'une puissance d'une non belligérante qui devra accepter dans le domaine de sa souveraineté, et en particulier dans ses colonies africaines, les mesures prises par l'Allemagne pour la conduite des opérations et à les appuyer dans la mesure nécessaire par l'emploi de ses propres moyens de défense. La tâche primordiale des Français est d'assurer défensivement et offensivement la protection de leurs possessions africaines (A.E.F et A.O.F) contre l'Angleterre et le mouvement De Gaulle. A partir de cette tâche la participation de la France à la guerre pourra se développer pleinement." (document repris par Marc Ferro dans Pétain, Hachette, 2009, p. 193). La réponse ne fait aucun doute. Qu’on le veuille ou non, par leurs actions contre l’Empire français, de Gaulle et Churchill sont indiscutablement responsable de l’entrevue de Montoire. Mais à la différence des gaullistes qui étaient prêts à tout pour légitimer leur chef, nous savons grâce à diverses sources que les Britanniques recontacteront le Maréchal, ce qui aboutira aux Accords Halifax-Chevalier puis aux Accords Pétain-Churchill, en décembre 1940. Je peux citer quelques exemples de données :

- la lettre de Pétain à destination de Weygand, dans laquelle il expliquait les tractations entre lui, les Britanniques et les Américains : « Vous avez très bien fait de ne pas répondre aux lettres de Winston Churchill et de Lord Halifax et de vous borner à leur accuser réception.

Moi aussi, j’ai été l’objet de questions nombreuses de la part de Winston Churchill et de Lord Halifax, curieux de connaître l’objet de mes conversations avec Hitler. J’ai pu leur affirmer, car c’est la vérité, qu’il n’avait été question que d’une collaboration de principe. Aucune modalité n’avait été envisagée.

[…]

L’amiral Platon est porteur de tous les renseignements susceptibles de vous intéresser. Pour que les Anglais osent vous demander de vous associer à l’œuvre de de Gaulle, il faut qu’ils soient bien bas dans leurs affaires, ou bien peu intelligents.

[…]

Le professeur Rougier m’a été annoncé, mais je ne l’ai pas encore reçu. On le considère, ici, comme un agent anglais. Vous faites bien d’affirmer que personne ne doit être autorisé à utiliser nos bases aériennes et navales.

[…]

La situation de notre Pays nécessite de maintenir un équilibre prudent entre la collaboration avec l’Allemagne (inévitable sur le plan économique) et les invites anglaises et américaines.

C’est une obligation que je ne perdrai pas de vue. » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 576-577, et Maxime Weygand, Mémoires, Tome III, appendice X).

- les nombreux écris de l’intellectuel Louis Rougier (Louis Rougier, Les accords Pétain-Churchill, Editions Beauchemin, Montréal, 1945, ou Editions du Cheval ailé, 1948, ainsi que Les secrets d'accord franco-britannique de l'automne 1940 : histoire et imposture, Grasset, Paris, 1954),

- un résumé du général Héring au moment du procès pour "trahison" du général Dentz en avril 1945 (http://www.generalhering.org/index.php/La-defense-du-General-DENTZ/Accords-PETAIN-CHURCHILL.html).

 

 

En conclusion, nous pouvons affirmer que la Bataille de Dakar remportée par la France avait eu des conséquences politiques beaucoup plus importantes qu'un Churchill ou qu'un de Gaulle le prétendait. Concernant l'attaque en elle-même, nous avons observé que la préparation de l'Opération Menace a été difficile et compromise déjà avant son lancement, en raison de problèmes de coordinations et de communications, puis également à cause de l’arrivée de renforts à la place stratégique de Dakar prouvant un manque de maîtrise du territoire. Alors que Churchill et le Cabinet de guerre britannique envisageaient d’annuler l’offensive, de Gaulle et plusieurs officiers britanniques tenaient à tout prix qu’elle eut lieu. L'homme de l'appel du 18 juin n’a pas hésité à engendrer un conflit entre français au nom d’intérêts personnels, car il souhaitait accroître son influence en Afrique et tenter de se légitimer davantage, mais il pensait qu’il serait accueillit pacifiquement et non pas par les armes. Dès la première journée de l’offensive qui fut marquée par le conflit franco-français, les anglo-gaullistes se révélèrent incapables de percer la ligne défensive face aux soldats fidèles au maréchal Pétain. De Gaulle qui tenait tant à prendre Dakar l’avait rapidement compris et souhaitait que ses troupes rebroussent chemin, mais le mal était fait. Cependant, Churchill exigeait que l’attaque s’intensifie, et cela même contre l’avis de plusieurs de ses officiers. Au final, la Bataille de Dakar se solda pour les anglo-gaullistes par une lourde défaite. De plus, elle était non seulement évitable, mais elle fut également inutile. En revanche, elle eut des répercussions non négligeables. En effet, l'agression des britanniques et des gaullistes avait notamment engendré l'entrevue de Montoire entre le maréchal Pétain et le Führer Adolf Hitler. Si on se réfère au procès verbal de la conversation du 24 octobre 1940, l'entretien concernait avant-tout la possibilité d'une coopération militaire, même s'il ne s'agissait pas du seul sujet. Ce projet, qui n'a finalement jamais vu le jour, a été envisagé après l'Opération Menace alors qu'il n'a jamais été évoqué avant cet évènement. Pour le chef de l'Etat Français, il était indispensable de protéger l'Empire national et principalement l’Afrique contre toute nouvelle agression anglo-gaulliste, quitte a obtenir un accord militaire avec l'Allemagne. Les sources démontrent que Pétain n'agissait pas par plaisir mais parce qu'il pensait agir pour la défense des intérêts de la France en souhaitant maintenir son unité, tandis que De Gaulle était perçu comme un homme voulant au contraire la division des français. Cette coopération militaire lui semblait donc une nécessité, mais tout en exprimant la volonté de faire la paix avec tous ses voisins, dont la Grande-Bretagne, comme le prouve l'existence des Accords Pétain-Churchill. Enfin, il faut noter que les soldats gaullistes interviendront souvent contre les forces françaises fidèles au maréchal Pétain (par exemple à Dakar en septembre 1940, ou au Liban et en Syrie en juin et juillet 1941), alors que d’autres troupes françaises comme l’Armée d’Afrique du Nord du général Juin se sont concentrées davantage sur les forces de l’Axe. De ce constat, on peut clairement se demander si l’objectif de de Gaulle était seulement de libérer la France et son Empire, ou aussi de se faire passer comme le principal sauveur de la nation tout en faisant croire que Pétain s’était pleinement rangé du côté de l’ennemi. Sur ce point, il a parfaitement réussi son coup.

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commentaires

B
Je possède la déclaration du Général de Gaulle datée du 23 septembre 1940, un tract authentifié par <br /> L.MIRO expert honoraire de l'époque, auprès du TGI de la Seine et de la cour d'appel de Paris :<br /> DAKAR EST MENACE, tract signé DE GAULLE, RRR<br /> Document vendu aux enchères quelques années plus tard et acheté par un diplomate français.
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D
Il y a quatre tracs différents largués par de Gaulle le 23 septembre : celui bien connu et souvent publié (Dakar est menacé par l'ennemi et par la famine... Il faut ravitailler Dakar !...) et trois autres, spécifiques, qui s'adressent aux soldats, aux marins et aux civils. Pourquoi n'en est-il jamais fait mention ?
H
This is indeed a very interesting piece of history. It was indeed clear that the results proved to be disastrous but he wanted not to aggravate the situation. Hence the Gaullist troops had been put back. Thanks a lot for the read.
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M
<br /> Je détiens par transmission paternelle, 1 copie sténographiée du discours de Dakar du Général Weygand ,le 29 octobre 1940, reprenant les raisons des échecs successifs de Juin à Septembre 1940, et<br /> son adhésion au Maréchal Pétain.<br /> <br /> <br /> Je suis dans l'impossibilité d'en donner la traçabilité<br /> <br /> <br />  Je pense que le devoir de mémoire fait partie de vos préoccupations.<br /> <br /> <br /> Dans l'affirmative veuillez reprendre contact à mon adresse Mail<br /> <br /> <br /> Meilleures Salutations<br /> <br /> <br /> A.M.<br />
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D
Volontiers. J'habite Gorée et ne suis en France que pendant l'été. Si vous souhaitez que l'on corresponde directement,faites-le sur mon adresse indiquée ci-dessus. Cordialement.
V
Bonjour monsieur Descamps,<br /> <br /> Serait-il possible de me prévenir si vous publiez ce document sur Internet ? Je pourrai mentionner cette source dans l'un de mes articles si vous le souhaitez.<br /> <br /> Cordialement,<br /> Valentin Saint-Arnoult
D
Je détiens le même document dactylographié, sans en connaître la provenance, et ai l'intention de le publier. Cyr Descamps

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