Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 juillet 2014 2 22 /07 /juillet /2014 19:13

Pour ceux qui veulent connaître tous les articles parus sur le blog, voici un récapitulatif :

Antiquité


-> Héron d'Alexandrie : un savant visionnaire
-> Néron a t'il brûlé Rome ?

-> Quand Jésus est-il né ?
-> Les mystères du peuple étrusque
-> Homère a t-il réellement existé ?
-> Le taoïsme et le confucianisme, deux religions ou deux philosophies ?

-> Depuis quand sait-on que la Terre est sphérique et tourne autour du Soleil ? Partie 1 : Les recherches antiques

-> Depuis quand sait-on que la Terre est sphérique et tourne autour du Soleil ? Partie 2 : Une décadence scientifique

 

Moyen-Age et Ancien Régime

-> Une femme est-elle montée sur le trône pontifical ?
-> Malleus Maleficarum : le manuel de la chasse aux sorcières
-> Quelle civilisation eurasiatique a découverte l'Amérique ?

-> Le 14 juillet, victime d'une erreur historique ?

Contemporaine

 

-> Pétain faisait-il double jeu à Vichy ? Partie 1 : Les premières traces d'une résistance
-> Pétain faisait-il double jeu à Vichy ? Partie 2 : Une position diplomatique complexe

-> Pétain faisait-il double jeu à Vichy ? Partie 3 : Le Maréchal face à l'Opération Torch

-> Pétain faisait-il double jeu à Vichy ? Partie 4 : Préserver la France dans la guerre

-> La loi Crémieux et le début du racisme contemporain en France

-> Pétain et l'antisémitisme, Partie 1 : Etait-il d'idéologie antisémite (1940-41)
-> Pétain et l'antisémitisme, Partie 2 : La mise en place de la collaboration d'Etats (1941-42)
-> Pétain et l'antisémitisme, Partie 3 : Entre résistance et collaboration (1942)

-> Qui a voulu assassiner l'amiral Darlan ?
-> Pétain et l'antisémitisme, Partie 4 : Le coup d'Etat de Laval (novembre 1942)
-> Pétain et l'antisémitisme, Partie 5 : Son attitude face au collaborationnisme (1943-44)
-> La perception des Alliés sur les juifs durant la Seconde Guerre Mondiale
-> Les nazis étaient-ils sous l'influence de sociétés secrêtes ?
-> Le 10 juillet 1940 : Ceux qui votèrent Pétain
-> La débâcle de mai-juin 1940 aurait-elle pu être évitée (1) ?
-> La débâcle de mai-juin 1940 aurait-elle pu être évitée (2) ?
-> La Constitution oubliée du maréchal Pétain : prélude des républiques françaises de l'Après Guerre (1)
-> La Constitution oubliée du maréchal Pétain : prélude des républiques françaises de l'Après Guerre (2)

-> Le 23 septembre 1940 : le début d'une guerre franco-française (1)

-> Le 23 septembre 1940 : le début d'une guerre franco-française (2)

-> A propos de l'appel du 18 juin 1940 prononcé par de Gaulle

-> A propos de l'armistice de Rethondes du 22 juin 1940

-> Un supposé document original du statut des juifs accablerait le maréchal Pétain

 

Divers

-> Différence entre l'histoire mythique et l'histoire réaliste

 

Partager cet article
Repost0
10 février 2014 1 10 /02 /février /2014 21:46

220px-Hipparchos_1.jpgUn essoufflement des recherches

 

Au deuxième siècle avant notre, la sphéricité et la position de la Terre étaient encore étudiées, mais le nombre de savants se penchant sur le sujet s‘avérait moins élevé. Deux astronomes sont à retenir concernant cette période : Hipparque de Nicée et Séleucos de Séleucie.

D'Hipparque de Nicée, nous ne possédons pas de date précise à propos de son existence. Il serait né vers -190 et serait décédé vers -120. Quoi qu’il en soit, nous sommes certain qu’il vécut au cours du IIème siècle avant notre ère. Il réalisa la plupart de ses travaux à Rhodes mais peu de sources de lui nous sont parvenues, si ce n’est les données évoquées par Strabon dans sa Géographie (I et II), par Ptolémée dans son Almageste et par Pappus d’Alexandrie dans Collection mathématique, c‘est-à-dire plusieurs siècles après sa vie. Il fut sans aucun doute l’un des plus grands astronomes de l’Antiquité. En effet, il calcula avec précision la distance séparant la Terre à la Lune, organisa un grand catalogue étoiles (qui n’est malheureusement pas parvenu jusqu‘à nous), découvrit la précession des équinoxes (c’est-à-dire le lent changement de direction de l'axe de rotation de la Terre), ou encore étudia le mouvement des astres et des éclipses. Pour effectuer des calculs, il développa des méthodes trigonométriques (étude mathématique des relations entre distances et angles dans les triangle et des fonctions telles que le sinus, le cosinus et la tangente) et avait construisit les premières tables trigonométriques sous la forme de tables de cordes. Egalement, on lui attribue d'ailleurs l'invention de l'astrolabe, instrument qui facilita l'observation. Concernant notre sujet, Hipparque rejoignit l’avis de la plupart de ses prédécesseurs, c’est-à-dire qu’il ne remet pas en cause la sphéricité de la Terre, mais il aussi croyait en un système géocentrique de l’Univers (Jean-Baptiste-Philippe Marcoz, Astronomie solaire d'Hipparque soumise à une critique rigoureuse et ensuite rendue à sa vérité primordiale, Editions De Bure Frères, 1828).

A l’époque d’Hipparque de Nicée, un astronome défendait la théorie héliocentrique d’Aristarque de Samos, l’un des rares de l’Antiquité : le chaldéen hellénisé Séleucos de Séleucie (Bertrand Russell, History of Western Philosophy, Routledge Classic, 2004 [réédition],‎ p. 215). On ne connaît pas d'autre ancien astronome qui défendit Aristarque, mais Plutarque et le pyrrhoniste Sextus Empiricus ont évoqué des "partisans d'Aristarque" dans leurs écrits, mais qui nous sont inconnus. Né dans la petite ville de Séleucie à proximité de Babylone, on ne sait pas grand chose sur sa vie, même pas sa date de naissance et de mort. En revanche, on connaît ses réalisations en matière d’astronomie grâce à différents auteurs tels que Plutarque et Strabon. Quels sont les moyens utilisés par Séleucos pour défendre les théories d’Aristarque ? Le premier argument en faveur de l’hypothèse héliocentrique était en relation avec le phénomène des marées (Lucio Russo, Flussi e riflussi, Feltrinelli, Milano, 2003, ISBN 88-07-10349-4). Il expliqua que les marées étaient engendrées par les mouvements de la Lune, et observa une différence entre les deux marées quotidiennes en mer d'Arabie (Strabon, Géographie, III, 5, 9). Il ajouta que les marées survenaient à des moments différents selon le lieu et variaient en intensité, un point sur lequel Hipparque était d’accord (Strabon, Géographie, I, 1, 9). Selon l’algébriste Bartel Leendert van der Waerden (1903-1996), Séleucos aurait démontré la théorie héliocentrique en déterminant les constantes d'un modèle géométrique, tout en développant des méthodes pour calculer des positions planétaires selon ce modèle, et cela 1 600 ans avant Nicolas Copernic (Bartel Leendert van der Waerden, "The Heliocentric System in Greek, Persian and Hindu Astronomy", Annals of the New York Academy of Sciences , 1987, 500 (1), 525–545 [527-529]). Par conséquent, le natif de Séleucie aurait utilisé la trigonométrie pour parvenir à un tel résultat, méthode de calcul promu par Hipparque de Nicée.

Il est à noté que Hipparque et Séleucos connaissaient leurs travaux respectifs puisqu’ils s’accordèrent et s’opposèrent sur différents points. Quoi qu’il en soit, on est à une période où on parvient à obtenir un certain nombre de résultats à l’aide de calculs développés et précis, avec des méthodes élaborées. Les progrès en matière d’astronomie étaient continus au fil des siècles. Cependant, on assiste à une régression du nombre des découvertes, sans doute à cause d‘un manque de moyens technologiques, mais aussi probablement à cause d‘un désintérêt croissant des intellectuels pour les observations.

 

L’un des rares que nous pouvons mentionner pour le Ier siècle avant notre ère est Sosigène d’Alexandrie. Nous ne savons quasiment rien de lui, si ce n’est qu’il a établi un calendrier officiel sur l’ordre de Jules César en -46, connu aujourd’hui sous le nom de calendrier julien. Ce calendrier possède une précision quasiment conforme à la rotation annuelle de la Terre autour du Soleil (365,242190 jours), soit 365,25 jours.

Par la suite, un géographe va illustrer non seulement un déclin des recherches, mais aussi l’apparition d’erreurs et la persistance de celles d’il y a quelques siècles. Je veux parler de Marinos (ou Marinus) de Tyr, un romain d’origine phénicienne ayant vécu entre la fin du Ier siècle et le début du IIème siècle. Il tenta de calculer la circonférence terrestre et accepta les valeurs erronées de Posidonios d’Apamée (30 000 km) au lieu de celles d’Eratosthène de Cyrène (40 000 km). De plus, il estima que les terres habitées, de l’Espagne jusqu’à la Chine, s’étalaient sur 225° au lieu de 130° en réalité. Par conséquent, les travaux de Marinos fournirent des terres trop grandes sur un globe trop petit.

Le dernier grand astronome grec de l’Antiquité est connu puisqu’il rassembla huit siècles d’observation. Claude Ptolémée naquit vers 100 à Ptolémaïs de Thébaïde (Haute Egypte) et décéda vers 170 à Canope. On sait qu’il passa une partie de sa vie à Alexandrie. Ptolémée fabriqua divers instruments d'astronomie, tel l'astrolabe qui porte son nom, des globes célestes et divers documents cartographiques de la Terre. Il effectua des observations astronomiques à Alexandrie, où il semble s'être fixé entre 127 et 141. Egalement, il reprend, poursuit et complète les travaux de ses prédécesseurs. Son œuvre majeure est sa Syntaxe mathématique en treize livres, qui nous est parvenue dans sa traduction arabe « l'Almageste ». Elle renferme les connaissances astronomiques et la description des instruments grecs d'observation du ciel, ainsi qu'un traité complet de trigonométrie plane et sphérique. Ptolémée y donne d’ailleurs un calcul précis selon un système de numération hérité des Babyloniens. De plus, il explique tous les phénomènes résultants de la sphéricité de la Terre, donne une interprétation des mouvements du Soleil, de la Lune et des planètes, et réalise un catalogue abondant d’étoiles dont une liste de 48 constellations. Le mathématicien et astronome s'appuie notamment sur les travaux d'Hipparque de Nicée, réalisés trois siècles auparavant, afin de fabriquer un globe céleste. En parallèle, il va rejeter la théorie héliocentrique d'Aristarque selon laquelle la Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil, Ptolémée replaçant de la Terre au centre immobile des révolutions de l'Univers. On y trouve présenté le célèbre système géocentrique aristotélicien qui fera autorité jusqu'à la Renaissance, avec la Terre trônant immobile au centre de l'Univers et autour de laquelle se déplacent la Lune, le Soleil et les planètes. Très lointaine, la huitième sphère à laquelle sont accrochées les étoiles marque pour lui la limite de l'Univers. Concernant l’éloignement et le rapprochement périodique des planètes, il pense à l’existence de deux systèmes alternatifs : celui des excentriques (trajectoires circulaires dont le centre, bien que proche de la Terre, ne coïncide pas avec celle-ci) et celui des déférents et des épicycles (la trajectoire d’une planète est la résultante de son mouvement circulaire uniforme autour d'un centre qui, lui-même, se déplace autour de la Terre selon un mouvement circulaire uniforme). De cette manière, Ptolémée justifie les anomalies observées. L'autre ouvrage très célèbre de Ptolémée est sa Géographie, dans laquelle il avait effectué les listes de coordonnées terrestres disponibles à son époque et avait cartographié le monde habité avec une grande précision. Cet ouvrage fit également autorité jusqu'à la Renaissance. Parmi ses autres livres, figurent la Tétrabible (Tetrabiblion) qui est un traité d'astrologie dans lequel il expose l'influence exercée par les astres sur la Terre mais en s'efforçant d'aborder l'astrologie avec un esprit scientifique, les Harmoniques dans lequel il décrit  le concept de l'harmonie des sphères célestes (comme les pythagoriciens, Ptolémée voit dans le mouvement des planètes une harmonie musicale), et Optique dans lequel il avait dressé des tables de la réfraction, meilleures que celles d'Hipparque, et qui s’avéra utile pour la correction des observations astronomiques.

Beaucoup de ses théories étaient fausses, certes, mais elles donnaient des réponses rationnelles selon les moyens techniques de l’époque. Malheureusement, les théories d’Aristarque et de Séleucos furent progressivement oubliés, au profit des erreurs d’Aristote et de Claude Ptolémée. Cet exposé, synthèse de toutes les connaissances astronomiques de l‘Antiquité, ne sera remis en question qu'au XVIe siècle par le système de Copernic.

 

L'implication des chrétiens dans les débats

 

Avec le christianisme, les choses se compliquent quelque peu. Dans un premier temps, la majorité des religieux acceptèrent sans difficulté les données de l'astronomie antique. Cependant, quelques-uns adoptèrent des positions littérales à la lecture de la Bible. Le plus connu d’entre eux est l'apologiste chrétien Lactance (vers 250 ; vers 325). Huit siècles après Aristote, cet Africain soutint dans ses Institutions divines que la Terre est plate, arguant notamment "qu'il est insensé de croire qu'il existe des lieux où les choses puissent être suspendues de bas en haut". Cependant, hormis Lactance qui ne conçoit qu’une Terre plate, peu remettent en cause la sphéricité de notre planète bleue avant le Vème siècle. Cette connaissance est maintenue grâce aux traductions latines du Timée de Platon par le philosophe néo-platonicien Calcidius. Nous ne connaissons quasiment tien de ce dernier, si ce n'est cette réalisation et qu'il vécu au IVème siècle. En réalité, c’est le conséquent commentaire qui accompagnait la traduction de ce dernier qui se révéla important, car Calcidius y résuma les connaissances astronomiques du Ier siècle en reprenant la plus grande partie du chapitre « Astronomie » de l'Exposition des connaissances mathématiques utiles à la lecture de Platon écrite par Théon de Smyrne (maître d'école platonicien qui aurait vécu entre 70 et 135). Les travaux de Calcidius récapitulent des connaissances d'Hipparque ou encore d'Héraclide, et seront repris au Moyen-Age. Son livre fut publié à plusieurs reprises, dont en 1617 par Johannes Meursius à Leyde, et a donc traversé le temps. La sphéricité de la Terre ne fut donc pas oubliée au Moyen Age, mais il faut rappeler que seuls les religieux et les nobles savaient lire, et par conséquent très peu de personnes connaissaient cette théorie. Le peuple ne se basait seulement sur ce qu'on leur disait, c'est-à-dire les écritures saintes qui expliquaient que la Terre était plate. Mais en parallèle, le néo-platonicien Calcidius n'a pas mentionné les travaux d'Aristarque et de Seleucos qui pensaient que la Terre tournait autour du Soleil. L'hypothèse héliocentrique sombra dans l'oublie durant plusieurs siècles au profit de la géocentrique conforme à l'interprétation de la Bible.

 

A la fin de l'Antiquité, plusieurs auteurs confirment la sphéricité de la Terre et y compris des auteurs chrétiens. Nous pouvons prendre pour exemple Jérôme de Stridon (347 ; 420), appelé aussi saint Jérôme et auteur d'un Commentaire de l'Epître aux Ephésiens, qui allait jusqu'à critiquer ceux qui nient le modèle sphérique de notre planète. Un autre saint, Augustin d'Hippone (354 ; 430) expliquait qu'il n'y avait même pas de débat à avoir sur la forme de la Terre, écrivant dans La Cité de Dieu que c'est la « vertu divine qui est la cause de la rondeur de la terre et du soleil » (Augustin d'Hippone, La Cité de Dieu, Livre XII, chapitre XXV). Il préférait se poser la question de savoir s'il y a des habitants dans « la partie qui est sous nos pieds », mais tout en concluant qu'il « y a trop d’absurdité à dire que des hommes aient traversé une si vaste étendue de mer pour aller peupler cette autre partie du monde » (Augustin d'Hippone, La Cité de Dieu, Livre XVI, chapitre IX). Quasiment à la même période, l'auteur latin Flavius Macrobius Ambrosius surnommé couramment Macrobe (vers 370 ; vers 440) avait la même interrogation qu'Augustin. Dans son Commentaire sur le songe de Scipion, il a émit l'hypothèse d'antipodes peuplées et a même exposé une théorie de cinq zones climatiques : « Quant à la zone tempérée australe, située entre KL et EF, la raison seule nous dit qu'elle doit être aussi le séjour des humains, comme placée sous des latitudes semblables. Mais nous ne savons et ne pourrons jamais savoir quelle est cette espèce d'hommes, parce que la zone torride est un intermédiaire qui empêche que nous puissions communiquer avec eux » (Macrobe, Commentaire sur le Songe de Scipion, Livre II, chapitre V). De surcroît, non seulement il affirma que la Terre est sphérique, mais en plus il a fourni une explication rationnelle sur le déroulement des jours et des nuits : « Le premier de ces deux cercles est ainsi nommé, parce qu'il nous indique le milieu du jour quand nous avons le soleil à notre zénith ; or, la sphéricité de la terre s'opposant à ce que tous ses habitants aient le même zénith, il s'ensuit qu'ils ne peuvent avoir le même méridien, et que le nombre de ces cercles est infini. Il en est de même de l'horizon, dont nous changeons en changeant de place; ce cercle sépare la sphère céleste en deux moitiés, dont l'une est au-dessus de notre tête » (Macrobe, Commentaire sur le Songe de Scipion, Livre I, chapitre XV).

Durant le Moyen Age, le philosophe romain et très chrétien Anicius Manlius Severinus Boethius (470 ; 524), surnommé Boèce, évoquait la « masse arrondie de la Terre » dans sa Consolation de la philosophie (Livre II, chapitre XIII). Le moine Bède le Vénérable (672 ; 735), qui a lu des passages d'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, affirma également que la Terre était ronde, à la fois dans Sur la nature des choses et dans Sur le décompte du temps. Ces quelques exemples prouvent que bon nombre d'intellectuels chrétiens ne remettaient pas en cause la sphéricité de Terre, ou du moins sa rotondité. Le savoir grec antique n'est d'ailleurs pas oublié, nous pouvons citer le savant Gerbert d'Aurillac (946-1003), également pape sous le nom de Sylvestre II entre 999 et 1003, qui évoquait les idées d'Eratosthène dans le chapitre XCIII de sa Géométrie. De plus, ces chrétiens avaient tendance à penser que la science et la religion n'étaient pas des domaines contradictoires. Néanmoins, concernant la place de la Terre de l'espace, l'héliocentrisme est complètement oublié au profit de la conception aristotélicienne affirmant le géocentrisme, et conduisit même à des résultats surprenants. Par exemple, l'auteur latin du Vème siècle Martianus Capella expliquait que la Terre était immobile au centre de l’Univers, tandis que les étoiles dont le Soleil et la plupart des planètes naviguaient autour d’elle, mais alors que Mercure et Vénus tournent autour du Soleil (Martianus Capella, Noces de Philologie et de Mercure, Livre VIII). Autre originalité, la savant et religieux irlandais Jean Scot Erigène (vers 810 ; vers 876) reprend l'idée de Capella dans son Periphyseon tout en faisant aussi tourner Mars et Jupiter autour du Soleil. On assiste donc à l'émergence d'un géo-héliocentrique durant le Haut Moyen-Âge.

En réalité, il n'y aurait pas eu de décadence scientifique sans le développement d'un courant prônant une lecture littérale de la Bible et développé par l’École théologique d'Antioche.

 

La lutte des écoles théologiques responsable de la décadence scientifique

 

Pendant les premiers siècles de notre ère, une ville est véritablement le centre des recherches scientifiques, Alexandrie d'Egypte. Il y avait deux écoles influentes à cette époque, l’École néoplatonicienne d'Alexandrie et l’École théologique d'Alexandrie. L’École néoplatonicienne d'Alexandrie enseigna le savoir astronomique grec reprenant les idées de Platon et d'Aristote concernant la sphéricité de la Terre mais aussi évidemment l'idée de la Terre au centre de l'Univers. Ce centre se montrait tolérant envers l'implantation progressive du christianisme, et donc a pu demeuré en activité jusqu'en 640, c'est-à-dire jusqu'à sa fermeture à cause de la conquête arabo-musulmane. Quant à l’École théologique d'Alexandrie, créée au IIème siècle, leurs membres prônaient la lecture de la Bible dans le cadre de la recherche, mais d'une manière allégorique. Ils considéraient que la religion chrétienne et la Science n'étaient pas contradictoires. Par conséquent, si les néoplatonicien acceptaient la présence des chrétiens, les théologiens d'Alexandrie acceptèrent la conception néoplatonicienne de l'univers avec l'idée de la Terre sphérique. La tolérance à la fois religieuse et scientifique perdura après la chute de l'Empire romain et jusqu'à l'invasion des arabo-musulmans. Ainsi, dans le courant du IVème siècle, le grand mathématicien Pappus d'Alexandrie a pu résumer l'ensemble des savoirs mathématiques de l'époque dans ses Collections mathématiques, et a même produit un commentaire sur l'œuvre de Ptolémée. Et Jean Philopon (vers 490 ; vers 570), auteur de la Création du monde, expliquait que la lecture de la Bible ne devait pas être interprété de manière radicale, car « Il ne faut pas s’attacher à la lettre nue, mais chercher le sens caché de chacun de ces mots » (Jean Philopon, La Création du monde, Livre I, Chapitre 19). Cependant, trois événements vont engendrer le déclin de la recherche à Alexandrie : la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie en 389 à la suite d'une révolte ; la conquête arabo-musulmane en 640 qui engendra la fermeture des écoles ; et entre temps l'émergence de l’École théologique d'Antioche dont l'influence va éclipser l’École théologique d'Alexandrie.

 

A suivre ...

 

Partager cet article
Repost0
1 novembre 2010 1 01 /11 /novembre /2010 00:50

577291 france-shoah-jewishLe 3 octobre 2010, Serge Klarsfeld et son fils Arno dévoilent au public, par l'intermédiaire de l'Agence France Presse (devant 25 journalistes), un document qui a été "authentifié" comme étant le texte original du statut des juifs, et comportant une écriture au crayon à papier attribuée à Pétain. Klarsfeld père ajoute que ce dernier aurait voulu durcir à l'extrême la législation antisémite de l'Etat Français. Une petite enquête réalisée par mes soins va démontrer que les paroles du théologien de l'histoire sont à remettre en cause, voir à mettre à la poubelle. 

 

Un document authentique ou un faux ?  

 

Premièrement, le document est apparu comme par magie (soit disant donné par un anonyme au Mémorial de la Shoah) et il est diffusé à la télévision bizarrement 70 ans jour pour jour après le premier statut des juifs en France. Lorsque Serge Klarsfeld livra le document au public par l'intermédiaire des médias, il certifia que son authenticité ne fait aucun doute, et qu'il avait par conséquent fait l'objet d'une expertise scientifique. Malgré tout, il va involontairement se contredire, prouvant un premier mensonge de sa part, puisqu'il avouera que le document n'avait même pas été analysé par un graphologue (analyse de l'écriture, étude cependant fragile et pas toujours fiable) avant d'être placé devant les caméras. En effet, la fin d'une entrevue publiée dans Le Monde et datée du 4 octobre 2010 (http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/10/04/serge-klarsfeld-petain-n-a-pas-hesite-a-s-aligner-sur-l-ideologie-raciale-nazie_1420144_3224.html), le journaliste Thomas Wieder demande "Etes-vous sûr de l'authenticité du document ?", alors Klarsfeld répond "Oui, les circonstances de sa découverte ne doivent pas jeter un doute sur son authenticité", mais ajoute "On fera expertiser par un graphologue, s'il le faut, mais on reconnaît très bien l'écriture de Pétain – et nous avons bien sûr comparé avec d'autres documents rédigés par lui à l'époque avant de rendre public le document." Autrement dit, le document n'a pas été analysé par un expert avant qu'il soit rendu public à la télévision, alors qu'il aurait très bien pu n'être qu'un faux. Il indique que son authenticité est simplement prouvée par une écriture qui ressemble à celle de Pétain, alors que n'importe qui aurait pu l'imiter (ce n'est pas bien difficile). Le comble, ce document avait été "authentifié" avant son passage dans les médias par ... Arno Klarsfeld, fils de Serge, qui n'a  aucune compétence pour analyser un document historique. Nous reparlerons de l'écriture un peu plus tard.

 

Lorsqu'un document est reconnu comme authentique, alors un certificat d'authenticité doit-être délivré par un expert. Quelques jours après qu'il soit rendu public, le document fut vérifié par Tierry Bodin. Celui-ci est expert de la cour d'appel de Paris, mais surtout spécialiste en documents autographes. Quelques-unes de ses déclarations ont été publiées dans divers journaux (http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/10/06/97001-20101006FILWWW00592-le-statut-des-juifs-authentique.php). Il explique que ce texte est "incontestablement authentique", qu'il a été "annoté par la main même du maréchal Pétain", qu'il "s'agit bien d'un document original, tapé à la machine et annoté à la main"et surtout qu'il date "indubitablement des années 1930-1940, et tout à fait semblable à d'autres documents émanant du cabinet du maréchal Pétain ou du gouvernement de l'Etat français que nous avons eus en main". Un autre expert de la cour d'appel de Paris, Alain Nicolas, a délivré le certificat d'authenticité après une seconde expertise (http://www.letelegramme.com/ig/generales/france-monde/france/statut-des-juifs-une-seconde-expertise-confirme-l-authenticite-du-document-07-10-2010-1074998.php). "Ce document de travail sur une loi portant sur le statut des juifs est incontestablement corrigé et annoté de la propre main du maréchal Pétain, à l'exception du mot "Projet", mentionné en rouge sur la première des cinq pages du document."  Sur quoi se sont basés les deux experts pour certifier que le document est authentique ? Selon le discours de Bodin, il daterait "des années 1930-1940". Quelle superbe précision pour un expert ! Peut-être que cette fourchette est la conclusion d'une analyse du papier, mais elle reste bien large. De plus, rien n'empêche à un faussaire de prendre un papier de cette époque puis d'écrire dessus. Bodin n'a même pas soumis le papier à une expertise scientifique qui apporterait plus de précision, et n'a sans doute utilisé que l'oeil nu. En effet, il est impossible, je dis bien impossible, de dater précisément un document en quelques coups d'oeil, car une analyse scientifique requiert plusieurs étapes indispensables qu'il est nécessaire de rappeler. Premièrement, pour procéder à un examen optique fiable il est nécessaire d'analyser l'aspect et la structure du papier ainsi que de son grain, tout en utilisant un éclairage tangentiel. L'éclairage permet d’étudier l'homogénéité du papier, et voir sa fluorescence sous l'effet des radiations UV afin de distinguer des différences. Le phénomène de fluorescence est lié à l'utilisation d'azurants dans la pâte du papier. Par exemple, la coumarine est un azurant qui renvoie la lumière et fait apparaître plus blanche la matière à laquelle elle est mêlée. Cette étape est indispensable car elle permet de savoir si le papier du document date de avant ou après les années 1950. Secondement, il est nécessaire d'examiner la pâte du papier au microscope en prélevant une partie infime équivalent à une tête d'épingle, qui est ensuite placé sur une lame accompagnée d'une goutte d'eau. Ce procédé permet de connaître le type de pâte en papier pour déterminer l'origine et le procédé de fabrication, c'est-à-dire s'il s'agit d'une pâte industrielle, chimique ou de chiffon. De plus, cela permet également d'en savoir plus sur l'état du papier en observant l'usure de ses fibres. En fonction des résultats obtenus, nous pouvons obtenir des éléments qui pourraient nous permettre de dater le document concerné. Bref, comme les fameux experts n'ont pas effectué d'analyse approfondie en employant les méthodes citées, alors que le document est considéré comme important, cet argument est à jeter aux oubliettes. Mais le motif principal des experts est que ce document est "tout à fait semblable à d'autres documents émanant du cabinet du maréchal Pétain ou du gouvernement de l'Etat Français" et que l'écriture ressemble à celle du maréchal Pétain. Par conséquent, les experts Bodin et Nicolas ont authentifié la source de la même manière que les Klarsfeld, d'après des ressemblances ... Belle manière d'établir l'authenticité d'un document !

 

Cela nous amène à étudier l'écriture annotée au crayon à papier. Pour accuser le maréchal Pétain, Klarsfeld et son fils expliquent que l'écriture présent sur le document serait de lui. Ils se justifient : "L'écriture de Pétain est très personnelle". La parole des "très honnêtes" Klarsfeld ne font bien-sûr pas office de preuve. Tout le monde peut apercevoir sur les deux photos publiées que ce texte tapé à la machine ne comporte seulement que quelques mots et morceaux de phrases qui sont annotés. L'expert Tierry Bodin explique "Le maréchal Pétain utilisait couramment le crayon de papier pour annoter ou corriger des documents, ou annoter des livres. Le graphisme des lettres comme celui des chiffres (y compris dans la numérotation des articles) est absolument le sien". Le Maréchal possédait donc une écriture unique dans l'histoire de l'humanité !  En regardant les annotations présentes sur les deux photos de cet article, nous pouvons rapidement constater que l'écriture est assez courante, seul un menteur ou un aveugle pourrait prétendre le contraire. La seule exception concerne la forme particulière de la lettre "d", mais nous pouvons retrouver ce style dans des sources datant de l'Ancien Régime et du XIXème siècle, car n'oublions pas que le supposé auteur est né en 1856. Alors de quelle manière peut-on certifier que l'écriture présente sur le document est bien de Pétain ? Une analyse de datation de la matière utilisée pour écrire permettrait d'en savoir davantage. Problème, ce type d'étude se fonde sur l'encre employée par l'auteur, or l'ustensile utilisé était un crayon à papier. Par conséquent, la source est quasiment indatable ... Bodin le justifie par le fait que le Maréchal "utilisait couramment le crayon à papier", mais il ne prouve pas que c'est bien lui qui a écrit sur ce document. De plus, il n'est guère difficile d'imiter l'écriture d'une personne. En conclusion, l'analyse du document n'a révélé aucune preuve scientifique sur l'auteur des écrits.

 

Enfin, il faut signaler que la cinquième feuille du projet indique le lieu de sa rédaction et la fonction de ses rédacteurs, «fait à Vichy, par le maréchal de France, chef de l'Etat, le vice-président du Conseil» et huit autres ministres. Malgré tout, il n'y a ni date, ni nom, ni signature, et ni côte administrative ... . Par conséquent, au mieux ce document a servi de brouillon. Au pire il s'agit d'un faux.

En clair, aucune donnée ne permet de certifier que ce document est authentique ou non, en l'absence de signature de l'auteur, d'indice de datation et d'analyse scientifique avérée du papier. Mais dans le point suivant, nous allons partir du principe qu'il est bien authentique pour analyser les rectifications qui auraient été réalisées par le Maréchal.

 

Statut des Juifs - page 2Des informations inédites ?

 

Tout d'abord, le Maréchal aurait annoté que "tout les membres du corps enseignant" seraient interdis pour les juifs, alors que alors que les rédacteurs du statut avaient prévu cette interdiction uniquement pour les recteurs, inspecteurs, proviseurs et directeurs d'établissements primaires et secondaires. Egalement, Pétain voulait exclure les juifs des fonctions judiciaires, ainsi que de la possibilité de siéger dans "toute assemblée issue de l’élection" et d'"inspecteur des colonies". En réalité, ces points étaient déjà connus puisque Pétain avait demandé que l'enseignement et la justice et ne comprennent aucun juif dès le Conseil des ministres du 1er octobre 1940. De plus, il est bien noté dans le statut du 3 octobre 1940 que tous les juifs ne sont pas exclus de la fonction publique, contrairement à ce qu'affirme Klarsfeld. Voici l'article 4 de cette loi : "L'accès et l'exercice des professions libérales, des professions libres, des professions dévolues aux officiers ministériels et à tous les auxiliaires de la justice sont permis aux juifs, à moins que les règlements d'administration publique n'aient fixé pour eux une proportion déterminée. Dans ce cas, les mêmes règlements détermineront les conditions dans lesquelles aura lieu l'élimination des juifs en surnombre."

De plus, si nous faisons référence à la loi du 2 juin 1941, l'article 3 stipule que des juifs pouvaient garder leur emploi en remplissant certaines conditions, les principales étant d'avoir participé à un conflit dans lequel la France a été engagée, ou encore être pupille de la nation, veuve ou orphelin de soldat tué au combat. Par conséquent, un nombre considérable de juifs gardèrent leur travail n'en déplaise aux théologiens klarsfeldiens :

Les juifs ne peuvent occuper, dans les administrations publiques ou les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, des fonctions ou des emplois autres que ceux énumérés à l'article 2, que s'ils remplissent l'une des conditions suivantes :
a) Être titulaire de la carte du combattant, instituée par l'article 101 de la loi du 19 décembre 1926 ;
b) Avoir fait l'objet, au cours de la campagne 1939-1040, d'une citation donnant droit au port de la Croix de guerre instituée par le décret du 28 mars 1941;
c) Être décoré de la Légion d'honneur ou de la médaille pour faits de guerre ;
d) Être pupille de la nation ou ascendant, veuve ou orphelin de militaire mort pour la France.

Toujours sur ce point, ce que les Klarsfeld se passent bien de dire, c'est que les membres exclus de la fonction publique furent indemnisés selon leur ancienneté dans la profession exercée. Ce fait peut être facilement prouvé puisque l'article 7 de la loi sur le statut des juifs du 2 juin 1941 définit précisément les dispositions pour indemniser ces fonctionnaires, dispositions déjà  prises plus brièvement dans l'article 7 de la loi du 3 octobre 1940. Relevons notamment l'un des points importants de cet article du 2 juin 1941 : "3º Les fonctionnaires des départements, communes ou établissements publics qui possèdent une caisse spéciale de retraites bénéficieront, avec jouissance immédiate, de la pension d'ancienneté ou de la pension proportionnelle fixée par leur règlement de retraites, s'ils remplissent les conditions de durée de services exigées pour l'ouverture du droit à l'une de ces pensions."

Afin de comprendre de manière raisonnée cette disposition, l'intellectuel René Rémond évoque une autre raison que l'antisémitisme supposé de Pétain. En effet, il observe objectivement que la politique du gouvernement tend à enfermer les juifs "dans un statut discriminatoire qui les écarte de tout poste de responsabilité ou d'influence". Il ajoute que "le gouvernement du Maréchal ne vise aucunement à la disparition des Juifs" (René Rémond, Préface à l'ouvrage d'Asher Cohen, Persécutions et sauvetages: Juifs et Français sous l'Occupation et sous Vichy, Editions du Cerf, Paris, 1993).

 

Deuxième chose, d'après le document, une mesure prévoyait que "les descendants de Juifs nés français ou naturalisés avant 1860" ne soient pas concernés par la loi portant sur le statut des juifs. Cet alinéa a été rayé. D'après les Klarsfeld et les "experts", le responsable ne peut être que Pétain. Et ils en ajoutent une couche en affirmant que le Maréchal n'avait jamais tenté de protéger les juifs français. Nous ne sommes pas certains que ce soit bien de sa main, n'importe qui aurait pu le gribouiller, le responsable ayant effectué cette rayure peut tout aussi bien être Pétain qu'une autre personne. Mais partons du principe que le Maréchal avait un style de rayure unique dans l'histoire de l'humanité, tout comme son écriture "très personnelle". Pour les Klarsfeld, il s'agit d'une pulsion antisémite dans lequel l'accusé mettait tous les juifs dans le même paquet à l'égal des nazis. Il n'y a pas à chercher très loin pour s'apercevoir que les accusateurs ont volontairement menti, car rien que le contenu des différents statuts des juifs présents dans le Journal Officiel prouve très clairement que Pétain avait tenté d'épargner au maximum les juifs français. En effet, l'article 8 du 2 juin 1941 établi une mesure réduisant de manière conséquente le nombre de concernés par la législation antijuive, soit en ayant accompli « des services exceptionnels » comme par exemple avoir été récompensé pour en engagement dans la Première Guerre mondiale ou en 1940, ou soit si les familles juives vivaient en France « depuis au moins cinq générations » :

"Peuvent être relevés des interdictions prévues par la présente loi, les juifs :

1º Qui ont rendu à l'État français des services exceptionnels ;
2º Dont la famille est établie en France depuis au moins cinq générations et a rendu à l'Etat français des services exceptionnels."

De plus, le deuxième point de l'article 8 est intéressant, car si Pétain aurait rayé dans le document des Klarsfeld la mesure prévoyant de protéger les "les descendants de Juifs nés français ou naturalisés avant 1860", il a été en réalité encore plus loin dans le sauvetage des juifs français en voulant préserver les familles présentes en France "depuis au moins cinq générations" et qui pouvaient très bien être naturalisés après 1860.

Par conséquent, les propos de Klarsfeld expliquant que Pétain voulait durcir le statut des juifs pour des raisons purement antisémites sont largement contestables, pour ne pas dire mensongers. On peut affirmer que, si ce document est authentique, il n'apporte strictement rien dans le cadre de l'analyse historique du statut des juifs, tandis beaucoup d'interprétations ont été réalisées par les Klarsfeld à des fins de propagande, agissant soi-disant au nom de la mémoire des juifs.

 

Les désaccords de plusieurs « historiens »

 

Je ne vais pas m'étendre sur ce point, mais je vais prendre simplement deux entretiens concernant deux « historiens » envers lesquels je ne suis pourtant pas toujours d'accord.

 

Le premier est celui de Henry Rousso paru sur Libération (http://www.liberation.fr/politiques/01012294794-petain-et-les-juifs-l-obsession-juridique), qui n'a rien d'un pétainiste mais qui conteste largement l'authenticité du document ainsi que le point de vue falsificateur de Klarsfeld. Voici ce qu'il explique :

- au sujet de l'authenticité du document : "Si on laisse les effets d’annonce, l’analyse même rapide du document dans son intégralité peut conduire à d’autres hypothèses. Si rien ne permet de penser qu’il s’agit d’un faux, s’il est probable qu’il provienne de papiers ayant appartenu à Pétain ou à l’un de ses ministres les plus impliqués comme Raphaël Alibert, le garde des Sceaux, rien ne permet en revanche d’identifier formellement le ou les auteurs des annotations. L’expertise graphologique constitue ici un élément fragile : aucun tribunal n’aurait accepté cette pièce comme preuve à charge contre Pétain."

- au sujet de l'exclusion des juifs de la fonction publique : "les mesures d’exclusion professionnelles prévues à l’origine seront presque toutes appliquées, le caractère radicalement antisémite du texte étant acquis dès l’origine. En revanche, elles en étendent le périmètre et limitent les exceptions : plus de gens seront ainsi touchés. Parmi les catégories nouvelles, on relève les enseignants (et pas seulement les cadres de l’instruction publique), catégorie particulièrement détestée par Pétain, qu’ils soient Juifs ou pas. Pour les magistrats, contrairement à ce qui a été dit, presque toutes les catégories sont déjà exclues, une annotation ajoutant les juges de paix et les membres d’assemblées juridictionnelles élues (comme les prud’hommes) ce qui n’est pas une extension considérable  [...] les fonctionnaires juifs proches de la retraite seront renvoyés mais pourront toucher tout ou partie de leur pension ; les autres recevront leur traitement pendant une durée qui «ne pourra excéder quinze ans», précise l’avant-projet, une disposition rayée par celui qui l’a annoté, ce qui signifie, au moins sur un plan formel, que la durée pourra être plus longue."

- au sujet de l'alinéa rayé concernant l'exemption des descendants de juifs français nés avant 1860 : "Celui ou ceux qui ont modifié le texte ont supprimé l’exemption concernant les descendants de Juifs français «nés avant 1860», soit une population conséquente : c’est un point qui mérite examen, moins parce qu’il a été supprimé que parce qu’il a été prévu, sans que l’on puisse en l’état comprendre le sens de cette disposition jusque-là inconnue."

- au sujet de la responsabilité de Pétain dans le statut des juifs : "Pétain a peut-être annoté tout ou partie de ce texte puisque toutes les modifications seront retenues dans la loi du 3 octobre, ce qui signifie que celui qui les a faites avait le pouvoir de les imposer. Mais c’est ici une pure supposition. Rien ne permet de conclure que c’est lui, qu’il était seul, qu’il n’y a pas eu discussion au sein de son cabinet ou que ces modifications relèvent en priorité d’un antisémitisme plus forcené que le projet initial. [...] imagine-t-on le militaire Pétain relever le fait que l’on a oublié les juges de paix ou les inspecteurs des colonies ? Elle montre une volonté d’égalité dans l’opprobre, mâtinée d’une préoccupation pseudo-humanitaire qui permet de comprendre pourquoi on se préoccupe du paiement des fonctionnaires renvoyés : justifiant la promulgation du statut des Juifs, le gouvernement parlera d’«indispensables sécurités» prises avec un «esprit d’humanité»."

En clair, même si Henry Rousso pense que Pétain est antisémite, un avis que je ne partage pas, il parvient quasiment à la même conclusion que moi vis-à-vis de ce document, c'est-à-dire un document à l'authentification fragile et qui n'apporte rien de neuf dans la recherche.

 

Un deuxième sera interrogé sur ce document, Alain Michel. Cet entretien est paru dans Le Monde (http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/08/petain-klarsfeld-et-le-statut-des-juifs_1421990_3232.html). Voici les points intéressants :

- au sujet de l'intérêt historique : "Je ne suis pas, loin de là, un "défenseur de Pétain", mais en tant qu'historien travaillant sur cette période, je ne peux être que frappé par les inexactitudes, pour le moins, qui ont entouré la découverte du document, tant dans la présentation des faits que dans leur analyse. Ce document n'apporte rien d'essentiel sur le statut des juifs d'octobre 1940. Nous savons depuis longtemps que le maréchal a insisté pour aggraver le projet, et le document vient seulement le confirmer. Il est intéressant sur le plan de la mémoire, bien plus que sur le plan de la connaissance historique, à laquelle il n'apporte rien de neuf."

- au sujet de l'antisémitisme français et du "durcissement" sur le statut des juifs : "Surtout, ce document ne dit rien quant à l'argument de certains concernant la protection ou non donnée par Vichy aux juifs français. Nous sommes en octobre 1940, dans le contexte d'un antisémitisme français qui est le prolongement d'une vision propre à la France développée dans les années trente, et qui est un antisémitisme essentiellement différent du racisme nazi. A la date du document, la solution finale n'a pas encore été mise en place et il n'est nulle part question d'un danger physique pour les juifs, en tout cas pour ceux de nationalité française. Nous ne pouvons donc tirer aucune conclusion quant à l'attitude de Vichy presque deux ans plus tard, lorsque les nazis mettront en place en France la solution finale, et que le gouvernement de Vichy devra faire des choix quant à son attitude et à sa collaboration dans le domaine des déportations."

- au sujet de l'analyse de certains "historiens" : "L'interprétation abusive de ce document est directement liée à la manière à la fois trop globalisante, et surtout anachronique, utilisée par nombre de personnes, dont beaucoup d'historiens, pour lire et reconstituer les événements difficiles de cette période."

Par conséquent, Alain Michel explique bien que non seulement ce document est d'un intérêt historique moindre, mais il ajoute qu'on ne pas en tirer grand chose. De plus, il remet en cause l'analyse arbitraire de plusieurs historiens qui se laissent submerger par leurs pulsions haineuses et aveugles plutôt que par la raison et l'objectivité. Les Klarsfeld, Paxton ou encore Azéma sont quelques-uns des nombreux exemples.

 

2011-04-17_135922.jpgUn coup politico-médiatique préparé à l'avance

 

Selon Klarsfeld, le document du statut des juifs aurait été donné par une personne qui souhaitait rester anonyme. Dans le n° 303 du magazine Faits & Documents daté de la deuxième quinzaine d'octobre, le rédacteur précise que "cette apparition miraculeuse apparaît comme très soigneusement orchestrée et ne relevant absolument pas d'une découverte récente" (page 7). Il justifie sa déclaration en publiant le carton d'invitation distribué plusieurs semaines avant cet événement médiatique, prouvant que celui-ci a bien été un coup monté initié par plusieurs "historiens", Serge Klarsfeld en tête, avec la classe politique, dont les très "honnêtes" Robert Badinter et Bertrand Delanoë comme chefs de file.

 

Je terminerai sur ce sujet en rappelant que j'ai rédigé 5 articles à propos de Pétain et sa liaison avec l'antisémitisme, dont les arguments sont plus fournis ceux de monsieur Klarsfeld et ses copains politiciens, mais qui sont moins connus puisque je ne bénéficie pas du même statut médiatique :

-http://realite-histoire.over-blog.com/article-22916931.html

-http://realite-histoire.over-blog.com/article-23403054.html

-http://realite-histoire.over-blog.com/article-23879774.html

-http://realite-histoire.over-blog.com/article-24985330.html

-http://realite-histoire.over-blog.com/article-26518930.html

 

 

Pas de date ni de signature, datation impossible à réaliser, analyses graphologiques peu fiables ... Par conséquent, il faut être particulièrement prudent sur ce fameux document, soit disant original, qui tombe à pic et qui était tant attendu par les Klarsfeld, 70 ans jour pour jour après le premier le premier statut des juifs du 3 octobre 1940. Et même si un certificat d'authenticité fut délivré par des experts, ces derniers n'ont absolument pas prouvé que l'écriture sur le document était bien celle de Pétain, ils se sont simplement basés sur des ressemblances vis-à-vis d'autres documents, des arguments biens fragiles et non dénués de subjectivité. Donc il peut s'agir tout aussi bien d'un authentique que d'un faux. Si c'est le cas, il ne faudrait pas s'en étonner puisque bon nombre de documents considérés autrefois comme authentiques se révélèrent finalement être des falsifications, et celui qui nous concerne ne serait pas le premier, loin de là. Il ne faut pas oublier qu'au XVIIème siècle, le moine oratorien Jérôme Vignier (1606-1661) avait réalisé de faux documents mérovingiens et carolingiens, une supercherie mise au jour en 1886. Plus récemment, un certain Konrad Kujau avait vendu le Journal d'Adolf Hitler en 61 livres à l'hebdomadaire Der Stein, pour une coquette somme de plus de 9 millions de marks en février 1983. Quelques mois après la publication de ce document, l'Office fédéral allemand des archives découvrit la fraude et Kujau fut condamné à 4 ans et demi de prison. Incontestablement, il existe des faussaires de génie à travers l'histoire. Quoi qu'il en soit, même si le texte imprimé concernant le statut des juifs serait authentique, il n'a en aucun cas l'importance que les Klarsfeld et autres historiens-théologiens le prétendent. Non seulement ils ont interprété très grossièrement ce document, mais en plus parfois avec des explications mensongères. Par ailleurs, je ne suis pas le seul à effectuer cette conclusion puisque plusieurs historiens sont en complet désaccord avec les Klarsfeld, dont Henry Rousso et Alain Michel que j'ai cité. Ceux-ci remettent aussi en cause l'authenticité de ce document ainsi que les propos des Klarsfeld alors qu'ils ne sont absolument pas pétainistes et ni admirateurs du Maréchal. Le document tant évoqué par les médias n'a clairement presque aucune importance historique. Malgré tout, on ne doute pas que les bien-pensants vont protéger pendant longtemps les élucubrations de Klarsfeld père et fils, vu leur position dans la sphère politico-médiatique. En effet, il n'est pas donné à tout le monde d'être un ami proche de l'ancien président de la République française Nicolas Sarközy comme Arno Klarsfeld, ce dernier étant aussi un ex-amant de Carla Bruni, l'une des trois femmes de ce même président, sans oublier qu'il fut également conseiller au cabinet du premier ministre François Fillon et chargé de missions auprès de son ami intime. Quoi qu'il en soit, l'histoire regorge de sources tellement plus importantes qu'un simple document à l'authenticité douteuse et aux interprétations théologiques qui sont liées.

Partager cet article
Repost0
12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 22:12

cartesa9do9.jpgOn croit souvent que les hommes ont d'abord affirmé que la Terre était plate, et que Nicolas Copernic, Johannes Kepler et Galileo Galilei ont été les premiers à prouver que notre planète n’était pas le centre de l’Univers. Pourtant, il s’agit d’erreurs monumentales. Ces thèses d'une Terre sphérique et tournant autour du Soleil, nouvelles pour l’Europe Chrétienne durant la Renaissance, existaient déjà dès l’Antiquité. Alors comment se fait-il que les humains ont d’abord pensé que la Terre était sphérique, avant d’affirmer qu’elle était plate ? Pourquoi a t-on longtemps cru que notre astre était au centre de toute chose ? Nous allons d’abord constater que les premières civilisations antiques avaient déjà essayé de représenter notre astre malgré des connaissances primitives. Ensuite, nous analyserons les premiers savants à s’être intéressés à sa forme et à sa position dans l’Univers. Nous allons savoir comment s’est effectuée ce que nous pouvons appeler la « décadence scientifique », durant la christianisation de l’Empire Romain puis au Moyen Age. Enfin, on va constater quelques survivances aux pensées antiques qui seront notamment étudiés par les savants de la Renaissance, mais aussi d'une manière plus limitée au Moyen Age. Petite information sur ce sujet, on dit souvent que la Terre est « ronde ». Il s’agit d’une erreur de langage, puisqu’un disque peut être à la fois plat et rond alors que la terre n’a pas la forme d’un disque. Il est donc plus correct d’expliquer que notre planète est « sphérique ».

  

Les premières représentations

 

Au-delà des conceptions mythiques héritées des traditions préhistoriques, la forme et la configuration de la Terre furent étudiées dès les époques historiques les plus anciennes. Nous pouvons l’affirmer par des cartes gravées sur des tablettes en argile trouvées lors de fouilles en Mésopotamie. La plus ancienne carte géographique que nous connaissons connue figure sur une tablette d'argile sumérienne et provenant des fouilles de Ga-Sur à Nuzi, en Irak. Elle date de 2500 avant notre ère et se trouve actuellement au Musée Sémitique de l'Université de Harvard à Cambridge, dans l’état américain du Massachusetts. Un peu plus récente, une carte appelée « mappemonde babylonienne » se trouve sur les bases d’une tablette en terre cuite de 12,2 cm sur 8,2 cm conservée au British Museum de Londres. Agée d’entre 700 à 500 avant notre ère, cette figure est la plus vieille représentation connue de notre monde et illustre les connaissances géographiques des anciens peuples de la Mésopotamie. On suppose qu’elle provient du site archéologique de Sippar, appelé aujourd’hui Abu Habbah, c’est-à-dire au sud-ouest de Bagdad (en Irak). Au centre de cette carte, on peut facilement apercevoir Babylone. Aux alentours, on observe un disque entouré d'eau et prolongé par les sept îles d'un océan céleste. On peut supposé que c’est le Golfe Persique qui est dessiné comme une rivière encerclant le monde, et que les fleuves Euphrate et Tigre coulent vers lui. Cette tablette comporte également des inscriptions en caractères cunéiformes. Le texte mentionne "Utnapishtim" et "Sargon d'Akkad". De plus, le Nord est indiqué par les mots traduits "là où le soleil ne se voit pas". Enfin, il ne faut pas oublier que les arpenteurs égyptiens effectuaient régulièrement des opérations cadastrales, quasiment après chaque crue annuelle du Nil. Ils avaient acquis des connaissances empiriques assez vastes en géométrie pour pouvoir résoudre les problèmes topométriques. De plus, un débat demeure sur la conception de la Terre par les prêtres égyptiens. Il n’est pas impossible qu’ils la considéraient comme sphérique. Les Égyptiens avaient déjà découvert que le Soleil se retrouve à la même position par rapport aux étoiles en approximativement 365 jours, et constatèrent que l'apparition de Sirius, étoile très brillante située à l'est du Soleil, coïncidait avec la crue annuelle du Nil. Ils adoptèrent ainsi un calendrier annuel vers le IVe millénaire av. J.-C. Cependant, c’est incontestablement dans la Grèce antique que les questions sur la sphéricité et la situation de la Terre furent étudiées le plus, par l’intermédiaire des savants de l‘époque.

 

thales1.jpgL’étude de la Terre par les premiers savants grecs

 

Il semblerait, selon les sources, que le premier savant connu à avoir tenté d’analyser la forme de notre planète n’est autre que Thalès de Milet (-625 ; -547), l'un des pionniers des mathématiques. On lui attribue généralement l'idée d'une Terre en forme de disque flottant sur un océan infini (Theodor Gomperz, Les Penseurs de la Grèce : histoire de la philosophie antique, tome I, livre I, chapitre 1, II). Cependant, l'idée d'un disque terrestre entouré du fleuve Océan est déjà présent dans les chants épiques attribués à Homère et antérieurs à Thalès. Toutefois, ce fut un progrès puisque le natif de Milet rompit avec les représentations mythologiques, telles qu'on les retrouve chez Hésiode (VIII-VIIe siècle avant J.C), d'une déesse Terre (Gaia) qui occupait le bas de l'univers et qui possédait des racines. En fait, il conçut un disque plat posé sur l'eau car ils pensaient mouvements de l'eau engendraient les tremblements de terre. Mais la Terre repose sur l'eau, sur quoi l'eau repose-t-elle ? D’autres natifs de Milet approfondirent les recherches. Anaximandre de Milet (-610 ; -547), contemporain de Thalès, émit une idée un peu différente. D’après lui, la Terre était cylindrique, se situait au milieu d'un univers infini, de sorte qu'il n'y ait aucune raison pour que la Terre se dirige d'un côté plutôt que de l'autre. Elle flotte en équilibre et sans être soutenue par quoi que ce soit (Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies, I, 5). Pourtant, malgré l’observation de la courbure, Anaximandre ne semblait pas concevoir la sphéricité de la Terre. Anaximène (-585 ; -525), disciple d'Anaximandre et natif lui aussi de Milet, proposa aussi une vision différente de celle de Thalès. Selon lui, la Terre est un disque très aplati baignant dans un océan fini, le tout étant maintenu dans l'espace sur un coussin d'air. Plus précisément, il la concevait plate et circulaire, recouverte d'un dôme céleste. De plus, il considérait le Soleil et la Lune comme des disques plats qui tournaient autour de la Terre demeuraient soutenus dans l'air. Par ailleurs, il affirmait que l’air est à l’origine de toute chose. Dilaté à l'extrême, l’air se transforme en feu. Comprimé, il se transforme en vent puis il produit des nuages. Encore plus comprimé, l’air donne de l'eau. Une compression extrême de l'eau transforme celle-ci en terre, dont la forme la plus condensée est la pierre. Mais de manière générale, il suivait ses prédécesseurs en pensant que la Terre et les différents astres étaient en suspension. Toutefois, il ajouta que le Soleil ne passe pas sous la Terre. Selon lui, la nuit se dissimulait derrière l'horizon pour retourner à son point de départ matinal. Cependant, il restait des progrès à faire en matière d‘astronomie. Anaximène croyait que les étoiles étaient clouées à la voûte céleste, ce qui en faisait les éléments les plus éloignés de la Terre. Un peu plus près se trouvaient les planètes, puis le Soleil et enfin la Lune (Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, II, 3 à 5).

Un tournant majeur intervient avec Hécatée de Milet (-548 ; -475), historien et géographe qui explora la Grèce, l‘Egypte, l’Empire Perse et tous les autres contours de la Méditerranée et de la Mer Noire. A travers son œuvre Périégèse, Hécatée réalisa une description approximative de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie. 300 fragments de cette mappemonde nous sont parvenus sous forme de citations. Cependant, cette source dévoile les lacunes dans les connaissances limitées de l'époque, ainsi que les préjugés chauvinistes des Grecs qui se positionnaient eux-mêmes au centre du monde. De plus, le géographe ne tint pas compte des données géographiques plus précises rapportées par le navigateur phénicien Hannon (Jean-Gabriel Demerliac et Jean Meirat, Hannon et l'Empire Punique, Paris, 1983). On n’a pas de date de vie précise sur lui mais il devait vivre à peu prêt à la même période qu’Hécatée. Hannon fit notamment le tour de l’Afrique, ce que n‘a pas fait le géographe grec. Les renseignements donnés par le Phénicien tombèrent dans l'oubli pendant plus de deux mille ans. Cependant, même s’il tenta une description du monde, il ne semblait pas s’intéresser à sa forme. Enfin, un dernier personnage fut influencé par l’école milésienne (Milet). Originaire de Clazomènes, en Ionie (près d’Izmir en Turquie), Anaxagore (-500 ; -428) est le premier philosophe connu à s’établir à Athènes, avant de se retirer à Lampsaque, une colonie de Milet. Il étudia les théories de ses prédécesseurs mais en les contestant la supposée forme plate des astres. Il affirma notamment que les planètes et que la Lune n'étaient pas des disques mais des corps solides analogues à la Terre et lancés dans l'espace comme des projectiles. De plus, la Lune possédait un corps opaque avec des montagnes et des plaines, éclairé par le Soleil envisagé comme un disque de feu. Par ailleurs, il explique les mouvements diurnes du Soleil et de la Lune et professe une théorie exacte des éclipses lunaires (Paul Couderc, Histoire de l'astronomie, « Que sais-je », n°165, p. 47).

 

philolaos.gifMalgré tout, ce ne sont pas les disciples de Thalès qui vont découvrir la sphéricité de la Terre mais les pythagoriciens. Déjà Pythagore de Samos (-580 ; -497) aurait été le premier à l’évoquer, mais ne l’aurait pas démontré (Paul Pédech, La géographie des Grecs, Presse Universitaire Française, Paris, 1976, p. 38). Il « fut le premier à appeler le ciel cosmos (ordre) et à dire que la Terre est ronde » (Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, livre VIII, Le livre de poche, 1999). Cependant, il est difficile d’attribuer à Pythagore qui, à notre connaissance, n’a jamais rien écrit de son vivant. De plus, les premiers biographes ont écrit plusieurs siècles après sa vie. Malgré tout, nous savons qu’il fonda une école à Crotone, en Italie du Sud, et ses élèves continueront ses recherches (Paul Couderc, Histoire de l'astronomie, « Que sais-je », n°165, p. 44-45). La pensée pythagoricienne va influencer considérablement les scientifiques d’Italie du Sud et de Sicile. Parmi les successeurs de Pythagore, on sait avec certitude qu’un savant peu connu affirmait que la Terre était sphérique. Son nom est Parménide d’Elée. Nous savons qu’il a vécu entre la fin du -VIème et le milieu du -Vème siècle, mais nous ne possédons pas de datation précise. Selon Diogène Laërce, le pythagoricien était le premier à affirmer que la Terre est ronde ou sphérique (Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, IX, III, 21, traduction par Marie-Odile Goulet-Cazé, Le livre de poche, 1999). Parménide a écrit un poème, dont plusieurs fragments furent retrouvés. Des passages indiquent les pensées du philosophe, et nous pouvons en relever deux très intéressants :

- « Mais, puisqu’il est parfait sous une limite extrême !       

Il ressemble à la masse d’une sphère arrondie de tous côtés,

également distante de son centre en tous points. » (Poème de Parménide d’Elée, VIII, 42-44, traduction française de Paul Tannery, Pour l'histoire de la science hellène, de Thalès à Empédocle, 1887).

- « Tu sauras la nature de l’éther, et dans l’éther
tous les signes et du Soleil arrondi la pure
lumière, ses effets cachés et d’où ils proviennent ;
tu apprendras les œuvres vagabondes de la Lune circulaire. »
(Poème de Parménide d’Elée, X, traduction française de Paul Tannery, Pour l'histoire de la science hellène, de Thalès à Empédocle, 1887).

Un autre pythagoricien d’Italie du Sud va s’illustrer, Philolaos de Crotone. Tout d’abord, il fit une compilation écrite des enseignements pythagoriciens, dont il reste plusieurs fragments (traduction des fragments par Anthelme-Édouard Chaignet, Pythagore et la philosophie pythagoricienne, contenant des fragments de Philolaüs et d'Archytas (1873), Adamant Media Corporation, 2002). De plus, il est à notre connaissance le premier philosophe à proposer un univers qui n’est pas géocentrique, c’est-à-dire avec une Terre qui n’est pas au centre de l’Univers. Pour cela, nous nous référons notamment au texte de la fin du Ier siècle d'Aétius de Byzance (Aétius, Opinions, II, VII, 7), qui fournit une présentation relativement complète de la conception cosmologique de Philolaos. En effet, il place un Feu Central « Estia » (donc Hestia) au centre de l’Univers, puis une anti-Terre. Or le Feu Central n'est pas le Soleil, il reste invisible et on ne perçoit sa lumière que reflétée par le Soleil. Il s’agit donc d’une force physique située au centre. L’anti-Terre tournait aussi autour de ce centre, mais comme elle en était plus rapprochée, elle demeurait également invisible. Tous les autres corps, y compris la Terre et le Soleil, étaient censés tourner sur des orbites circulaires autour de ce Feu Central. Au fond de ce Cosmos, on retrouve les étoiles fixes, puis l’Olympe se situe au-delà, c’est-à-dire le domaine des Dieux. Cette représentation est semi-mythologique et non héliocentrique. Néanmoins, il défendit une thèse intéressante, à savoir que la Terre était une planète produisant la nuit et le jour en tournant sur elle-même, ce qui était une idée nouvelle pour l'époque. Par conséquent, il considère clairement la Terre comme ronde ou sphérique (Paul Couderc, Histoire de l'astronomie, « Que sais-je », n°165, p. 50). Enfin, Philolaos évalua avec précision le mois lunaire à 29 jours et demi, l’année lunaire à 354 jours et l’année solaire à 365 jours et demi. Par la suite, Hicétas de Syracuse (-400 ; -335) fut l’un des premiers Sicilien à effectuer des recherches sur la forme et la position de la Terre. Selon Aétius, Hicétas aurait développé l’hypothèse de l’anti-Terre conformément aux idées de Philolaos (Aétius, Opinions, III, IX, 1-2). Il soutenait que la voûte céleste est fixe, et que seule la Terre est en mouvement et tourne autour de son axe, ce mouvement expliquant l’illusion du mouvement de tous les astres. Même s’il avait tort, il était persuadé que la Terre tournait sur elle-même : « la Terre tourne et pivote sur son axe à très grande vitesse » (Cicéron, Premiers Académiques, II, 39, § 123). On sait qu’Hicétas a eu un disciple dont on ne connait quasiment rien, Ecphantos de Syracuse. Ce dernier pensait que l’univers était constitué d’atomes en nombre infini et selon un principe divin (Aétius, Opinions, I, III, 19, Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies, I, 15). Cet espace est un et est sphérique. La Terre est au centre de cette sphère, et tourne sur elle-même d’ouest en est. Il contredit donc Philolaos de Crotone car ce dernier soutenait au contraire que la Terre n’était pas au centre. Néanmoins, nous constatons que tous pensent que la Terre tourne sur elle-même, et la considèrent donc ronde ou sphérique.

 

Au fil des temps, les théories se développent. Cependant, à partir du -IVème siècle, les savants vont davantage émettre des hypothèses selon des observations.

 

Geocentr.jpgLes premières observations scientifiques des savants antiques

 

La sphéricité de la Terre était donc une évidence pour les savants grecs. Platon (-429 ; -348), disciple de Socrate et maître d’Aristote, affirmait également que la Terre était sphérique, mais au centre de l'univers (Paul Pédech, La géographie des Grecs, Presse Universitaire de France, Paris, 1976, p. 39). Cette forme lui paraît plus rationnelle. Selon lui, la Terre était entourée d'une sphère d'eau, d'une sphère d'air et d'une sphère de feu. De plus, les 7 planètes évoluent dans une région intermédiaire, tandis que les étoiles se trouvent dans la partie supérieure de la sphère de feu (Platon, Timée, 63 a, et Phédon, 97 d-e, 108 d-113 et 110 b).

Puis au IVème siècle avant notre ère, un penseur original, ni milésien et ni pythagoricien, va s’illustrer comme étant l’un des premiers à tirer ses théories d’observations (François Lasserre, Eudoxe de Cnide, Berlin, 1987). Eudoxe de Cnide (-408 ; -355) fut le premier auteur grec d’une carte stellaire. Il a appris la géométrie auprès du pythagoricien Archytas (vers -390), puis se rendit à Athènes et fréquenta l’école de philosophie fondée par le disciple de Socrate Aristippe de Cyrène. Il aurait également voyagé en Perse puis en Egypte, avant de rejoindre Halicarnasse. Il y fréquenta Mausole satrape de Carie de -377 à -353. Ayant acquis beaucoup de connaissances, il retourna à Athènes et fut un temps disciple ou assistant de Platon. Enfin, il revint chez lui à Cnide afin de fonder une école. Tout d’abord, il a évalué avec une grande précision la longueur de l’année solaire, qu’il estimait à 365,25 jours. Il n’est pas impossible qu’il se soit basé d’après des observations égyptiennes ou babyloniennes. Il ne serait pas un cas unique. Tout comme Platon, Eudoxe pensait que la Terre était sphérique et se situait au centre de l’univers. Même s’il va effectuer ses théories d’après l’observation, il va se tromper sur la situation de la Terre et des autres astres composant notre système solaire. En effet, il fut surtout réputé pour avoir émit la théorie dite des "sphères homocentriques". Il croyait que les astres tournent tous autour de la Terre qui est immobile. Il contredit plusieurs pythagoriciens qui avaient bien perçu que notre planète tournait sur elle-même. Comme Platon, il estimait que mouvements de chaque astre sont commandés par un groupe de sphères qui lui sont propres. Pour l‘homme de Cnide, il y en a 3 pour le Soleil et la Lune, et 4 pour les planètes connues (Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, VIII, 86-91). De plus, chacun de ces astres serait encastré dans une sphère qui est centrée sur la Terre et possédait un mouvement circulaire autour d'un de ses diamètres. Les deux extrémités sont elles-mêmes fixées à une seconde sphère, et aussi centrées sur la Terre avec un mouvement circulaire. Mais le point intéressant, c’est qu’il découvre que les astres tournent à une vitesse constante autour de leur axe mais qu’ils ne possèdent pas tous la même vitesse (« Sur les écrits et les travaux d'Eudoxe de Cnide, d'après M. Ludwig Ideler, membre de l'Académie de Berlin, et sur quelques points relatifs à l'histoire de l'astronomie et à la chronologie anciennes », Journal des savants, 1840-41). Malgré toutes ces erreurs, la sphéricité de la Terre est avérée par Eudoxe de Cnide.

 

platon-aristote.jpgCependant, la véritable avancée vient avec Aristote de Stagire (-384 ; -322) qui ne va pas se contenter de dire se qu’il pense mais va apporter des preuves scientifiques sur la forme de la Terre et sa position dans l’Univers. Il est intéressant de connaître la vie d’Aristote afin de démontrer qu’il reçu des connaissances de plusieurs courants intellectuels. Tout d’abord, il faut savoir qu’il est issu d’une famille aisée puisque son père Nicomaque fut le médecin du roi Amyntas II de Macédoine. Sa mère, Phaéstis, était sage-femme et originaire de l'île d'Eubée. Il perdit rapidement ses parents, et fut élevé par son beau-frère Proxène d'Atarnée, habitant Atarnée (en Mysie), et se lia d’amitié avec le futur tyran de Mysie Hermias d'Atarnée. Cependant, comme Aristote était originaire de Stagire, une colonie grecque, et que sa mère venait de l’île grecque d’Eubée, il fut donc considéré comme grec. Mais il était assoiffé de connaissance, et il savait que le meilleur endroit pour en acquérir était à cet époque Athènes. Il s’y rendit et commença par suivre l’enseignement de l’orateur et professeur de rhétorique Isocrate. Cependant, il préféra intégrer l’Académie de Platon vers -367, à une époque où Platon se trouvait en Sicile. Il fut rapidement remarqué pour ses connaissances, au point que Platon lui donna le droit d’enseigner. Il écrivit plusieurs ouvrages traitant de physique, de philosophie, de métaphysique et même de politique. Il resta 20 ans à l'Académie, jusqu'à la mort de Platon en -346. Après le décès de ce dernier, ce fut le Speusippe qui lui succéda, célèbre pour avoir effectué une classification générale des plantes et des animaux. Mais lui et Aristote s’opposèrent régulièrement. Le natif de Stagire quitta Athènes pour Atarnée avec deux confrères, le platonicien Xénocrate et le naturaliste Théophraste. De plus, à cette époque, beaucoup d’intellectuels fuyaient la Grèce car le royaume de Macédoine de Philippe II se faisait menaçant. A Atarnée, il rejoignit son ami le tyran Hermias de Mysie, puis ouvrit une école de philosophie avec plusieurs platoniciens. Cependant, la Perse d’Artaxerxès III attaqua la Mysie, et Hermias d’Atarnée fut livré à l’ennemi puis exécuté. Alors Aristote se rendit sur l’île de Mytilène, non loin de Lesbos, chez son ami Théophraste. Il y ouvrit sa deuxième école. Mais à sa grande surprise, le roi Philippe II de Macédoine le contacta pour devenir le précepteur du prince héritier Alexandre VI, alias Alexandre le Grand, à l‘époque âgé de 13 ans. À la cour de Mieza, au nord de Pella (capitale de la Macédoine), il acquiert de nombreuses amitiés. Entre -345 et -335, il va se déplacer à Assos, Mitylène et à Mieza. Il poursuit plusieurs œuvres commencées précédemment, et en écrivit d‘autres. Parmi celles-ci, l’un va nous intéresser : Traité du Ciel. En parallèle, il voulait s’occuper de la reconstruction de Stagire, détruite en -349. Puis Aristote revint à Athènes en -335, c’est-à-dire 3 ans après sa prise par Philippe II. De plus, il souhaite obtenir la direction de l’Académie, mais cela lui échappe au profit de son confrère Xénocrate. Alors il fonde sa troisième école, le Lycée, sur un terrain loué et non acheté (Aristote était un métèque selon la législation athénienne, il n'avait donc pas le droit à la propriété). Le Lycée se composait de plusieurs infrastructures, notamment d’une école, d’une bibliothèque et d’un musée. Il était financé par Alexandre le Grand. A l’intérieur de cet établissement, Aristote faisait deux types de cours. Celui du matin était appelé "acroamatique" (enseignement oral) et fut réservé aux disciples avancés. Celui de l'après-midi était appelé "exotérique" (enseignement public) et fut ouvert à tous les individus. Il resta 13 ans au lycée (-335 à -323), et poursuivit ses écris. Cependant, un débat demeure. Il avait aussi peut-être accompagné Alexandre le Grand en Asie Mineure, en Syrie et en Égypte entre -335 et -331. Il aurait pu dévoiler ses idées à certains savants de ces régions, mais nous n‘en savons strictement rien. Quoi qu‘il en soit, nous savons que les relations entre les deux hommes vont s‘effriter en -327, après qu‘Alexandre fit mettre à mort Callisthène d'Olynthe, c’est-à-dire le neveu d'Aristote. Malgré tout, Aristote va continuer à enseigner à Athènes jusqu’à la mort du conquérant macédonien, en -323. A ce moment, la cité grecque entre en conflit civil puisque les Athéniens se rebelles, et Aristote est menacé par parti anti-macédonien de Démosthène. De plus, il fut accusé d’impiété pour avoir composé un hymne à son ami défunt Hermias d'Atarnée, car les hymnes étaient normalement réservés au culte des dieux. Il fuit alors Athènes, même si son ami Antipater, ancien lieutenant de Philippe II et gouverneur de la Macédoine pendant les expéditions d'Alexandre, soumit les Athéniens à Crannon. Aristote s’installe à Chalcis en -322, ville de l’île d’Eubée. C’est là qu’il mourut à 63 ans, probablement d’ne maladie d’estomac qui le minait depuis très longtemps. Son corps fut ramené à Stagire. Théophraste, son condisciple et meilleur ami, succéda à Aristote à la tête du Lycée. Le Lycée subsistera jusqu'en 529 de notre ère, c’est-à-dire pendant près de 900 ans. Les enseignements d’Aristote se transmettront de générations en générations. Il fermera sr l’ordre de l’empereur romain d’Orient Justinien Ier, qui voulait mettre fin à un philosophie considéré comme païenne.

Pourquoi raconter tout son parcours bien rempli ? Tout simplement pour bien faire comprendre que le natif de Stagire avait enseigné dans beaucoup de lieux, parmi des gens issus de la bonne société (rois, aristocrates, …), et influença un nombre considérable de savants qui lui succèderont, notamment grâce au Lycée (c‘est pour cette raison que ses successeurs seront désignés comme des aristotéliciens). Son enseignement se diffusera au-delà de la Grèce pendant des siècles. Alors quels étaient les théories d’Aristote en matière d‘astronomie ? Grâce à ses observations, il ne se contente pas de faire de la sphéricité de la Terre une question de principe, mais il va avancer des arguments physiques et empiriques dans son Traité du Ciel. Il va effectuer deux constats prouvant définitivement que la Terre est sphérique (Paul Pédech, La géographie des Grecs, Presse Universitaire Française, Paris, 1976, p. 39). Tout d’abord, il constate qu’à chaque fois qu'il y a des éclipses de Lune, la forme réfléchie de l’ombre est toujours courbée. Aristote a dit : "lors des éclipses, la Lune a toujours pour limite une ligne courbe : par conséquent, comme l'éclipse est due à l'interposition de la Terre, c'est la forme de la surface de la Terre qui est cause de la forme de cette ligne." (Aristote, Traité du Ciel, II, 14). Ensuite, il remarque les changements observés dans l’aspect du ciel lorsqu'on se déplace du nord au sud, et que les étoiles apparaissent au-dessus de l’horizon tandis que d'autres étoiles disparaissent sous l'horizon dans la direction opposée. En effet : "D'après la manière dont les astres se montrent à nous, il est prouvé que non seulement la Terre est ronde, mais même qu'elle n'est pas très grande, car il nous suffit de faire un léger déplacement, vers le sud ou vers l'Ourse, pour que le cercle de l'horizon devienne évidemment tout autre. […] Ainsi, quand on suppose que le pays qui est aux colonnes d'Hercule va se rejoindre au pays qui est vers l'Inde, et qu'il n'y a qu'une seule et unique mer, on ne me paraît pas faire une supposition par trop incroyable." (Aristote, Traité du Ciel, II, 14-15). Enfin, il apporte un troisième argument, mais qui est faux, c’est que la Terre est au centre de l'univers qu'Aristote conçoit comme fini, donc la sphère serait la figure qui en résulte. Il pense également que les astres sont immobiles et transportés par des cercles auxquels ils sont fixés, puis tourne autour de notre planète, et que les différents objets sont attirés par le centre (Aristote, Traité du Ciel, II, 13). On peut néanmoins percevoir chez le philosophe les premiers balbutiements pour expliquer la force de la pesanteur. Les idées d’Aristote concernant la pesanteur ne seront reprises que par Straton de Lampsaque (vers -340 ; -268) puis seront oubliées jusqu’à la Renaissance. Le fondateur du lycée tentera de calculer le périmètre de la Terre, qu’il estimera à environ 400 000 stades olympiques (équivaut à 74 000 kilomètres), et insiste sur la petitesse de cette longueur par rapport aux distances des corps cosmiques. C’est presque le double de la valeur réelle, mais elle constitue la plus ancienne estimation du périmètre de la Terre dont on dispose (Aristote, Traité du Ciel, II, 14).

 

aristarque.jpgUn astronome platonicien moins connu et contemporain d’Aristote va aussi mentionner une idée intéressante. En effet, pour Héraclide du Pont (-388 ; -312), la Terre tourne sur elle-même et autour de son axe afin d'expliquer le mouvement apparent des étoiles au cours de la nuit, et ajoutait que les planètes Mercure et Venus tournaient autour du Soleil. Il est le premier platonicien à percevoir un système partiellement héliocentrique, tout comme auparavant le pythagoricien Philolaos de Crotone. Bien plus tard, Copernic le revendiquera comme prédécesseur quant à l'hypothèse sur la rotation de la Terre autour d'elle-même en 24 heures. Il avait tort car un pythagoricien que nous avons évoqué auparavant, Hicétas de Syracuse, avait indiqué que la Terre tournait sur elle-même plusieurs siècles avant Héraclide du Pont.

En parallèle, un philosophe aristotélicien continue les travaux d’Aristote, Straton de Lampsaque. Il fut précepteur du futur pharaon Ptolémée Philadelphe à la cour d’Alexandrie entre -300 et -294, puis fut recteur du Lycée en succédant à Théophraste de -289 jusqu‘à sa mort vers -270. Lui n’apportera rien de nouveau, mais il va avoir comme élève, en -287, un homme qui révolutionnera l’astronomie. En effet, on sait peu de choses sur Aristarque de Samos (-310 ; -230). De ses travaux en mathématique et en astronomie ne nous est parvenu que l'ouvrage Sur les dimensions et des distances du Soleil et de la Lune. Il n’est pas impossible qu'il ait écrit d'autres ouvrages disparus lors de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie. Par ailleurs, ce que nous en savons, nous l’avons appris par les écrits d’auteurs qui ne partageaient pas nécessairement son point de vue sur l’Univers. Selon les sources, Aristarque aurait été le premier à penser que la Terre tournait autour du Soleil. Il rompait ainsi avec les aristotéliciens qui dominaient la science grecque et plus tard romaine. D’après le natif de Samos, la Terre orbitait autour du Soleil en un cercle parfait et tournait sur son propre axe, ce qui expliquait le mouvement quotidien et annuel du ciel de nuit (Sir Thomas Little Heath, Aristarchus of Samos - The Ancient Copernicus, A history of Greek astronomy to Aristarchus together with Aristarchus, treatise on the sizes and distances of the sun and moon, a new Greek text with translation and notes, Oxford University Press, 1913). Cette théorie allait à complètement l’encontre des convictions religieuses et philosophiques formulées à l’époque. Il apporte quelques preuves à ce sujet. Si la Terre se déplace autour de l‘astre solaire, alors elle devrait voir les étoiles fixes suivant un angle différent selon la période de l'année. Aristarque indique que cette différence d'angle existe mais n'est pas décelable, car les étoiles fixes sont situées très loin de la Terre. Nous savons que son hypothèse est exacte, puisque cette parallaxe est aujourd’hui mesurable, contrairement à l‘époque. Dans le cas du natif de Samos, sa théorie sur la rotation de la Terre autour du Soleil expliquait le mouvement nocturne et annuel des étoiles. Cependant, il fait aussi la proposition suivante : lorsque la Terre tourne autour du Soleil, la position apparente des étoiles devrait varier légèrement. Si vous observez le ciel et que vous notez la position d’une étoile, vous constaterez que celle sélectionnée s’est légèrement déplacée si vous l’observez dans six mois. En réalité, il s’agit d’un déplacement angulaire apparent qui résulte du passage de la Terre d’un côté à l’autre du Soleil. Ce phénomène, qui s’appelle la parallaxe, est facile à observer. Il suffit de tendre la main devant vous avec le pouce levé, puis fermez un œil en regardez votre pouce. Ensuite, rouvrez-le et, en fermant l’autre, regardez à nouveau votre pouce. On a comme l’impression qu’il a changé de place. En passant d’un œil à l’autre, ce n’est pas votre pouce qui s’est déplacé mais votre point d’observation. Le même phénomène se produit aussi lorsque la Terre tourne autour du Soleil. Observer la position d’une étoile quand la Terre se trouve d’un côté du Soleil puis de l’autre, revient au même que de regarder votre pouce d’un œil puis de l’autre. La plupart des savants de l’époque se conformait aux théories d’Aristote et rejetaient le modèle héliocentrique, préférant le géométrisme. De plus, l’enseignement d’Aristarque de Samos ne s’est pas diffusé partout, contrairement à celui d’Aristote. Certains mathématiciens se posèrent une question d’ordre scientifique qui mis à mal la théorie du natif de Samos : pourquoi Aristarque n’a-t-il pas réussi à mesurer une parallaxe ? Celui-ci pensait avec justesse que les étoiles étaient trop éloignées pour que l’effet de parallaxe soit perceptible. Nous pouvons encore le vérifier avec l’expérience utilisée précédemment. Il suffit de tendre votre pouce à différentes distances de votre visage. Vous constaterez que plus vous le tenez éloigné, moins il a l’air de se déplacer. Si vous pouviez tendre le bras indéfiniment, le déplacement serait si infime qu’il serait imperceptible. Cependant, Aristarque ne pouvait démontrer avec les moyens de l’époque que les étoiles soient tellement éloignées et que les distances sont gigantesques. Les savants de son temps ne pouvait pas imaginer la taille d’une galaxie, d’une constellation, ni même de notre système solaire. Sa théorie pouvait donc paraître insensée. Finalement, le modèle héliocentrique a été rejeté car, s’il offrait une explication de l’apparence du ciel de nuit et de ses changements, il ne pouvait être testé avec les instruments de mesure de l’époque. Même l’un de ses meilleurs disciples d‘Alexandrie, le géomètre Apollonius de Perga (-262 ; -190), reprit le système géocentrique, étant donc en contradiction avec l'enseignement de son maître. La vision aristotélicienne de l’Univers a donc été conservée. Néanmoins, Aristarque de Samos ne sombrera pas dans l’inconnu. En effet, sa théorie sur l’héliocentrisme fut rappelée par le grand savant Archimède de Syracuse (-287 ; -212) à travers son ouvrage L’arénaire, dans lequel il écrit en préface : « Vous n'êtes pas sans savoir que par l'Univers, la plupart des Astronomes signifient une sphère ayant son centre au centre de la Terre […]. Toutefois, Aristarque de Samos a publié des écrits sur les hypothèses astronomiques. Les présuppositions qu'on trouve dans ses écrits suggèrent un univers beaucoup plus grand que celui mentionné plus haut. Il commence en fait avec l'hypothèse que les étoiles fixes et le Soleil sont immobiles. Quant à la terre, elle se déplace autour du soleil sur la circonférence d'un cercle ayant son centre dans le Soleil. »

 

eratosthenes.jpgAprès Aristote de Stagire et Aristarque de Samos, un troisième grec va révolutionner l’astronomie, Eratosthène de Cyrène (-273 ; -192). Il reçu un enseignement à Athènes, puis rejoignit la cour du pharaon Ptolémée III Evergète pour travailler à la bibliothèque d'Alexandrie. Selon nos connaissances actuelles, il fut le premier démontrer l'inclinaison de l'écliptique sur l'équateur (obliquité de l’axe de rotation terrestre) et fixa sa valeur à 23,51°. Il est aussi le véritable fondateur de la géodésie, qui consiste à mesurer et à représenter la surface terrestre. Il détermina le périmètre de la Terre par une méthode géodésique qui porte aujourd’hui son nom. Par cette méthode, il prouva définitivement que la Terre fut sphérique. Pour cela, il calcula les degrés de l'ombre d'un bâton planté à Syene (aujourd’hui Assouan) et de l’ombre formée par un obélisque dressé devant la bibliothèque d’Alexandrie à la même heure. En effet, connaissant la distance de Syène à Alexandrie et l'angle que fait le Soleil à la même heure, il put en déduire la grandeur du méridien terrestre. Après un simple calcul, il obtint une ellipse (courbe plane) qui en la prolongeant devenait une sphère, c‘est-à-dire la Terre. Il estima son périmètre à environ 39 350 kilomètres, ce qui est très proche des véritables mesures (environ 40 075 kilomètres). Nous ne savons pas comment Eratosthène connu la distance entre Syene et Alexandrie pour laquelle il indique une valeur de 5 000 stades. Il s’est probablement servi de cartes cadastrales égyptiennes dressées sur la base d'informations fournies par des « bématistes » (compteurs de pas), qui devaient effectuer le calcul après chaque crue du Nil. Il se peut également qu’il se doit fié aux indications peu précises des caravaniers qui avaient l'habitude de mesurer les distances en « chameau-jours ». Quoi qu'il en soit, il détermina pour la circonférence de la Terre une valeur de 250 000 stades égyptiens, soit une valeur de 39 375 kilomètres (Germaine Aujac, La Géographie dans le Monde antique, Paris, 1975, p. 15-20 et 70-78, et Ératosthène de Cyrène, le pionnier de la géographie: sa mesure de la circonférence terrestre, CTHS, Paris, 2001).

Malgré les précisions apportées par Eratosthène de Cyrène, d’autres savants tentèrent de calculer le périmètre de la Terre, mais ils s’éloignèrent davantage de la réalité, sombrant dans l’erreur. Posidonios d’Apamée (-135 ; -51) n’est pas le moins connu puisqu‘il fut l‘auteur d‘un globe en réduction reproduisant les mouvements conjoints des planètes du système solaire (Cicéron, De la nature des dieux, II, 88). En effet, selon lui, le périmètre de la Terre n’était que de 180 000 stades, soit 28 350 kilomètres. Il a utilisé la même méthode qu’Eratosthène, appliquée à l'arc de méridien entre Alexandrie et l’île de Rhodes. Il en estima une distance approximative selon le temps que prenait le trajet naval, à la vitesse de croisière normale d'une galère. Puis il déduisit la différence en latitude entre Alexandrie et Rhodes, mais obtint des valeurs erronées (Marie Laffranque, Poseidonios d'Apamée, Paris, 1964). Ces erreurs de Posidonios eurent un rôle important au cours de l’histoire. Pendant l’apogée de l’Empire Romain, Claude Ptolémée (100 ; 170) reprit ses calculs en croyant qu’ils étaient proches de la réalité, tout en évitant ceux d’Eratosthène. Les mesures du savant d’Apamée parvinrent jusqu’à la Renaissance, et a même peut-être influencé la décision de Christophe Colomb de rejoindre l’Asie en navigant par l’Ouest. En effet, selon les estimations de l'époque basées sur la valeur de la circonférence terrestre, l'Inde se situait seulement à 70 000 stades (soit environ 11 000 kilomètres) à l'Ouest des côtes européennes. Enfin, n’oublions pas qu’à la même époque d’Eratosthène de Cyrène, l’empereur de Chine Qin Shi Huang avait eut quelques problèmes avec les lettrés chinois, et donc fit brûler les ouvrages de savants anciens ainsi que ceux des intellectuels de l‘époque. Par conséquent, cet acte dramatique entraîna la destruction d’un grand savoir accumulé depuis des siècles, y compris d’observations astronomiques.

 

Tous les savants antiques étaient d’accords sur le fait que la Terre était sphérique. De plus, si la grande majorité des savants de l’époque avait adopté le modèle géocentrique, quelques rares comme Aristarque de Samos avaient conclu que c’était bien la Terre qui tournait autour du Soleil, et non le contraire. Mais l’héliocentrisme fut rejeté par la majorité des savants de l’époque, perdurant dans l’erreur. En avançant dans le temps, les savants vont davantage se tromper, principalement à partir de la christianisation de l’Empire Romain, avec l’influence de la religion monothéiste qui va s’imposer progressivement dans le milieu scientifique (http://realite-histoire.over-blog.com/article-depuis-quand-sait-on-que-la-terre-est-spherique-et-tourne-autour-du-soleil-partie-2-une-decadenc-74498092.html)

Partager cet article
Repost0
30 juin 2010 3 30 /06 /juin /2010 18:10

Certaines personnes aiment faire croire à la population française que la France a capitulé face à l'Allemagne nazi, employant le même discours de de Gaulle. Il s'agit d'un mensonge historique des plus grossiers. C'est entièrement faux, elle a signé un armistice et non capituler. Quelle distinction peut-on fait entre les deux ? La différence est pourtant grande :

- un armistice est simplement une suspension des hostilité, autrement dit un cessé-le-feux, et cela pour un temps souvent indeterminé. Certes, lors d'un armistice, il y a un vainqueur et un vaincu. Malgré tout, ce dernier conserve une partie de sa souveraineté et peut négocier avec les vainqueurs. Ce fut le rôle donné au général Huntziger, chef de la délégation française. Ainsi, la France put conserver, en théorie, son autorité sur la métropole et l'ensemble de son Empire, même si cela fut provisoire. Paradoxalement, ce sont les gaullistes qui ébranleront les premiers cette autorité maintenue par notre pays, notamment en tentant de soulever immédiatement une partie de l'Afrique contre elle, afin de faire reconnaître l'autoproclamé chef de la résistance Charles de Gaulle. Cet armistice de Rethondes était contraignant, certes, mais il était nécessaire, quoi qu'en dise les mythologistes gaullistes. Cela a permit notamment de conserver une partie l'armée française, et à long terme de la restructurer et de la renforcer, ou de maintenir la législation française comme prioritaire à la législation allemande. De plus, condamner l'armistice, ce n'est pas prendre en compte les 10 millions de français (un quart de la population) sur les routes qui devaient être relogés. Ce n'est pas dans une métropole mise à sac que ces Français auraient pu refaire leur vie. Mais le noble de Gaulle ne s'intéressait sans doute pas à ces gens du peuple, dont le fils de paysans Pétain faisait parti. Egalement, il n'y a pas besoin d'être un expert en stratégie pour constater qu'en laissant la zone Sud de la métropole à la France, les Allemands ne purent accéder directement à l'Afrique du Nord. A cause de cette erreur stratégique monumentale, les Américains purent débarquer puis s'installer en Afrique du Nord sans rencontrer de grande opposition, les armées du Reich étant peu présentes. A titre d'information, rappelons qu'un armistice entre la France et l'Italie fut également signé le 24 juin à Olgiata, au nord de Rome.

- une capitulation, c'est lorsque le vaincu est totalement soumis à la volonté du vainqueur, et cela sans aucune condition. Le vainqueur peut faire ce qu'il souhaite, sans aucune limite. Le vaincu ne peut que se taire et subir.

 

Voici quelques citations d'hommes célèbres permettant de nous faire réfléchir sur la nécessité d'un armistice :

- Churchill

* "Je n'ai jamais dit que le gouvernement de Vichy, en signant l'armistice, avait commis un acte de trahison. Mais j'ai trouvé à Londres quelqu'un qui le prétendait. C'est un général français, je m'en suis servi !" (Louis Christian Michelet, La légende gaullienne, Editions Godefroy de Bouillon, 2008, p. 266).

selon lui, à cause de l'armistice, Hitler "a commis la plus grande erreur possible en n'étandant pas son empire à l'Afrique du Nord." (Marc Ferro, Pétain, Fayard, 1987, p. 106).

* au colonel Groussard, il déclara "Je respecte profondément la personne du maréchal Pétain. Je sais qu'à sa place, il serait difficile de faire mieux. Il a à jouer une partie surhumaine, surhumaine vraiment." (André Pertuzio, "Vérités et mensonges", article de l'Action Française 2000, numéro du 19 juillet au 1er août 2001). 

* au général Georges, il lui confie le 8 janvier 1944 à Marrakech : "En juin 1940, après la bataille du Nord, l'Angleterre n'avait plus d'armes. Nous n'avions pas vu la question des chars et celle de l'aviation sur un plan suffisant. L'armistice nous à, en somme, rendu service. Hitler a commis une faute en l'accordant. Il aurait dû aller en Afrique du Nord, s'en emparer et poursuivre en Egypte. Nous aurions eu alors une tâche bien difficile." (Procès Pétain, 9ème audience, Journal Officiel du procès, p. 167, puis rapporté par Jacques Le Groignec dans Pétain, gloire et sacrifice, Nouvelles editions Latines, 1991, p. 115, puis par François Georges Dreyfus dans Histoire de Vichy, Editions de Fallois, 2004, p. 157).

 -de Gaulle

* au général Odic, commandant des forces aériennes d'Afrique du Nord, venu à Londres, il lui dit le 12 décembre 1941 : "N'avouez jamais que l'armistice ne pouvait être évité." (Pierre Chandelier, "Celui qui a dit non", article de Présent, 20 juin 2001, puis rapporté dans la revue Le Maréchal, n°205, 1er trimestre 2002 ; également indiqué par Kenneth Pendar dans Le dilemme France-Etats-Unis, Editions SELF, p. 280-288, et par Louis-Christian Michelet dans la Revanche de l'Armée d'Afrique, Editions Godefroy de Bouillon, 1998, p. 201-202).

* devant l'Assemblée consultative, le 15 mai 1945 : "Qu'on imagine ce qu'eût été le développement du conflit, si la force allemande avait pu disposer des possessions françaises d'Afrique. Au contraire, qu'elle fut l'importance de notre Afrique du Nord comme base de départ pour la libération de l'Europe." (discours rappelé par Jacques Le Groignec dans Pétain et les Américains, Nouvelles Editions Latines, 1995, p. 340).

* au colonel Rémy, il confia en 1947 : "Voyez-vous Rémy, il faut que la France ait toujours deux cordes à son arc. En juin 1940, il lui fallait la corde Pétain aussi bien que la corde de Gaulle." (Jean Rémy, Dix ans avec De Gaulle. 1940-1950, Editions France-Empire, 1971, puis repris par Pierre Chandelier, "Celui qui a dit non", article de Présent, 20 juin 2001, et rapporté dans la revue Le Maréchal, n°205, 1er trimestre 2002, p. 27).

* lors de la signature du décret du 11 avril 1959 par le Premier ministe, relatif à la Commémoration de la Victoire de 1945, il déclara : "Cette victoire n'est d'ailleurs pas la nôtre. L'action de nos forces, qu'elle fut celle de nos armées ou celle de la Résistance, n'a été d'aucun poids dans le résultat final. Elle n'a pas modifié d'un jour ou même d'une heure le moment de la capitulation allemande. Naturellement, j'ai dit et affirmé le contraire, car il fallait que la France figurât parmi les puissances victorieuses et fût présente à la table des vainqueurs." (Roger Belin, Lorsqu'une République chasse l'autre, 1958-1962. Souvenir d'un témoin, Editions Michalon, 1999, p. 199).

-quelques nazis

* l'un des plus fidèles compagnons d'Hitler, le ministre Von Renthe-Fink, déclare à Walter Stucki, ambassadeur de Suisse à Vichy : "Le Führer, le plus grand de tous les hommes vivants, a commis en juin 1940 une faute inconcevable en concluant un armistice avec la France, au lieu d'occuper tout le territoire français et, après avoir traverser l'Espagne, l'Afrique du Nord." (Walter Stucki, La fin du Régime de Vichy, Editions de la Baconnière, 1947, p. 30, et Jacques Le Groignec, Pétain et les Américains, Nouvelles Editions Latines, 1995, p. 233).

* Hermann Goering, maréchal du Reich, avouera que "L'armistice fut la plus grande faute du Führer." (Jean-Raymond Tournoux, Pétain et la France, Plon, 1980, p. 154).

-quelques historiens

* Henri Amouroux, l'un des plus grands historiens français, explique que : "Aujourd'hui, la nécessité de l'armistice n'est pratiquement pas remise en cause, ce qui boulverserait de Gaulle." (Henri Aouroux, La page n'est pas encore tournée, Robert Laffon, 1993, p. 12). La même année de la publication de ce livre, il précisa dans le magazine Valeur Actuelle : "Le gaullisme a imposé l'idée qu'il ne fallait pas signer cet armistice et que Vichy était illégitime. C'est fabuleux ! Mais ce n'est pas sérieux." (Interview d'Henri Amouroux à Valeur Actuelle, 13 décembre 1993, repris par Jacques Le Groignec dans Pétain et les Américains, Nouvelles Editions Latines, 1995, p. 341, puis dans son Phillippique contre les mémoires gaulliens, Nouvelles Editions Latines, 2004, p. 10).

* L'historien allemand Elmar Krautkramer écrira : "Dans l'histoire de la seconde guerre mondiale, on a pas apprécié à sa juste valeur le rôle que la france avait joué entre les deux camps ennemis. Le combat mené par la France et la façon dont elle s'est relevée de sa défaite n'a pas commencé avec l'appel du 18 juin, mais tout a débuté, et peut-être avec plus d'efficacité, avec l'armistice de Rethondes." (Elmar Krautkramer, Vichy 1940-Alger 1942, Economica, 1992).

Partager cet article
Repost0
15 juin 2010 2 15 /06 /juin /2010 23:52

Alors que la France s'apprête à commémorer le 70ème anniversaire de l'appel du général de Gaulle, un article rédigé par le journaliste du nom de José Castano ébranle le mythe du résistant qui aurait lutté pour les intérêts de la France. Plusieurs sites mentionnent cet article (http://www.nationspresse.info/?p=103664, http://jacquesthomet.unblog.fr/2010/06/10/lappel-du-18-juin-ou-la-meconnaissance-de-lhistoire-par-jose-castano/, http://forums.france3.fr/france3/Les-Pieds-Noirs-Le-documentaire/gaulle-bluff-1940-sujet_638_1.htm).

 

Il dévoile quelques sources peu connues du général réfugié à Londres, notamment sur ses ambitions personnelles. Cependant, je peux émettre deux critiques à propos de l'article de Castano. La première est la réalisation de quelques erreurs historiques. Je peux prendre pour exemple la donation des pleins pouvoirs à Pétain qui avait lieu de 10 juillet et non le 17 juin. Par ailleurs, le Maréchal devint Président du Conseil au soir du 16 juin. Un autre erreur de datation concerne la date de l'armistice (à ne pas confondre avec une capitulation) de Rethondes, qui avait lieu le 22 juin 1940 et non le 24 juin. L'auteur a effectué une deuxième faute qui est tout aussi facile à constater. Il n'a pas indiqué l'origine de ses sources. Un exemple dans son article, un passage où il explique que de Gaulle allait quitter Londres pour retourner en France avant son appel, conformément à l'ordre du général Colson, mais que les Britanniques qui l'ont forcé à rester là-bas :

"La réponse arriva de Bordeaux sous la forme d’un câble adressé par le général Colson, secrétaire d’Etat à la Guerre, à l’attaché militaire à Londres, le général Lelong : « Informez le général de Gaulle, qu’il est remis à la disposition du Général commandant en chef. Il doit rentrer sans délai. »

Hésitation de de Gaulle : Obéir ou pas ? Dans un premier temps il décida d’obéir et demanda un avion au général Lelong. Celui-ci désigna le capitaine de l’armée de l’air Brantôme, pour l’accompagner avec l’unique avion que les Anglais avaient laissé aux Français. Cet officier déclarera : « Tout semblait devoir se dérouler sans encombre  lorsque j’apprends que les Anglais, sans avertir personne, avaient fait vidanger le matin même l’essence des réservoirs et déplacer l’avion dans un hangar aux portes cadenassées et gardées par des sentinelles en armes. »"

Je ne remets pas en cause l'honnêteté de Castano, mais comment un historien peut vérifier si la source mentionnée est authentique s'il ne donne pas les références bibliographiques ? Si ce témoignage est probablement réel et ce fait exact, je ne peux pas le vérifier puisque je ne connais pas le livre dans lequel est extrait ce passage. Par conséquent, il m'est impossible d'apporter la preuvre qui me permettrait de confirmer les propos de Castano.

 

Malgré tout, deux questions me viennent à l'esprit après la lecture de l'article de Castano. De Gaulle a-t-il agit prioritairement pour les intérêts de la France ou pour ses intérêts personnelles ? La deuxième question est encore plus importante. Les actions du général français ont t-il contribué davantage à l'unité de la France ou à sa désunion ?

Je peux vous donner des éléments de réflexions à travers un sujet étudié précédément dans ce blog, la Bataille de Dakar du 23 au 25 septembre 1940, marquant le premier acte d'un conflit franco-français créé par de Gaulle et largement évitable, avec des conséquences catastrophiques engendrant notamment l'entrevue de Montoire entre Pétain et Hitler :

- Le 23 septembre 1940 : le début d'une guerre franco-française (1)

- Le 23 septembre 1940 : le début d'une guerre franco-française (2)

 

Enfin, quelques infos sur l'appel du 18 juin lancé de Londres par de Gaulle. Tout d'abord, il faut savoir que quasiment personne n'a entendu l'appel du 18 juin lors de sa diffusion, tout simplement parce qu'il fut lancé par l'intermédiaire de la BBC, une radio anglaise. Encore aujourd'hui, il y a peu de Français qui écoutent les émissions étrangères, que ça soit à la radio ou à la télévision. Environ 10 000 personnes auraient entendu l'appel du 18 juin, mais ce chiffre est très approximatif et sans grande fiabilité. Par ailleurs, il était considéré comme si peu important à l'époque qu'aucun enregistrement n'existe. En revanche, celui du 22 juin, soit 4 jours après, nous est parvenu. En Angleterre, le nombre de soldats français est estimé a environ 340 000, qui étaient présents (avaient fuit la débâcle) avant la venue de de Gaulle. Il s'en servira pour créer son armée, mais la plupart ne le suivront pas. Et  Beaucoup de ces soldats suivaient de Gaulle non pas par admiration, mais tout simplement par qu'ils refusaient l'armistice et souhaitaient avant tout libérer la France de l'occupation allemande. En décembre 1942, de Gaulle aura à sa disposition seulement 73 300 hommes volontaires au sein des Forces Françaises Libres. Du côté des pétainistes, le nombre de membres affiliés aux Chantiers de la jeunesse était d'environ 1 200 000 en 1941. Parmi toutes ces personnes, plus de 600 000 participeront à la libération de la France, dont Delattre de Tassigny, soit bien plus de soldats que ceux aux ordres de De Gaulle. En parlant de Delattre de Tassigny, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la composition de la 1ère armée française qu'il dirigea. En effet, sur les sept divisions que comprendra cette armée, une seule sera commandée par un gaulliste, le général Brosset. Sur les six autres, quatre sont des pétainistes qui ont fait parti de l'Armée de l'armistice, c'est-à-dire Magnan, Monsabert, Touzet du Vigier et Vernejoul. Et encore, je ne prends pas en compte le nombre de soldats intégrés à l'Armée d'Afrique du Nord, les Français les plus admirables selon les Américains. Les pétainistes ont donc contribué davantage que les gaullistes à la remise en place d'une armée française puis à la libération de la France, et les chiffres sont là pour le constater. Néanmoins, l'appel du général de Gaulle a une importance symbolique pour la France, énonçant que la guerre n'était pas terminée et permettant aux Français de garder un espoir pour la suite des évènements. Malgré tout, l'importance historique est moindre, tout simplement parce que l'appel passa presque inaperçu à l'époque.

Partager cet article
Repost0
14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 22:26

batteriegore-copie-5.jpg

Depuis l'Armistice du 22 juin 1940, la France défendait sont droit à rester neutre dans la guerre. Mais la marine française préoccupait beaucoup l'Angleterre qui avait peur de la voir passer du coté Allemand. La récupération de navires modernes par les forces de l'Axe serait désastreuse pour les Anglais. En parallèle, les gaullistes tentaient de persuader les anciennes colonies françaises de rester en guerre contre l’Axe. En septembre 1940, c’est-à-dire trois mois après l'Appel du 18 juin, deux mois après la bataille de Mers el-Kébir, et un mois après le ralliement de l'Afrique Equatoriale Française (AEF), l’autoproclamé chef de la résistance Charles de Gaulle et le Premier ministre britannique Winston Churchill pensaient pouvoir prendre le contrôle politique et militaire de l'Afrique Occidentale Française (AOF) qui obéissait au Gouvernement de Vichy. Cela a engendré la Bataille de Dakar, premier acte de la guerre franco-française, et opération qui aura de lourdes conséquences sur la suite du conflit mondial.

 

Préparation difficile et compromise de l’attaque

 

Lorsqu’on lit les Mémoires de Guerre de Charles de Gaulle (Tome 1, Plon, Paris, 1954, p. 96-111) et le Mémoire sur la deuxième guerre mondiale de Winston Churchill (Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 168-189), on remarque rapidement qu’ils consacrent une place assez importante à l’expédition anglo-gaulliste de Dakar et à sa préparation. Alors qu’ils expliquent souvent leurs aventures de manière généraliste, on constate quelques détails pour cet épisode peu mentionné aujourd’hui dans les bouquins d’histoire. L’échec de cette expédition, qui fut finalement franco-française avant d’être anglo-vichyste, fut ressenti comme une désillusion pour les deux hommes, et surtout pour De Gaulle puisqu’il s’agissait de l’une des rares fois où il s’était placé à la tête de ses forces, et donc était présent sur le terrain. De plus, il accordait une place importante à l’Afrique puisqu’il voulait y établir son autorité et la faire rentrer dans la guerre le plus vite possible : « Dans les vastes étendues de l’Afrique, la France pouvait, en effet, se refaire une armée et une souveraineté [ou la sienne qu'il assimilait à celle de la France ?], en attendant que l’entrée en ligne d’alliés nouveaux, à côté des anciens, renversât la balance des forces […] Participer avec des forces et des terres françaises à la bataille d’Afrique, c’était faire rentrer dans la guerre comme un morceau de la France. » (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 91). Néanmoins, c’est avant-tout le récit de Churchill qui a retenu mon attention pour le nombre plus important de sources, même s’il s’avère peu objectif comme celui de de Gaulle.

C’est à partir du 3 août 1940 que les deux acteurs prévoyaient un projet de débarquement en Afrique Occidentale, que tenait à cœur De Gaulle. Voici ce que disait le Premier ministre anglais : « Dans la soirée du 3 août 1940, j’envoyai, des Chequers, mon approbation générale à un projet de débarquement de forces françaises libres en Afrique occidentale. Le général de Gaulle, le général de division Spears et le major Morton avaient dressé les grandes lignes d’un plan dont le but était de planter le drapeau de la France Libre en Afrique occidentale et d’occuper Dakar, afin de consolider ainsi la situation dans les colonies de l’Afrique occidentale et équatoriale en faveur du général de Gaulle et de permettre le ralliement ultérieur des colonies de l’Afrique du Nord. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 169). Dakar était déjà évoqué, mais pourquoi ? Cette ville portuaire occupait une position stratégique enviable. Elle se situait au point de séparation de l’Atlantique nord et sud, en avancée face à l’Amérique latine, et sur le chemin entre l’Afrique du Sud et l’Europe. Churchill ajouta que le lendemain, les chefs d’état-major britanniques analysèrent ce plan prévu la sous-commission des plans d’opérations combinées puis rédigèrent un rapport au Cabinet de guerre. Trois éléments étaient pris en compte : « premièrement, les forces devraient être armées et réparties entre les navires de manière à pouvoir débarquer dans n’importe quel port français de l’Afrique occidentale ; deuxièmement, l’opération serait accomplie uniquement par des troupes françaises libres, sans éléments britanniques autres que les navires de transport et d’escorte ; troisièmement, l’affaire se règlerait entre Français, de sorte que les troupes débarqueraient sans rencontrer d’opposition véritable. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 169). Les Anglais pensaient que l’arrivée des troupes de de Gaulle n’enclencherait pas réellement d’hostilité et que les troupes stationées sur place se rangeraient derrière l’auto-proclamé chef de la France libre. Mais ce plan initial écartait toute attaque directe de la place puisque les effectifs des troupes gaullistes étaient très faibles à cette époque (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 96-97). Il s’agissait de débarquer à Conakry une colonne ouverte par voie maritime et par les britanniques, afin que la flotte puisse progresser ensuite sur Dakar (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 97).

Une conversation sérieuse eut lieu entre de Gaulle et Churchill le 6 août 1940 à Downing Street, et les deux hommes pensaient nécessaires le principe d’une expédition sur Dakar : « Nous envisageons d’y consacrer une escadre considérable. Mais cette escadre, nous ne pourrions la laisser longtemps sur les côtes d’Afrique. La nécessité de la reprendre pour contribuer à la couverture de l’Angleterre, ainsi qu’à nos opérations en Méditerranée exige que nous fassions les choses très rapidement. » (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 97). La narration qu’en fait de Gaulle est intéressante puisqu’on y découvre les buts poursuivis par les deux acteurs, les enjeux stratégiques, mais aussi leurs personnalités. On voit aussi de sa part le souci de préparer ses lecteurs à comprendre les raisons d’échec et à réduire sa part de responsabilité (mais qui sera plus importante qu’il le prétendra, nous le verrons plus tard). Cependant, Churchill envisagea un plan d’action visant à occuper et à rallier la capitale fédérale de l’Afrique Occidentale, qui consista en une attaque directe sur la ville. Selon de Gaulle, il était prévue qu’une escadre serait envoyée à Dakar, et des parlementaires iraient alors rencontrer le gouverneur Boisson afin de choisir entre coopérer ou subir une attaque alliée (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 98). A l’issu de plusieurs réunions, de Gaulle se rend à l’évidence et oublia Conakry. Il est prêt à s’associer aux britannique dans le cadre d’une attaque directe sur Dakar. Cette place est un moyen pour le contrôle de l’Empire français demeuré presque intact après la débâcle de mai-juin 40. Le gouvernement de Vichy avait pu maintenir tant bien que mal sa souveraineté, à part le Tchad et déjà une grande partie de l’Afrique Equatoriale qui commençait à basculer chez les gaullistes. De son côté, de Gaulle voulait s’appuyer sur cette base pour "participer avec des forces et des terres françaises à la bataille d’Afrique, arracher la France à l’exil et l’installer en toute souveraineté en territoire national". Le 7 août à 23 heures, Churchill préside une réunion entre les chefs d’état-major. Il était convaincu que Dakar était le meilleur endroit pour faire débarquer les forces gaullistes, mais que l’opération devait être soutenue par les Britanniques afin d’être suffisamment nombreux pour en assurer le succès. Cependant, l’état-major se montrait hésitant : « Les chefs d’état-major soulignèrent qu’il y avait contradiction entre une politique visant à améliorer nos relations avec Vichy et l’intérêt que nous avions à mobiliser les colonies françaises contre l’Allemagne. Il soulignèrent que le mouvement du général de Gaulle risquait de nous attirer une guerre avec la France métropolitaine et ses  colonies. Si, toutefois, les renseignements envoyés par les agents de la France Libre qui se trouvaient sur place et par nos propres représentants dans la région étaient favorables, ils se déclaraient en faveur de l’opération. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 170). Il faut donc convaincre.

Le 8 août 1940, Churchill tente de justifier l’importance du projet :

« Premier Ministre à général Ismay

pour Conseil des chefs d’état-major

1° Le télégramme envoyé par le gouverneur du Nigeria montre qu’il faut craindre de voir l’influence allemande s’étendre rapidement dans les colonies d’Afrique occidentale française avec la connivence ou l’appui du gouvernement de Vichy [il s’agit ici d’un mensonge puisqu’une coopération militaire entre la France et l’Allemagne n’était pas prévue à ce moment, et les Allemands ne montraient guère d’intérêts pour l’Afrique en 40, même ils s'y implantèrent progressivement]. Si nous n’agissons pas avec célérité et énergie, nous risquons de voir s’installer tout au long des côtes des bases efficaces de sous-marins, appuyées par l’aviation allemande.  Il en résultera que cette côte nous sera interdite alors que les Allemands en disposeront dans les mêmes conditions que le côte occidentale d’Europe.

[…]

3° Il paraît extrêmement important pour les intérêts britanniques que le général de Gaulle puisse s’emparer de Dakar le plus tôt possible. Si des émissaires signalent qu’il peut le faire pacifiquement, tant mieux. Si leurs rapports sont défavorables, on pourra fournir un effectif polonais et britannique convenable et tout l’appui naval nécessaire. L’opération, une fois commencée, devra être menée jusqu’au bout. De Gaulle lui donnera un caractère français et, bien entendu, en cas de succès, c’est son administration qui fonctionnera. Mais il nous faut fournir l’appoint de forces nécessaire.

4° Les chefs d’état-major prépareront un plan ayant pour objectif la conquête de Dakar. Ils considéreront comme disponibles, à cet effet : a) les troupes de de Gaulle et tous les navires français qu’on pourra réunir ; b) un détachement naval britannique assez important pour être supérieur aux navires de guerre français se trouvant dans les parages, et pour couvrir le débarquement ; c) une brigade de Polonais convenablement équipés ; d) la Royale Marine Brigade qui avait été gardée disponible pour les îles de l’Atlantique, mais qui pourrait fort bien aider d’abord à se mettre de Gaulle à terre, ou, à défaut, des commandos de sir Roger Keyes ; e) un soutien aérien convenable, fourni soit par des portes-avions, soit par des appareils opérant à partir d’une colonie britannique de l’Afrique occidentale.

[…]

6° Il n’est pas envisagé, si Dakar est pris, d’y établir des forces britanniques. L’administration du général de Gaulle sera mise en place et devra assurer sa propre subsistance, l’aide anglaise se limitant à l’envoi d’approvisionnements d’une importance modérée et, naturellement, à l’interception de toute expédition qui pourrait venir par mer de la France germanisée. Si de Gaulle ne réussissait pas à se maintenir à demeure à cause des attaques d’avions ou de troupes aéroportées, nous le rembarquerions après avoir détruit toutes les installations du port. En tout état de cause, il faudra appareiller le Richelieu, sous pavillon français, et le réparer. Les Polonais et les Belges recouvreront également leur or que le gouvernement français avait envoyé en sécurité en Afrique avant l’armistice.

[…]

8° Le cabinet se réserve d’examiner dans quelle mesure on risque une déclaration de guerre de la France et il appréciera jusqu’à quelle limite il convient de courir ce danger. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 170-171).

 

churchill_1024.jpgChurchill présenta le projet au Cabinet de guerre britannique le 13 août, et ajouta que cette opération devait aller plus loin que le projet officiel, limité à une action française. Ce conseil l’approuva, mais émit quelques réserves puisqu’il craignait une déclaration de guerre de la France, une chose que le Premier ministre anglais ne croyait pas. Ce dernier s’engagea alors dans le lancement de cette opération qui reçut la dénomination de « Menace ». En parallèle, il tente de deviner la position de la France : « Il y avait de grandes chances d’atteindre ces résultats sans effusion de sang et mon instinct me disait que la France de Vichy ne déclarerait pas la guerre.  La résistance obstinée de l’Angleterre, l’état d’esprit résolu des Etats-Unis, avaient éveillé de nouveaux espoirs dans les cœurs français. Si nous gagnions, Vichy pouvait se contenter de hausser les épaules. Si nous perdions, Vichy pouvait tirer parti de sa résistance en présentant comme un acte de vertu à ses maîtres allemands. Le danger le plus grave aurait été une prolongation des combats. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 172). Sur ce point, on ne peut pas dire que Churchill s’était beaucoup trompé. Malgré tout, n’oublions pas qu’il a écrit après la guerre et qu’il aurait très bien pu penser différemment durant la Seconde Guerre Mondiale. Puis il explique que les gaullistes étaient prêts à créer un conflit au sein de l’armée française et ne seraient pas opposés à voir les Britanniques à attaquer des français dépendant de Vichy : « A cette époque, les forces de la France Libre en Angleterre n’étaient encore qu’un groupe de héros en exil [c’est son point de vue] ayant pris les armes contre le gouvernement qui fonctionnait dans leur pays. Ils étaient prêts à tirer sur leurs compatriotes et à accepter de voir couler des navires français par des canons britanniques. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 173). La guerre franco-française est nécessaire aux gaullistes car c’est le seul moyen qu’ils ont pour faire reconnaître la légitimité de Gaulle. Mais est-ce que ce conflit national servait davantage les intérêts de la France ou prioritairement ceux de de Gaulle ?

Le 20 août à 22H30, Le Premier ministre britannique préside une réunion avec chefs d’état-major et Charles de Gaulle. Ils décidèrent ensemble des différentes étapes de l’opération : « Le groupe des navires anglo-français arrivera à l’aube devant Dakar, des avions jetteront des banderoles et des tracts sur la ville, l’escadre anglaise restera à l’horizon et les navires français s’approcheront du port. Un parlementaire, transporté par une embarcation arborant le pavillon tricolore et un pavillon blanc, pénétrera dans ce port, pour remettre à l’adresse du gouverneur, une lettre annonçant que le général de Gaulle et ses troupes de la France Libre arrivait. Le général de Gaulle soulignera dans cette lettre qu’il vient pour prémunir Dakar contre le danger imminent d’une agression allemande et qu’il apporte des vivres et des secours pour la garnison et les habitants. Si le gouverneur se montre raisonnable tout ira pour le mieux, dans le cas contraire et si les défenses côtières ouvrent le feu, les escadres britanniques se rapprocheront. Si l’opposition persiste, les bâtiments de guerre britanniques ouvriront le feu sur les batteries françaises, mais avec la plus extrême réserve. Si l’opposition se fait résolue, les forces anglaises mettront tous leurs moyens en œuvre pour vaincre la résistance. Il est essentiel que l’opération puisse être achevée et que le général de Gaulle soit maître de Dakar, à la tombée de la nuit. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 174).

 

Richfrbb-copie-1.jpgCependant, plusieurs imprévus empêchèrent la réalisation de ce projet à temps. Dès le 22 août, Churchill reçoit une lettre du secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères lui indiquant que des fuites s’étaient produites au sujet de cette attaque surprise. Est-ce que le maréchal Pétain était au courant de l’opération anglo-gaulliste envisagée ? En l’absence de preuve, nous ne pouvons pas le savoir. Mais des déplacements de troupes françaises nous suggèrent qu’il craignait une attaque : « Le 9 septembre à 18H24, le consul général britannique de Tanger câbla à l’amiral North, commandant la station de l’Atlantique Nord, qu’il le rencontrerait à Gibraltar, et transmit le message suivant au Foreign Office : « Reçu ce qui suit de « Jacques ». Il est possible qu’une escadre française essaye de franchir le détroit en directions de l’Ouest, en route vers une destination inconnue. Cette tentative pourrait être réglée de manière à se produire dans les soixante-douze heures qui viennent. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 175). En revanche, rien ne dit que les pétainistes savaient que les gaullistes participeraient à l’offensive, et l’objectif de mouvement de troupe était probablement de contrer les Anglais en cas d’attaque de ces derniers, afin de ne pas assister à un nouveau Mers el-Kebir. Selon le Premier ministre britannique, le télégramme fut répété de Tanger au Foreign Office et reçu le 10 à 7H50. Cependant, Londres subissait un bombardement aérien intensif de la part des Allemands, engendrant un retard dans le déchiffrement des télégrammes puisque le travail était régulièrement interrompu. De plus, il ajoute le message ne comportait pas la mention « Important » et n’a donc pas été immédiatement décrypté. Alors il ne fut distribué que le 14 septembre, jour où il atteignit l’Amirauté. La marine anglaise tenta malgré tout d’intercepter la flotte française qui franchissait Gibraltar pour rejoindre Dakar, mais ce fut un échec : « Le 10 septembre, à 18 heures, l’attaché naval britannique à Madrid fut informé officiellement par l’Amirauté française que trois croiseurs du type Georges-Leygues et trois contre-torpilleurs, avaient appareillé de Toulon et comptaient franchir le détroit de Gibraltar dans la matinée du 11. Telle était la procédure normale, alors acceptée par le gouvernement de Vichy, et c’était une mesure de précaution qu’il ne prenait qu’au tout dernier moment. L’attaché naval en rendit compte aussitôt à l’Amirauté et à l’amiral North, à Gibraltar. Le message fut reçu à Londres à 23 h 50, le 10 septembre. Il fut déchiffré et envoyé au capitaine de vaisseau de service qui le transmit au directeur de la division des opérations (section étranger). Cet officier qui n’ignorait rien, quant à lui, de l’opération de Dakar, eût dû en saisir immédiatement l’importance décisive. Il n’eut cependant pas de réaction instantanée et laissa le message suivre la voie ordinaire avec les autres télégrammes destinés au Premier Lord de la Mer. Cette bévue lui valut de recevoir, par la suite, un blâme de la part des Lords » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 175-176).

Malgré tout, les Anglais tentèrent de réagirent, mais c’est un autre problème de communication qui ruina leurs efforts : « Toutefois, le destroyer Hotspur, qui patrouillait en Méditerranée, aperçut les navires français le 11 septembre, à 5 h 15, à 50 milles dans l’est de Gibraltar et les signale à l’amiral North. L’amiral Somerville, chef de la Force H alors basée sur Gibraltar, avait également reçu copie du télégramme de l’attaché naval à Madrid, huit minutes après minuit, ce même jour. A 7 heures, il ordonna au Renown de se tenir à une heure d’appareillage et attendit les instructions de l’Amirauté. Par suite de l’erreur commise par le directeur de la division des opérations et du retard subi au Foreign Office par le télégramme du consul général de Tanger, le Premier Lord de la Mer ignora tout du passage des navires de guerre français jusqu’au moment où le message du Hotspur lui fut présenté, pendant le conseil que les chefs d’état-major tenaient avant la séance du cabinet. Il téléphona aussitôt à l’Amirauté pour que fût envoyé l’ordre de faire pousser les faux du Renown et à ses destroyers. C’était déjà chose faite. Il se présenta alors devant le Cabinet de guerre. Mais à cause de la coïncidence qui avait voulu que deux communications séparées – celle du conseil général de Tanger et celle de l’attaché naval de Madrid – eussent manqué leur but et, parce qu’elles n’avaient pas reçu l’attention qu’elles méritaient aux divers échelons, il était trop tard pour réagir. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 176).

Cependant, après que les troupes françaises du maréchal Pétain eussent passé Gibraltar, les autorités britanniques donnèrent rapidement des instructions au Renown avant de les intercepter à Casablanca : « Trois croiseurs et trois contre-torpilleurs français passèrent le détroit à toute vitesse (25 nœuds), le 11, à 8 h 35 et descendirent vers le Sud le long de la côte d’Afrique. Le Cabinet de guerre, quand il en fut informé, demanda immédiatement au Premier Lord d’ordonner au Renown de prendre contact avec ces navires, de leur demander leur destination et de leur faire comprendre qu’ils ne seraient autorisés à gagner aucun port occupé par les Allemands [je pense que ce n’est qu’un faux prétexte car une coopération militaire franco-allemande n’était pas encore envisagée, mais peut-être la craignait-il]. S’ils répondaient qu’ils se dirigeraient vers le Sud, il fallait leur dire qu’ils pouvaient se rendre à Casablanca et, dans les cas, les y escorter. S’ils ressayaient de dépasser Casablanca pour se rendre à Dakar, il fallait les arrêter. Mais les croiseurs ne furent pas rattrapés. Casablanca fut masqué par la brumasse le 12 et le 13. Un des avions de reconnaissance anglais fut abattu, les renseignements sur la présence de nouveaux navires de guerre dans ce port restèrent contradictoire, le Renown et ses destroyers attendirent toute la journée et toute la nuit dans le sud de Casablanca dans l’espoir d’intercepter l’escadre française. Le 13, à 16 h 20, le Renown reçut un message d’avion annonçant qu’il n’y avait pas de croiseurs à Casablanca. En fait, il était déjà loin dans le sud, faisant route sur Dakar à toute vitesse. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 177).

Malgré tout, des troupes britanniques arrivèrent dans le Sud de Dakar, à proximité de Freetown. Il fallait intercepter les croiseurs français avant de commencer l’attaque. Voici ce que précise Churchill : « Le 14 septembre, à 12 h 16, l’Amirauté signala à l’amiral John Cunningham que les croiseurs français avaient quitté Casablanca à un moment inconnu et lui ordonna de les empêcher d’entrer à Dakar. Il lui était dit de mettre en œuvre tous les navires qu’il avait sous la main, y compris le Cumberland ; l’Ark Royal lancerait ses avions sans être protégé par un rideau de destroyers si on ne pouvait faire autrement. En conséquence, les croiseurs Devonshire, Australia et Cumberland, ainsi que l’Ark Royal, effectuèrent un demi-tour et firent route à toute vitesse pour aller s’établir sur une ligne de patrouille dans le nord de Dakar. Ils n’arrivèrent pas à poste avant la soirée du 14 septembre. L’escadre française était déjà mouillée dans le port et ses tentes étaient faites. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 177).

Par ailleurs, un long retard de transport de troupes avait déjà entaché cette opération : « Nous avions espéré agir le 8 septembre, mais il s’avéra que le détachement principal était obligé de se rendre d’abord à Freetown pour se ravitailler en combustible et prendre ses dernières dispositions. Le plan prévoyait que les transports de troupes françaises [les gaullistes] atteindraient Dakar en seize jours, à la vitesse de 12 nœuds. Mais on découvrit que les bâtiments transportant le matériel ne pouvaient donner que 8 ou 9 nœuds, et cette découverte fut signalée seulement au moment où un transbordement sur des bâtiments plus rapides n’était susceptible de faire gagner du temps. Au total, on ne put éviter un retard de dix jours sur la date primitivement fixée : cinq jours à cause de difficultés imprévues rencontrées dans le chargement, deux jours pour le ravitaillement à Freetown. Il fallut nous résigner à la date du 18 septembre. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 173-174).

 

Les problèmes de communication, de maîtrise du territoire et de transport rendaient impossible le bon déroulement de la préparation de l’Opération Menace. Par ailleurs, le Régime de Vichy avait envoyé des renforts sur Dakar afin de protéger cette place stratégique. Sans doute que les fuites d’informations avaient permit au gouverneur général Boisson, Haut Commissaire de l'Afrique française depuis le 26 juin 1940, de préparer la défense en demandant des renforts au maréchal Pétain. Après Mers El-Kébir, il ne serait pas étonnant que les Anglais attaquent un nouveau poste français, et ils avaient sans doute retenu la leçon. En revanche, ils s’attendaient peut-être moins à une attaque gaulliste puisque le conflit entre De Gaulle et Pétain n’avait pas encore engendré de lutte armée entre Français. Mais pour Churchill, toutes les défaillances récapitulées précédemment empêchaient l’application de l’Opération Menace : « Cette série d’incident réglait le sort de l’opération franco-britannique contre Dakar. Pour moi, il ne fit plus de doute qu’elle devait être abandonnée. L’arrivée de l’escadre française, qui apportaient probablement des renforts, de bons canonniers et des officiers tout dévoués à Vichy pour emporter la décision du gouverneur [Boisson], amener la garnison à combattre et armer les batteries, me paraissait avoir complètement ruiné le projet de débarquer et de faire occuper le port par le général de Gaulle sans effusion de sang. Il était toutefois possible de modifier nos plans sans porter atteinte à notre prestige qui avait alors tant d’importance, voire sans que personne en sût rien. L’expédition pouvait être dérivée sur Douala, les navires de transports pouvaient couvrir les opérations du général de Gaulle contre le Cameroun français, puis se disperser ou rentrer en Angleterre. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 177-178). Le Cabinet de guerre britannique se réunit le 16 septembre, et le Premier ministre explique que l’offensive sur Dakar ne pouvait se dérouler correctement : « Aussi, lorsque le Cabinet de guerre se réunit le 16 septembre à midi, j’esquissai l’histoire de l’opération de Dakar depuis son origine, j’exposai les graves conséquences qu’avait eues le retardement de la date primitivement fixée au 13, les diverses fuites qui avaient rompu le secret, et le regrettable incident qui avait permis aux navires français de se glisser à travers le détroit, et je conclu en disant que la situation était changée du tout au tout, qu’il ne pouvait plus être question de cette opération. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 178). Le Cabinet britannique approuvait cette sage décision. Il envoya de nouveaux ordres aux troupes stationnées près de Dakar à 14 heures :

« Le gouvernement de Sa Majesté a décidé que la présence des croiseurs français à Dakar rendait l’opération de Dakar inexécutable. Des variantes au plan ont été étudiées ici. Un débarquement à Conakry ne paraît pas offrir la moindre chance de succès étant donnés la difficulté des communications avec Bamako, le manque de moyens de transports pour les troupes et la probabilité de voir intervenir prématurément des forces venant de Dakar. En outre, il n’est pas possible d’exercer un blocus serré du côté de la mer avec les forces navales disponibles, de sorte que la présence du détachement de Gaulle à Bamako n’exercerait aucune influence appréciable sur la situation à Dakar. Il semble que la meilleure solution consisterait, pour le général de Gaulle, à débarquer à Douala, afin de consolider la situation au Cameroun, dans l’Afrique Equatoriale et au Tchad, et d’étendre son influence jusqu’à Libreville. Pour le moment, la fraction anglaise des troupes demeurerait à Freetown.

Ce plan serait à mettre immédiatement en application à moins que le général de Gaulle n’ait de fortes objections à présenter contre ce dernier projet. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 178).

Malgré tout, de Gaulle en décidera autrement.

 

General_Spears_and_General_de_Gaulle.jpgL’insistance de de Gaulle et d’officiers britanniques

 

Malgré la volonté de Churchill et du Cabinet de guerre britannique d’annuler l’opération, les généraux stationnés non loin de Dakar s’opposèrent à cette décision : « L’expédition arriva à Freetown le 17 septembre. Tous les chefs réagirent énergiquement contre l’idée d’abandonner l’entreprise. L’amiral [North] et le général [De Gaulle] firent observer que tant qu’on ne savait pas dans quelle mesure à l’arrivée des croiseurs de Vichy pouvait avoir relevé le moral à Dakar, leur présence ne modifiait pas matériellement la situation navale antérieure. Pour l’instant, déclarèrent-ils, ces croiseurs avaient établi leurs tentes et deux d’entre eux étaient mouillés de telle sorte qu’ils étaient virtuellement incapables d’agir, tout en offrant d’excellentes cibles de bombardement. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 179). Cependant, tous ne partageaient pas cet avis. Le Premier ministre anglais précisa que le général Irwin avait noté ses inquiétudes par écrit. Il réfléchit donc à une solution et proposa aux officiers du royaume de laisser Gaulle agir. Alors il envoya un message le 16 septembre à 23 h 52 afin de négocier : « Vous avez toute la latitude pour juger l’ensemble de la situation par vous-mêmes et pour consulter de Gaulle. Nous étudierons soigneusement tous les avis que vous pourrez nous donner. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 179). Mais Charles de Gaulle protesta énergiquement car il souhaitait que le projet qui était prévu auparavant soit mis en place. Il renvoie un message à Winston Churchill : « Le moins que puisse faire le gouvernement britannique, déclarait-il, serait de maintenir sa décision récente et négative au sujet d’une action directe contre Dakar par la mer, et je demande alors la collaboration immédiate des forces britanniques, navales et aériennes, présentes ici, pour appuyer et couvrir une opération que je conduirai personnellement de l’intérieur contre Dakar, avec mes propres troupes. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 179-180 [l’auteur précise que le document français authentique n’a pas été retrouvé et que ce texte est une retraduction de l’anglais, donc il faut émettre des réserves sur sa forme]). Le Cabinet de guerre se réunit de nouveau le 17 septembre à 9 heures. Les membres s’accordèrent sur le fait que les chefs des opérations étaient mieux placés pour juger de la situation, mais ils se montrèrent prudent. La décision finale fut prise le lendemain et c’est Churchill en personne qui rédigea message. Il fut envoyé le 18 septembre à 13 h 20 : « Nous ne pouvons juger d’ici la valeur relative des avantages que présentent les diverses solutions. Nous vous donnons toute latitude pour agir et pour faire ce que vous estimerez le mieux en vue d’atteindre le but primitif de l’opération. Tenez-nous informés. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 181). En parallèle, les « penseurs » de l’opération se réunirent afin de décider des étapes à suivre. Un compte rendu de cette réunion fut envoyé au gouvernement britannique qui le reçu le 18 septembre à 7 h 56, et Churchill le recopie dans ses mémoires :

« Au cours d’une réunion tenue aujourd’hui, de Gaulle a insisté sur la nécessité d’agir rapidement à Dakar … Il a été prévenu qu’il pourrait trouver à Dakar un appui substantiel si des agents étaient envoyés pour provoquer cet appui, si l’on ne tardait pas inutilement à agir, et si l’on évitait de donner à l’opération un caractère par trop britannique. Ses agents se tiennent prêts à Bathurst et ont reçu leurs instructions. De Gaulle propose maintenant l’exécution du plan original consistant à entrer dans le port sans opposition, mais il ajoute que, si ce plan échoue, ses troupes françaises libres devraient essayer de débarquer à Rufisque, appuyées, si la chose est nécessaire, par une action navale et aérienne ; on devrait ensuite marcher sur Dakar. Les troupes britanniques ne descendront à terre, si leur soutien est demandé, que lorsqu’une tête de pont aura été établie …

Après avoir soigneusement examiné tous les éléments, nous pensons que la présence de ces trois croiseurs n’a pas suffisamment accru les risques, acceptés dès le début, pour justifier l’abandon de l’entreprise. En conséquence, nous proposons d’accepter les nouvelles propositions de de Gaulle et, s’il échoue, de débarquer les troupes britanniques pour l’établir comme il était initialement prévu. Toutefois, nous jugeons essentiel d’accroître nos forces navales.

L’opération serait exécutée quatre jours après que nous aurions eu connaissance de la décision du gouvernement de Sa Majesté. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 180).

Le général Irwin, qui montrait quelques inquiétudes sur la réussite de l’opération, est finalement convaincu. Il envoie alors un télégramme au chef d’état major impérial, dont voici le contenu : « Comme vous le savez, j’ai déjà accepté, dans cette opération, des risques qui ne se justifiaient pas par des raisons purement militaires. Les nouveaux renseignements montrent que ces risques se sont peut-être accrus, mais j’estime qu’il convient de les supporter étant données les conséquences évidentes qu’entraînerait un succès. De Gaulle s’est également engagé à collaborer d’une manière totale avec les troupes britanniques en cas de besoin, et il n’a pas reculé devant la responsabilité de faire combattre des Français contre des Français. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 180). Ainsi, de Gaulle était prêt à créer un conflit entre Français et toutes les conséquences que cela pourraient engendrer, afin d’accroître son autorité sur le continent africain et pour que l’autoproclamé chef de la « France Libre » montre davantage sa légitimité.

Le 19 septembre, des nouvelles vont de nouveau compromettre la réussite de l’Opération Menace : « Le 19, le Premier Lord de la Mer signala que l’escadre française, ou certains de ses éléments, appareillaient de Dakar vers le Sud. Il devenait assez net qu’elle avait amené à Dakar des troupes, des techniciens et des autorités fidèles au gouvernement de Vichy. Les probabilités de rencontrer une résistance vigoureuse s’accroissaient hors de toute proportion pour les nouvelles forces engagées. La lutte serait certainement très vive. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 181). Cependant, les anglo-gaullistes ne réagirent pas alors qu’ils les avaient pourtant intercepté : « Mes collègues, qui étaient de caractère résolu, mais savaient aussi s’adapter avec souplesse aux circonstances, comme il convient en temps de guerre, partagèrent mon sentiment instinctif qu’il fallait laisser aller les choses, et nous écoutâmes silencieusement les divers rapports. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 181).

Avant de passer à l’offensive, Winston Churchill tint au courant le général Smuts et le président américain Roosevelt de la future attaque. Voici d’abord la lettre au général Smuts qui est daté du 22 septembre 1940 et qui illustre les motivations et les ambitions de l’auteur :

« Vous devez avoir vu mon message relatif à Dakar. J’ai longuement réfléchi à ce que vous avez dis dans vos divers télégrammes sur la nécessité de ne pas négliger le secteur africain. Le mouvement de de Gaulle pour délivrer les colonies françaises s’est développé avec succès en Afrique Equatoriale et au Cameroun. Nous ne pouvons laisser échapper ces gains substantiels du fait des navires et du personnel envoyés par Vichy, probablement sur l’ordre des Allemands [hypothèse toujours non prouvée aujourd’hui, et certainement fausse]. Si Dakar tombait sous le contrôle germanique et devenait une base de sous-marins, il en résulterait des conséquences mortelles pour la route du Cap. Nous avons donc entrepris la tâche d’installer de Gaulle à Dakar, pacifiquement si nous le pouvons, par la force s’il le faut, et l’opération qui ne va pas tarder à se déclencher semble disposer des forces nécessaires.

Bien entendu, le risque d’une collision sanglante avec les marins français et une partie de la garnison et une partie de la garnison, n’est pas négligeable. A tout bien peser, je considère qu’il y a très peu de chances de se heurter à quelque résistance sérieuse, étant donnés le moral assez bas et la situation malheureuse de cette colonie, ainsi que la ruine et la famine qui la menacent du fait que nous sommes maîtres de la mer. Toutefois, nous ne serons sûrs de rien tant que nous n’aurions pas essayé. Nous avons été sérieusement préoccupés par l’argument selon lequel il ne faudrait pas courir un tel risque au moment où l’opinion française, encouragée par la résistance britannique, évolue en notre faveur, même à Vichy, et tout ce qui ressemblerait à un second Oran déterminerait un sérieux recul. Nous en sommes venus, toutefois, à la conclusion unanime que cette objection ne pouvait s’avérer valable, et qu’en tout cas il y aurait beaucoup plus de danger à ne rien faire et à permettre à Vichy de l’emporter sur de Gaulle [l’avenir ne donnera pas raison à Churchill puisque c’est justement à la suite des attaques anglo-gaullistes que Vichy va se rapprocher des Allemands au sujet des questions militaires, et donc causer un plus grand danger envers son pays]. Puisque Vichy ne nous a pas déclaré la guerre après Oran ni sous la pression de notre blocus, il n’y a aucune raison de penser qu’il le fera s’il y a un combat à Dakar. En plus de l’importance stratégique de ce port et des conséquences politiques qu’aura sa conquête par de Gaulle, il y a 60 ou 70 millions d’or belge et polonais indûment conservés à l’intérieur, et le grand cuirassé Richelieu, qui n’a pas du tout été définitivement mis hors de combat, tombera indirectement entre nos mains. De toute façon, les dés sont jetés. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 182-183).

Le 23 septembre 1940, c’est-à-dire le jour de l’attaque, le Premier ministre britannique envoie un télégramme à Roosevelt. A cette occasion, il souhaite un soutient de la marine américaine mais demande de convaincre le gouvernement français de ne pas déclarer la guerre à l’Angleterre :

« La réception de votre information relative à Dakar, transmise par lord Lothian, m’a été un encouragement. Il serait contraire à nos intérêts communs que de puissantes forces allemandes, sous-marines et aériennes, s’établissent dans ce port. Il semble que la lutte puisse être assez chaude. Je me trompe peut-être mais, de toute façon, les ordres ont été donnés pour mener les choses énergiquement. Nous serions enchantés si vous vouliez bien envoyer quelques navires de guerre américains à Monrovia et à Freetown, et j’espère qu’à ce moment Dakar sera prêt à recevoir leur visite. Mais ce qui importe véritablement en ce moment, c’est que vous fassiez comprendre au gouvernement français qu’une déclaration de guerre aurait le plus mauvais effet sur l’attitude des Etats-Unis à son égard. Si Vichy déclare la guerre, il n’y aura plus à distinguer entre lui et l’Allemagne, et ses possessions dans l’hémisphère occidental devront être traitées comme d’éventuelles possessions germaniques.

Grand merci également pour votre allusion à l’invasion. Nous sommes tout prêts à recevoir l’ennemi. Je suis très heureux des nouvelles concernant les fusils. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 183-184). A la veille l’attaque, Churchill montre quelques doutes sur les chances de succès, même s’il tente de garder son optimisme.

 

23-09c.jpg

Le 23 septembre, premier jour de l'Opération Menace et la débâcle gaulliste

 

Pour évoquer cet événement, je ne me suis pas uniquement basé aux mémoires de Churchill et De Gaulle, qui sont trop subjectifs et pas assez précis pour être seulement pris en compte. Le site Internet http://dakar.1940.free.fr/ explique parfaitement et de manière très claire le déroulement des faits, même s’il manque parfois d’objectivité. Il a été d’une aide non négligeable pour la rédaction de ce passage de mon article. J’ai pu donc comparer les dires de Churchill et de de Gaulle avec les faits mentionnés par l’auteur de ce site. Je conseille également deux livres traitant de ce sujet : La marine française pendant la Seconde Guerre Mondiale de l’amiral Paul Auphan et Jacques Moral (p. 231-238), et le témoignage du général J.A Watson Echec à Dakar.

 

L’attaque gaulliste sur les troupes françaises à Dakar commence au petit matin. Churchill résume cette matinée catastrophique pour lui et de Gaulle, que nous allons analyser en détail : « Le 23 septembre, quand l’armada anglo-française s’approcha de la place forte, avec de Gaulle et ses navires largement en tête, elle trouva un épais brouillard. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 184). Le brouillard a été un élément qui a incontestablement nuit à l’Opération Menace. Sur place, De Gaulle avait indiqué que cet obstacle pouvait « compromettre gravement notre entreprise » (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 106). Malgré tout, les deux hommes ne retardèrent pas l’offensive, alors que rien ne pouvait les en empêcher. Sans doute pensaient-ils que la prise de Dakar auraient des conséquences positives très importantes pour eux. Poursuivons le récit du Premier ministre britannique : « Etant donné que la grande majorité de la population, tant française qu’indigène, était pour nous [au contraire, cela n’est pas du tout certain pour 1940], nous avions espéré que l’apparition de tous ces navires (les Britanniques restant loin derrière à l’horizon), emporterait la décision du gouverneur. Mais il s’avéra rapidement que les partisans de Vichy étaient les maîtres et il ne peut exister aucun doute que l’arrivée des croiseurs français avec leurs troupes avait compromis toute chance de voir Dakar se joindre au mouvement de la France Libre. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 184). Selon Winston Churchill, le début de la bataille avait déjà montré qu’il serait quasiment impossible de s’emparer de Dakar, et cela à cause des troupes françaises envoyées à la mi-septembre.

Après avoir donné un bref aperçu de la difficulté pour les anglo-gaullistes à mener à bien l’opération, il évoque les premiers faits d’armes : « Les deux avions de de Gaulle descendirent sur l’aérodrome local et leurs pilotes furent aussitôt arrêtés. L’un d’eux portait sur lui la liste des principaux adhérents au mouvement. Les émissaires de de Gaulle, arrivant sous la protection du drapeau tricolore et du pavillon blanc, furent refoulés. D’autres qui entrèrent un peu plus tard, avec des vedettes, eurent à essuyer le feu de la terre et deux d’entre eux furent blessés. La fièvre monta, et la flotte britannique s’approcha à moins de 5 000 mètres à travers le brouillard. A 10 heures du matin, une batterie du port ouvrit le feu sur un de nos destroyers d’aile. Nous ripostâmes et l’engagement devint bientôt général. Les destroyers Inglefield et Foresight furent légèrement endommagés, le Cumberland, atteint dans sa machine, dut s’éloigner. Un sous-marin français fut bombardé par un avion à la profondeur périscopique et un contre-torpilleur fut incendié. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 184). Ce long passage montre que le début de l’offensive gaulliste est une véritable catastrophe. Non seulement de Gaulle est responsable du premier conflit militaire entre Français, mais en plus ses troupes essuient une déroute dès la matinée de l’opération. Reprenons ce récit en détail. A 6h00, les Britanniques décident de faire décoller deux avions Lucioles de l'Ark Royal soutenus une demi-douzaine d'aviateurs français, et cela avec l’accord de de Gaulle. En parallèle, ce dernier envoie un message à ses hommes au même moment, puis des appareils lanceurs de tract décollent du porte-avions et devaient annoncer l’arrivée des troupes afin de "défendre et ravitailler Dakar". Mais ils sont accueillis à coups de DCA. Simultanément, les Lucioles déposent sur un terrain voisin une demi-douzaine d’aviateurs gaullistes. La mission était d'obtenir le ralliement du commandant de la base d'Ouakam, ou au pire sa neutralisation. Après s'être posés sans grande résistance, les pilotes gaullistes neutralisent le commandant du groupe de chasse. Cependant, un groupe d’hommes fidèles au maréchal Pétain arrête les assaillants et libère leurs coéquipiers. Parmi les prisonniers, l’un d’eux possédait une liste énumérant les acteurs de l’opération. Pendant ce temps, des avions Swordfish balancent des tracts sur la population de Dakar, invitant les locaux et les soldats français à rallier de Gaulle. Ils furent fut complètement indifférents à cet appel. De plus, les avions anglais tombent sous le feu de la DCA du cuirassé Richelieu. En fait, depuis la bataille de Mers el-Kébir, l’armée française avait pour ordre d’attaquer toute force anglaise située à moins de 20 milles des côtes ainsi que tout groupe d'avions survolant un point d'appui.

Entre temps, Charles de Gaulle lance un message par radio au gouverneur général Boisson, afin de l’informer de l’arrivée de troupes gaullistes, prétextant qu’il s’agissait de renforcer les défenses de Dakar et qu’une escadre anglaise viendrait l’appuyer. Pour de Gaulle, le but de ce débarquement était donc d’éviter la prise éventuelle de Dakar par les Allemands. Il précise par ce communiqué qu’une délégation sera envoyé pour préparer le débarquement des troupes. Cependant, nous savons qu’il ne s’agit pas de la seule motivation, surtout qu’il n’y avait aucun Allemand à plusieurs centaines de kilomètres à cette période. De plus, les sources précédentes indiquaient bien que celui-ci souhaitait avant-tout accroître son influence sur le sol africain, en installant son quartier général à Dakar, et pour se montrer comme le chef légitime de la France. Il avait donc deux raisons, stratégiques et personnelles.

Ensuite, le Savorgnan de Brazza avance vers Dakar, accompagné de la délégation. Deux embarcations sont ensuite détachées et rejoignent le port. L’une d’elles se compose du capitaine de frégate Thierry d'Argenlieu, de six officiers, de trois sous-officiers et de six matelots. L’autre embarcation est un détachement de sécurité comprenant une douzaine de soldats. Mais ces deux vedettes sont rapidement repérées par le Richelieu ainsi que par le Air France IV. Malgré tout, le cuirassé et le patrouilleur savaient qu’il ne s’agissait que de parlementaires, et les laissent donc passer. Le bateau du capitaine d’Argenlieu peut accoster, tandis que le deuxième s’arrêta à une vingtaine de mètres de la berge. Une fois descendue à terre, le capitaine d'Argenlieu demande au chef de la police de la navigation de pouvoir remettre des plis au gouverneur Boisson. Celui-ci va refuser. Un peu plus tard, le chef de la police reçoit l'ordre d’arrêter les parlementaires. Néanmoins, ces derniers regagnent les vedettes stationnées près du port. Les deux embarcations quittent le lieu tout en essuyant quelques tires de canons automatiques installés sur le quai du port, puis en provenance de l'île de Gorée. Vers 7h55, les navires rejoignent le Savorgnan de Brazza, ce dernier s’étant éloigné car il a dut essuyer des tirs du Richelieu. Charles de Gaulle précise que le capitaine d’Argenlieu et le capitaine Perrin furent blessés (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 107). Les deux blessés furent ensuite transférés sur le Westerland. Suite à cet événement, De Gaulle envoie un nouveau message radio dans lequel il exige des réponses. Par ailleurs, il indique aux autorités locales que les troupes anlo-gaullistes sont prêtes à intervenir s’il rencontre de nouvelles oppositions. N’obtenant pas satisfaction, les officiers gaullistes décident d’employer la manière forte en tentant d’effectuer une percée. Les avisos commandant Dominé et commandant Duboc reçoivent l’ordre d’intervenir et font débarquer vers 8h15 plusieurs détachements de fusiliers sur le port. Puis ils franchissent les filets. Aligné sur le pont, l’équipage du commandant Dominé reçoit l’ordre de cesser le feu. Mais au même moment, le Richelieu obtient l’ordre de la marine de tirer sur les deux avisos. Le commandant Dominé reçoit alors une salve, et le commandant Duboc en reçoit deux. Alors les deux navires gaullistes battent rapidement en retraite, tout en se protégeant à l’aide de fumigènes.

23-09b.jpgMais la mauvaise visibilité ne gène pas seulement les anglo-gaullistes mais aussi les Français. En effet, ces derniers tentent d’effectuer une reconnaissance de l’effectif ennemi, mais y parviennent très difficilement. Puis les navires La Gazelle et La Surprise draguent la zone car les autorités de Dakar craignaient que les deux avisos du FFL n'aient placé des mines au moment de leur tentative d'entrer dans le port. Mais vers 10h40, le Cumberland menace les deux navires qui relevent leur drague, puis sont même moment dépassés par le sous-marin Persée. Ce sous-marin ainsi que l’Ajax avaient reçut l’ordre de se positionner. Le premier s’installe sur la côté Nord, puis le second se place à une dizaine de milles de l’Ile Gorée. Cependant, deux avions de l’Ark Royal les repèrent, malgré les mauvaises conditions climatiques. Alors les destroyers britanniques Inglefield et Foresight reçoivent le Persée qui n'est pas encore arrivé à sa destination. Il est près de 11h45. Pour se défendre, le Persée envoie deux torpilles. La première est évitée par le Foresight, puis par malchance la seconde reste bloquée. En réponse, les destroyers ainsi que le Drahon et le Barham ouvrent le feu. Le Persée tente de répliquer en tentant de lancer une torpille par l’arrière, mais il est atteint de plein fouet par un projectile. Puis plusieurs obus britannique le touche. Alors, le Persée tente de rebrousser chemin et l’ordre d’évacuation est donnée. Pendant ce temps, après avoir regagné le port, le navire La Surprise se rend compte que le Persée était dangereusement menacé. Alors il rejoint aussitôt le sous-marin français, puis essaie de récupérer le personnel. Le Dragon tente d’empêcher cette évacuation, mais il reçoit un tir de batterie du cap Manuel. A 11h37, le Persée finit par couler. Le bilan est d’un mort et d’un blessé. C’est l’un des rares anecdotes de cette bataille qui fut marqué par une réussite anglo-gaulliste, plus exactement une réussite britannique. En effet, en fin de matinée, les navires britanniques retentent une percée. Ils tirent à plusieurs reprises sur les croiseurs Montcalm et Georges Leygues ainsi que le cuirassé Richelieu. Ils visent également les batteries de côtes, mais ils ne commettent aucun dégât. Puis des obus tombent sur la ville, touchant l'hôpital et la caserne du 6ème RAC, tuant 27 personnes et en blessant 45. Alors le Richelieu et la batterie du cap Manuel ripostent. Le Cumberland, le Foresight, l'Inglefield et le Dragon sont atteints. Alors ils battent en retraite. Enfin, vers 12h15, le sous-marin Ajax ressort, mais il est bombardé par un swordfish et est grenadé par plusieurs navires. Néanmoins, il ne subit que quelques avaries et reste en mer jusqu'au 24 septembre. En tout début d’après midi, les anglo-britanniques envoient quelques avions d'observation, mais les croiseurs et le Richelieu les repoussent et les chassent de Dakar. En évoquant le déroulement de la matinée du 23 septembre, un constat était déjà clair, il était impossible pour les Anglais et les gaullistes de s’emparer de Dakar en attaquant directement le port. De Gaulle et Cunningham avaient sous-estimé les forces françaises installées à l’intérieur et autour de la place forte. Néanmoins, de Gaulle se montre optimiste : « De l’ensemble de ces indices, je ne tirais pas l’impression que la place fût résolue à une résistance farouche. Peut-être la marine, la garnison, le gouverneur, attendaient-ils quelque événement qui pût leur servir de prétexte à une conciliation ? Vers midi, l’amiral Cunningham m’adressa un télégramme pour m’indiquer que tel était, à lui aussi, son sentiment. » (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, Tome 1, Paris, Plon, 1954, p. 106). Nous verrons qu’il se trompera encore une fois. Quant à Churchill, il tenta de donner une explication de cet échec matinal dans ses mémoires : « Il existe une controverse déjà vieille au sujet de l’action des navires contre les forts. Nelson, disait qu’une batterie de six pièces pouvait tenir tête à un vaisseau de 100 canons. M. Balfour, lors de l’enquête sur les Dardanelles, déclarait en 1916 : « Si le navire possède des canons capables d’atteindre le fort à une distance où celui-ci ne peut riposter, le duel n’est pas nécessairement si inégal. » En cette occasion, la flotte britannique, avec une direction de tir convenable, eût pu, en théorie, tirer sur les batteries de 240 mm de Dakar à 24 500 mètres et les détruire au bout d’un certain nombre de coups. Mais les forces de Vichy comprenaient également le cuirassé Richelieu qui s’avéra capable de tirer des salves avec une tourelle double de 380 mm. L’amiral anglais fut obligé d’en tenir compte. Mais, surtout, il y eut le brouillard. La canonnade s’éteignit donc vers 11h30 et tous les navires anglais et français se retirèrent. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185). Selon lui, il y a deux raisons à cet échec : les forces françaises plus résistantes que prévue, en particulier à cause de la présence du Richelieu ; et le brouillard qui gênaient les envahisseurs, mais le Premier ministre britannique n’a pas pris en compte le fait que le brouillard gênait également les défenseurs.

 

Après cette matinée, le brouillard s’avérait toujours épais. En début d’après-midi à Dakar, les gaullistes tentent une nouvelle fois de débarquer plusieurs détachements de fusiliers marins dans le port, afin d’inciter l’équipage du Richelieu et d’autres navires à se ranger du côté de de Gaulle. Mais le Richelieu les reçoit par des coups de semonce, donc les rebelles font demi-tour. Suite à ce nouvel échec, les anglo-gaullistes changent alors de stratégie. En effet, de Gaulle et Cunningham avaient compris qu’une entrée directe à Dakar était impossible. Alors ils envoient le Westerland, le Commandant Duboc, le Commandant Dominé, le Savorgnan de Brazza et le Pennland afin de prévoir un débarquement près de Rufisque. Churchill n’évoque quasiment pas cet épisode et se montre très bref : « Le général de Gaulle essaya de débarquer ses troupes à Rufisque, dans l’après-midi, mais le brouillard était devenu si épais et la confusion si grande que la tentative fut abandonnée. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185). Que s’est t-il passé ? Les structures anglo-gaullistes chargées de débarquer des troupes près de Rufisque sont rapidement repérées par un avion français aux alentours de 14h30, empêchant l’effet de surprise. Mais à 16 heures, les destroyers britanniques Fury et Greyhound ainsi que le croiseur Australia reçoivent l’ordre d’attaquer le contre-torpilleur français l'Audacieux. En parallèle, ce dernier reçoit l’ordre de reconnaître la baie à 16h20, et se retrouve piégé par l’Australia. Le navire français reçoit plusieurs salves et se trouve gravement endommagé. Alors l’aviso La Surprise vint secourir l’équipage le plus rapidement possible, et se trouve déjà sur place à 17 heures. Puis le Calais vient les rejoindre. 185 hommes sont sauvés mais 81 ont péris dans cette attaque. Une fois abandonnée, l’Audacieux sombre. Cependant, les anglo-gaullistes ne sont pas plus avancés, mais les autorités françaises s’inquiètent. Pendant ce temps, trois navires français sont envoyés afin de contrer la menace qui pèse sur Rufisque. Il s’agit du Georges Leygues, du Malin et du Montcalm. Mais ils se trouvent face à un obstacle de poids, c’est-à-dire le brouillard qui les empêche de voir les navires anglo-gaullistes tenter de débarquer. Alors l’aviso Commandant Duboc essaie d’en profiter pour mettre à terre des fusiliers marins. Malgré tout, il est accueillit par deux batteries de 95 qui demeuraient installés au phare de Rufisque. Alors que le Savorgnan de brazza essaie de détruire ces installations, les Commandant Duboc et Commandant dominé rebroussent chemin en se masquant avec des fumigènes. Bien-sûr, à cause du manque visibilité, il était impossible aux navires pétainistes de poursuivre les avisos gaullistes. Un peu plus tard, les agresseurs tentent une nouvelle fois de débarquer à quelques kilomètres au sud, mais ils sont reçus par les tirailleurs sénégalais. Comprenant qu’une attaque terrestre sur Dakar en passant par Rufisque était impossible, de Gaulle abandonne le projet. Alors il conclura : "Décidément, l’affaire était manquée ! Non seulement le débarquement n’était pas possible, mais encore il suffirait de quelques coups de canons, tirés par les croiseurs de Vichy, pour envoyer par le fond toute l’expédition française libre. Je décidai de regagner le large, ce qui se fit sans nouvel incident.". Cela ne fait aucun doute pour lui, les forces françaises étaient bien plus importantes que les siennes. Il reconnaît son erreur, même s’il ne se considère pas comme le principal responsable. Pourtant, n’est-ce pas lui qui a insisté pour essayer de prendre Dakar alors que le cabinet de guerre britannique prévoyait son annulation après l’arrivée de renforts français?

 

Mais après cet échec, les Britanniques veulent que l’offensive se poursuive conformément au plan d’attaque. Voici ce qu’indique Churchill dans ses mémoires :

« Les chefs d’opération décidèrent à 16h30 [l’heure évoquée ici est approximative] de replier les transports de troupes et de reprendre l’action le lendemain. Le message annonçant cette résolution arriva à Londres à 19h10, et j’envoyai au chef local le message personnel suivant daté de 22h14, le 23 septembre :

Puisque nous avons commencé, il faut aller jusqu’au bout. Ne vous laissez arrêter par rien. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185).

L'Amiral Cunningham reçoit le télégramme du Premier ministre britannique lui ordonnant de pousser activement l'offensive de Dakar. Puis durant la nuit, le commandant en chef britannique envoie un message au gouverneur de la ville lui ordonnant d’abandonner la ville à de Gaulle avant 6 heures. Il poursuit : « Au cours de la nuit, un ultimatum fut adressé au gouverneur et celui-ci répondit qu’il défendrait la place jusqu’au bout. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185). En effet, par l’intermédiaire du cuirassé Richelieu, le gouverneur général Boisson envoie le message suivant vers 3h40 : « Le gouverneur général – stop – la France m’a confié Dakar, je défendrai Dakar jusqu’au bout »

 

Dans le second article du sujet, nous allons analyser la poursuite de l'Opération Menace par les Britanniques, et les répercutions politiques de l'attaque anglo-gaulliste sur les troupes fidèles au chef de la France (http://realite-histoire.over-blog.com/article-le-23-septembre-1940-le-debut-d-une-guerre-franco-francaise-2-50124816.html).

Partager cet article
Repost0
14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 22:25

25-09.jpgLa poursuite inutile de l'Opération Menace par les Britanniques, les 24 et 25 septembre

 

Même si Churchill montre des doutes de la possibilité des anglo-gaullistes à s’emparer de Dakar, il tient à intensifier l’attaque en espérant que les Français finissent par céder. Pour De Gaulle, qui pourtant montrait tant d’optimisme quelques jours auparavant, il n’y avait presque aucune chance de prendre la place forte. Il a avait contribué à faire affronter des français entre eux, et les résultats s’avérèrent désastreux. Sans doute voulait-il ne pas aggraver la situation. Par conséquent, les troupes gaullistes se placent en retrait et laissent désormais les Britanniques mener l’Opération Menace. Churchill évoque brièvement cette matinée du 24 septembre 1940 : « La visibilité était meilleure que la veille, mais restait encore mauvaise. Les batteries de côte ouvrirent le feu sur nos navires quand ceux-ci se rapprochèrent. Le Barham et le Résolution engagèrent le Richelieu à 12 500 mètres. Peu après, le Devonshire et l’Australia tirèrent sur un croiseur et sur un contre-torpilleur, endommageant ce dernier. Le bombardement se termina vers 10 heures. A ce moment, le Richelieu avait reçu un projectile de 380 mm, le fort Manuel avait également été touché et un croiseur léger était en feu. En outre, un sous-marin qui avait essayé d’empêcher notre approche fut contraint de remonter à la surface par une grenade et son équipage se rendit. Aucun de nos navires ne fut touché. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185). Encore une fois, le Premier ministre britannique est peu précis, et surtout n’évoque que les faits qui lui plait. En effet, dès 5 heures du matin, les troupes fidèles au maréchal Pétain se déploie afin de résister à l’orage qui s’annonce. Ainsi, le sous-marin Bévéziers sort de son bassin et appareille afin de prendre position à 10 milles dans le sud de Gorée. Environ quinze minutes plus tard, le contre torpilleur Fantasque, qui était indisponible depuis le 21 suite à une avarie, ainsi que le torpilleur Hardi, sortent du port et rallient l'escadre de l'amiral Lacroix. Et à 5h40, l’Ajax s’enfonce dans la mer. Puis deux avions Loire 130 décollent afin surveiller la côte et détecter les mouvements britanniques. Mais l’un est pris en chasse par un swordfish qui le crible de balles. Néanmoins, les deux avions parviennent tout de même à regagner Dakar. Puis vers 7 heures, plusieurs monoplans de type SKUA tentent d'attaquer le cuirassé Richelieu, mais ils sont accueillis par les tirs de DCA. Une heure plus tard, à 8 heures, le sous-marin Ajax repère les deux cuirassés Barham et Résolution, ainsi que trois torpilleurs. Il tente d’attaquer l’ennemi mais est immédiatement détecté. Il est alors pris en chasse par les torpilleurs. Il reçoit trois grenades du Fortune, provoquant de graves dégâts et l’empêchant de combattre ou de se mouvoir. Le commandant du sous-marin donne l’ordre de le remonter à la surface, puis ordonne l’évacuation. Le Fortune repère la proie en difficulté et récupère les soldats à son bord. Puis l’Ajax coule aux alentours de 10h15.

Entre temps, six avions swordfishs tentent à nouveau d'attaquer le Richelieu vers 9 h 10, accompagnés de bombes de 250 livres. Cependant, leurs bombes n’atteignent que des canalisations à mazout, et ils doivent faire face à de nombreux tirs de DCA. Dans la foulée, des chasseurs rejoignent l’ennemi et abattent quatre swordfishs. Ils capturent cinq aviateurs britanniques. Puis les Britanniques bombardent la batterie côtière du cap Manuel mais ne font que très peu de dégâts. Ensuite aux alentours de 9h30, c’est au tour des cuirassés Barham et Resolution d’ouvrir le feu sur le Richelieu et le cap Manuel, à une distance d’entre 12 500 à 14 000 mètres. En face, les Français tentent de dissimuler ces points par un rideau de fumée produit par le torpilleur Hardi. Quelques minutes plus tard, le Richelieu réplique mais l’une de ses tourelles tombe en avarie juste après. Alors les batteries côtières et les croiseurs prennent le relais et envoient des salves en direction des croiseurs ennemis. Puis une deuxième tourelle du Richelieu tombe également en avarie. Un quart d'heure plus tard, le torpilleur Hardi est placé sous l’autorité du commandant Marzin par l'amiral Lacroix, puis reçoit l’ordre de protéger le Richelieu en difficulté par des émissions de fumée, en cas de nouvelle offensive de cuirassés britanniques. Vers 10h50, le Barham et le Resolution s’attaquent alors aux croiseurs et aux contres-torpilleurs qui évoluent à l'intérieur du filet par-torpille. Les Britanniques les encadrent plusieurs fois et les neutralisent avec difficulté puisque les navires français se révèlent plus maniables et leurs moteurs plus puissants. Mais vers midi, les deux tourelles endommagées du Richelieu sont réparées, donc à nouveaux en état de fonctionner. Au même moment, l’équipage du cuirassé aperçoit un point noir sur l'eau, précisément à tribord arrière. Il s’agit d’un avion britannique qui fut abattu plus tôt par la DCA du Richelieu. Le commandant Marzin ordonne alors au torpilleur Hardi d'aller récupérer les rescapés, même s’ils sont ennemis. Une demi-heure après, le Hardi parvient à destination et récupère un aviateur anglais blessé. Mais il tente aussitôt de rejoindre l’entrée du port puisqu’il a remarqué que deux cuirassés et deux torpilleurs britanniques le poursuivaient. Une fois avertie, le Richelieu, le Georges Leygues et le Montcalm envoient des salves afin d’éloigner les poursuivants. Puis à 13 heures, l’amiral Lacroix donne l’ordre de faire de la fumée afin de masquer les navires en rade. Ainsi, les Britanniques tirent à l’aveugle et n'atteignent aucun de leur objectif. Seul le port est légèrement touché avec le Portos et le cargo suédois Tacoma. Vers 13h30, les Britanniques arrêtent l’offensive et disparaissent. Ils n’ont toujours pas fait céder les Français.

 

Une nouvelle attaque a lieu dans l’après-midi. Churchill s’y étale très peu : « Le bombardement reprit dans l’après-midi pendant un temps assez court. Cette fois, le Barham fut touché à quatre reprises, mais ne subit pas de graves dommages. Le bombardement ne donna aucun résultat concluant et indiqua seulement que les défenses étaient puissantes et que la garnison était résolue à résister. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 185-186). En reprenant les évènements, nous pouvons supposer pourquoi il n'en parle quasiment pas. En effet, à 15h30, huit swordfish de l'Ark Royal tente de s’approcher de Dakar. Cependant, ils sont accueillis par des tirs de DCA en provenance des croiseurs Georges Leygues et Montcalm. Puis d’autres vaisseaux envoyèrent une salve : Le Fantasque, le Malin, le Hardi, l'Air France IV, la Gazelle et le Commandant Rivière. Les avions anglais sont complètement désorganisés à cause de ces tirs de DCA. Deux d’entre eux sont abattus, et quatre lâchent rapidement leurs torpilles et loupent complètement leurs cibles. Malgré tout, deux swordfish parviennent à envoyer plusieurs munitions, loupant de très peu le Georges Leygues et le Montcalm. En fin d’après-midi, le pont du Résolution reçoit des éclats d'obus, puis le Barham est atteint à quatre reprises sans que les dégâts ne soient importants. Côté Français, le Malin est victime d’une fuite de l’une des chaudières à cause des chocs subis lors des bombardements, mais elle a été rapidement réparée. Egalement, plusieurs canons du Richelieu sont endommagés, malgré quelques réparations. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le grand cuirassé avait quitté Brest en pleine débâcle française, en juin 1940, alors que la totalité de son artillerie n’a pas été installée. Mais encore une fois, les Britanniques sont repoussés par les défenses françaises. Malgré tout, craignant une offensive surprise par l’intermédiaire des vedettes, les avisos patrouillent dans la soirée tout le long des filets. Egalement, la Gazelle et la Surprise recherchent des mines magnétiques aux alentours de l’île de Gorée, mais ils ne retrouvent que quelques torpilles n’ayant pas explosé.

Toujours durant cette soirée du 24 septembre, Charles de Gaulle se rend sur le Barham afin de rencontrer l'amiral Cunningham et le général Irwin. Ce que ne dira pas le Premier ministre anglais (volontairement ?) dans son mémoire, c’est que les trois officiers conclurent que les troupes anglo-gaullistes ne pouvaient pas prendre Dakar et décidèrent d’arrêter le bombardement de la ville, mais Churchill continua à s’obstiner et envoie un message à la flotte anglaise en leur ordonnant de poursuivre le combat. Alors une nouvelle offensive est prévue le lendemain, c’est-à-dire le 25 septembre.

 

Richelieu-3.jpgEst-ce que la situation va changer le 25 septembre ? Voyons ce que dit Churchill au cours de la matinée de ce jour : « L’action recommença le 25 septembre. Le temps était clair et notre flotte ouvrit le feu à 19 000 mètres. La riposte vint non seulement des batteries de côte au tir fort précis, mais aussi des salves doubles de 380 mm du Richelieu. Notre objectif se trouva alors masqué par un rideau de fumée tendu par le commandant de Dakar. Un peu après 9 heures, le cuirassé Résolution fut atteint par une torpille d’un sous-marin de Vichy. A la suite de cet incident, l’amiral décida de se retirer vers le large « étant données la situation du Résolution, la menace permanente des sous-marins, ainsi que la grande précision et la résolution des défenses côtières. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 186). Le Premier ministre britannique reconnaît que la continuation de la bataille fut un échec. Il est vrai que la visibilité s’était nettement améliorée. A 4 heures du matin, les différents navires commencent déjà à appareiller, et des avions de reconnaissance des deux camps sont envoyés. Puis vers 5h30, six avions Curtiss décollent et abattent, environ une heure plus tard, un Swordfish de l'Ark Royal avec l’aide des DCA des navires. Suite à ce petit événement, les autres avions britanniques regagnent leur porte-avion. L’aviation française possédait la maîtrise du ciel et l’ennemi ne parvint pas à l’ébranler. Elle refoula plusieurs avions d’observation et abattent le Warlus qui avait été catapulté de l’Australia. Mais aux alentours de 7h40, le poste d'observation du château d'eau du cap Manuel signale l'arrivée de plusieurs navires anglais. En effet, à 8h25 arrivent à 34 000 mètres ces derniers. Parmi eux, le Barham doit attaquer le Richelieu, l'Australia doit détruire les croiseurs Montcalm et Georges Leygues, le Resolution doit neutraliser la batterie de l'île de Gorée et le Devonshire celle du cap Manuel. Alors à partir de 8h30, le Fantasque, la Surprise, le Hardi et le Malin tendent des rideaux de fumée, et un canot à moteur mouille quelques fumigènes à l'Est de la jetée, où se trouve le Richelieu, afin de parfaire cet écran de fumée. Pendant ce temps, le gouverneur général Boisson donne l'ordre de ménager les munitions, car le Richelieu ne possédait plus que 24 charges de poudre pour les tourelles de 380. A exactement 9h04, la tourelle I du Richelieu ouvre le feu sur les cuirassés britanniques situées 22 000 mètres. Alors le Barham répond par une salve de quatre coups, mais il manque sa cible. Au même moment, le Resolution est touché par plusieurs torpilles du sous-marin Bévéziers, qui était placé en embuscade au Sud de Gorée, et ne peut pas répliquer. Puis le Bévéziers rejoint l’île de Gorée, tandis que le Foresight le bombarde à coup de grenades, mais sans causer de dégâts importants. Ensuite, des tirs sont échangés des deux côtés. Le Georges Leygues et le Montcalm sont encadrés à plusieurs reprises, mais le Richelieu encadre le Barham en parallèle. A 9h15, le Richelieu est atteint par un obus de 380 mm, mais les dégâts ne sont pas importants et il n’y a aucune victime. Puis à 9h20, l'avion de réglage de tir britannique est abattu par un Curtiss.

Le bilan de cette matinée est catastrophique pour les Britanniques. L'aviation française maîtrise le ciel, le Resolution est hors de combat, l'Australia est touché par deux fois par des obus de 152 mm, mais qui ne provoquent aucune gravité. Cette résistance inattendue des français et la peur de perdre des navires incita l'amiral Cunningham à retirer ses hommes. De Gaulle écrit dans ses mémoires : "L’amiral Cunningham décida d’arrêter les frais. Je ne pouvais que m’en accommoder. Nous mîmes le cap sur Freetown". De plus, les fidèles du maréchal Pétain sont beaucoup mieux organisés. En effet, ils se sont préparés à répondre à une attaque aérienne, au cas où les Britanniques décident d’insister. En face, l’Ark Royal fait décoller des Swordfish pour couvrir la retraite en cas de riposte provenant de Dakar. Les Français envoient trois bombardiers Glenn Martin 167F, mais une seule bombe de 200 kg est larguée sur les navires anglais et tombe à 50 m du croiseur Faulknor. Les autres bombes sont délestées en mer à cause d'un mauvais fonctionnement. Certaines d'entre elles tombent même entre le Georges Leygues et le Montcalm, provoquant une alerte aérienne. Churchill évoque la suite de cette matinée : « Entre temps, le Comité de Défense qui s’était réuni à 10 heures, sans moi, avait émis l’avis qu’aucune pression ne devait être exercée sur les chefs locaux pour les amener à agir contre leur jugement. Le cabinet se réunit à 11h30 et c’est au cours de la réunion que nous parvinrent les messages annonçant les résultats des opérations de la matinée. A la lecture de ces renseignements, il parut clair que l’affaire avait été poussée aussi loin que le permettaient la prudence et nos ressources. Plusieurs beaux navires avaient été gravement avariés. Il était évident que Dakar serait défendu jusqu’à la mort. Personne ne pouvait assurer que les passions féroces que déclencherait un combat prolongé ne provoqueraient pas une déclaration de guerre de la part de Vichy. Aussi, après une pénible discussion, décidâmes-nous à l’unanimité de ne pas pousser l’affaire plus avant. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 186). Du côté des Français, la « tempête » se calme à partir de 10 heures, et l’amiral Lacroix donne l’ordre de cesser d’émettre la fumée. Puis, des avions de reconnaissances sont envoyés pour confirmer la retraite des Britanniques vers Freetown. Enfin, différentes chaînes de radios annoncent la décision du gouvernement britannique de renoncer à poursuivre les opérations contre Dakar. A exactement 13h27, Churchill envoie le message suivant aux chefs de l'opération, dont voici un extrait : "Vu tous les renseignements en notre possession, y compris celui annonçant l'avarie du Resolution, nous avons décidé que l'opération contre Dakar devait être abandonnée, en dépit des conséquences facheuses auxquelles il faut évidemment s'attendre. A moins qu'il ne se soit produit quelque chose que nous ignorons et qui vous fasse désirer de tenter un débarquement en force, il vous faut arrêter immédiatement toute action. Faites-nous connaître par télégramme "Très Urgent" si vous êtes d'accord, mais, à moins que la situation ne se soit complètement retournée en notre faveur, vous ne devez pas commencer à débarquer tant que vous n'aurez pas reçu de réponse de notre part." (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 186-187). Puis c'est au président des Etats-Unis qu'il s'adresse, afin de lui tenir au courant le bilan de l'Opération Menace : "Je regrette beaucoup que nous soyons obligés d'abandonner l'entreprise de Dakar. Vichy y est arrivé avant nous et a réorganisé la défense avec des partisans et des spécialistes d'artillerie. Tous les éléments amis ont été arrêtés ou neutralisés. Plusieurs de nos navires ont été touchés. Persister à vouloir débarquer en force nous eût imposé des obligations dont nous n'avons nul besoin, quand on pense à tout ce que nous avons déjà sur les bras." (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 187).

 

L'opération Menace est un échec complet et largement évitable, engendrant la mort de 203 français pour 393 blessés. D’un côté, nous avons eu un Churchill qui émettait des doutes quant à la réussite de la prise de Dakar. Cependant, une fois l’Opération Menace déclenchée, il souhaitait à tout pris qu’elle se déroule jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à la prise de la ville, et cela contre l’avis des généraux et officiers britanniques stationnés sur place. De l’autre côté, l’autoproclamé chef de la France Libre Charles de Gaulle se montrait confiant quant aux chances de succès, sans prendre en compte l’arrivée des renforts français à Dakar quelques semaines avant le début des hostilités. Néanmoins, il a rapidement compris, dès le premier jour de l’offensive, que la place forte s’avérait imprenable. Malgré tout, le mal était fait. Celui qui a tant souhaité s’installer à Dakar pour accroître son influence au détriment de Pétain a déclenché un conflit franco-français inutile. Il a été prêt à briser l’unité de l’Empire français afin de contribuer à ses intérêts qu’il assimilait à ceux de la France (ne s’est-il pas exclamé « Je suis la France ! » devant Churchill ?), alors que le gouvernement français était à l’époque en situation de neutralité dans la guerre. Nous pouvons alors nous poser une question. En effet, nous savons qu’une collaboration franco-allemande était inévitable, même si de Gaulle n’avait pas attaqué Dakar, notamment dans les domaines économiques et sociales (diminution de l’endettement, libération des prisonniers de guerre, …). Mais nous pouvons nous demander si la collaboration militaire envisagée entre Pétain et Hitler en octobre 1940, à l’occasion de l’entrevue de Montoire, était la conséquence directe de l’offensive anglo-gaulliste sur Dakar ? Mais auparavant, que pensait Pétain envers de Gaulle ?

 

Petain.jpgLes pensées de Pétain vis-à-vis de De Gaulle

 

Si on se réfère à de Gaulle et à Churchill, cet affrontement a eut peu de conséquences. Voici ce que disait ce dernier : « Bien que le combat de Dakar eût été beaucoup plus sérieux qu’on ne s’y attendait, nous n’avions pas tort de penser que le gouvernement de Vichy ne déclarerait pas la guerre à l’Angleterre. Il se contenta d’exercer des représailles par air sur Gibraltar en partant de l’Afrique du Nord. Les 24 et 25 septembre, des raids successifs furent effectués au-dessus du port et des chantiers ; 150 bombes furent lancés au cours du premier raid et environ deux fois autant au cours du second auquel participèrent une centaine d’avions. Les aviateurs français ne parurent pas avoir montré beaucoup de zèle dans leur mission et la plupart des bombes tombèrent dans la mer. Il y eut quelques dégâts, mais personne ne fut touché. Nos batteries de DCA abattirent trois appareils. Le combat de Dakar s’étant terminé par un succès pour Vichy, on se tint tacitement pour « quitte » dans chaque camp. » (Winston Churchill, Mémoire sur la deuxième guerre mondiale, Tome 2 : L’heure tragique mai-décembre 1940, Partie 2 : Seuls, Plon, Paris, 1949, p. 188).

Pourtant, la Bataille de Dakar aura un impact très important en métropole. En effet, dès le lendemain de l’événement, la presse française annonce "l’ex-général de Gaulle fait tirer sur Dakar". De Gaulle est accusé à juste titre d’empêcher des rapports de bon voisinage entre ceux qui continuent la guerre et ceux qui l’ont cessée, à une période où l’Etat Français voulait rester neutre dans la guerre. Par ailleurs,  au cours d’une conversation, le général allemand von Stülpnagel indique au général français Huntziger que si les anglo-gaullistes auraient pris Dakar et entraîné dans leur camp l'A.O.F, alors l’Allemagne aurait rompu l'armistice et aurait envahi immédiatement de la zone Sud métropolitaine afin d’attaquer l'Afrique du Nord (Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement, La Table Ronde, 1948, p. 399). Finalement, la victoire des pétainistes va s'avérer aussi bénéfique à la France qu'à la cause des Alliés. Si de Gaulle avait réussi son coup, alors il aurait été responsable de l’invasion allemande en métropole et en Afrique du Nord, et toutes les conséquences qui vont avec. Quant à Pétain, il est furieux à l’encontre de De Gaulle, non pas parce qu’il s’opposait à l’armistice de Rethondes, mais par ses actions qui ont entraîné un conflits entre Français. En effet, si les deux hommes s’opposaient, le Maréchal ne semblait pas éprouver pas une grande haine contre le réfugié d’Angleterre. Si Pétain avait condamné à mort par contumace de Gaulle, il avouera lui-même qu’il n’avait jamais voulu faire appliquer cette condamnation et qu’il s’agissait d’un jugement de principe. Voici la rédaction d’une note datant de début août 1944 :

« Le jugement du général de Gaulle s’est imposé :

1° par une nécessité de discipline militaire ;

2° comme valeur d’exemple afin d’arrêter un mouvement d’exode d’officiers français vers l’étranger.

3° Il est évident que ce jugement par contumace ne peut-être de principe. Il n’a jamais été dans ma pensée de lui donner une suite.

4° Je suis prêt, au contraire, à m’associer aux actes qui faciliteront le retour de l’ordre en France et l’union des cœurs entre tous les Français. » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 593). Cette note était épinglée au dossier de condamnation à mort de Charles de Gaulle.

En réalité, il ne reproche pas à de Gaulle de s’opposer à lui, mais d’avoir monter les Français entre eux et de rompre l’unité de la France. En effet, il faut savoir qu’il existe au dossier de la Haute Cour un document écrit de la main du Maréchal dont on ignore s’il a exprimé sa véritable pensée ou ce qui lui paraissait, sous la pression allemande, le plus conforme aux intérêts des français. En effet, même s’il manque quelques morceaux, nous pouvons en recopier un extrait :

« Les nouvelles qui m’arrivent de l’extérieur signalent un mal qui se répand dans nos possessions d’outre-mer et agit sur les foules comme un poison subtil qui tend à leur faire perdre le sens du réel et à les détourner de leurs devoirs envers la mère patrie. Ce mal s’appelle gaullisme du nom de l’ex-général français de Gaulle.

[Ce général a abandonné la France au lendemain de l’armistice pour prendre du service en Angleterre]

Dès que la France vaincue fut obligée de déposer les armes et de demander un armistice à l’Allemagne, de Gaulle, n’acceptant pas la défaite, résolut de reprendre à son compte la guerre contre l’Allemagne. Il quitta donc la France et se retira en Angleterre où il appela auprès de lui tous les Français qui, comme lui, n’acceptaient pas les conditions de l’armistice. On aurait pu croire que cette armée composée de Français et destinée à chasser nos ennemis hors du territoire français s’emploierait uniquement à cette tâche.

Il n’en fut rien. De Gaulle n’en veut qu’aux Français et ne se bat que contre les Français.

Je veux bien croire que le but poursuivi par de Gaulle n’était pas tout à fait tel que je viens de le définir. Mais quand il a compris que la France refusait de se donner à lui [référence à Dakar], qu’il était manifeste qu’il s’était trompé, que son orgueil l’avait conduit dans une fâcheuse impasse, il eût dû, au moins, ne pas persévérer dans une tentative qui devenait criminelle.

Il ne s’est pas borné à maintenir son attitude, il a attiré à lui de jeunes Français qu’il a abusé en leur faisant croire que leur moyen de sauver la France était de reprendre la guerre.

Sans connaître exactement le plan gaulliste, on peut penser que le premier acte aurait consisté à s’emparer de l’Afrique du Nord, à y organiser une armée moitié française, moitié indigène, capable de défendre l’Afrique du Nord. A une telle tentative, les Allemands aurait certainement répondu par l’occupation de la France entière [nous savons que c’est une réalité puisque le général von Stülpnagel l’a déclaré au général Huntziger].

De Gaulle s’était engagé à ne pas porter les armes contre des Français.

Voyons, comment il a tenu parole ! » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 596).

A la suite de ce même texte, Pétain énumère quelques actions gaullistes contre les Français, et la première évoquée est bien sûr l’offensive sur Dakar. Pour lui, de Gaulle avait nuit aux intérêts de la France au nom de ses intérêts personnels, au point de faire attaquer les Français les uns contre les autres. Qu’on le veuille ou non, en prenant pour exemple la Bataille de Dakar, c’est un fait incontestable. De Gaulle n’a jamais cherché à éviter un conflit entre habitants de l’Empire Français, alors qu’il aurait pu le faire, mais il lui aurait été impossible de se légitimer et donc de se montrer comme l'nuique sauveur de la nation. Alors il est indiscutable que Pétain ait changé de comportement après et à cause de l’Opération Menace, car il lui fallait défendre le territoire qui menaçait de sombrer dans la guerre civile déclenchée par le général français et soutenu par Churchill.

 

petain-copie-1.jpgDe Gaulle et Churchill, responsables de l’Entrevue de Montoire ?

 

Dès début octobre 1940, Pétain entend faire la paix avec tous ses voisins, aussi bien Britanniques que Allemands. En effet, voici ce qu’il déclare à la radio le 11 de ce mois : "Indépendante du revers de ses armes, la tâche que la France doit accomplir l'est aussi, et à plus forte raison, des succès et des revers d'autres nations qui ont été, dans l'histoire, ses amies ou ses ennemies. Le régime nouveau, s'il entend être national, doit se libérer de ces amitiés ou de ces inimitiés, dites traditionnelles, qui n'ont, en fait, cessé de se modifier à travers l'histoire pour le plus grand profit des émetteurs d'emprunts et des trafiquants d'armes. Le régime nouveau défendra, tout d'abord, l'unité nationale, c'est-à-dire l'étroite union de la Métropole et de la France d'outre-mer. Il maintiendra les héritages de sa culture grecque et latine et leur rayonnement dans le monde. Il remettra en honneur le véritable nationalisme, celui qui, renonçant à se concentrer sur lui-même, se dépasse pour atteindre la collaboration internationale. Cette collaboration, la France est prête à la rechercher dans tous les domaines avec tous ses voisins. Elle sait d'ailleurs que, qu'elle que soit la carte politique de l'Europe et du monde le problème des rapports franco-allemands, si criminellement traité dans le passé, continuera de déterminer son avenir. Sans doute, l'Allemagne peut-elle, au lendemain de sa victoire sur nos armes, choisir entre une paix traditionnelle d'oppression, et une paix toute nouvelle de collaboration."

Comme nous l’avons déjà dit, le Maréchal considérait que des accords avec l’Allemagne étaient indispensables pour diverses raisons, telles que l’allégement des dettes ou la libération de prisonniers qui étaient au nombre 1,5 millions au moment de l’armistice. Cependant, le dirigeant de la France sait très bien qu’une attaque anglo-gaulliste peut se reproduire de nouveau. Ils avaient échoué à Dakar, alors ils allaient sans doute recommencer à forcer la barrière. Défendre l’Empire Français contre les agresseurs était donc nécessaire, même s’il souhaitait en même temps faire la paix avec tous les pays, quel que soit le camp. Alors le 24 octobre 1940, Pétain rencontre Hitler à Montoire, dans le Loir et Cher. Pourquoi ? Le procès verbal de la conversation du 24 octobre 1940, signé par Paul Schmidt et paru en 1961, évoque l’entretien entre Pétain et Hitler. Peu d’historiens l’ont mentionné, à part François Delpha dans son Montoire (Albin Michel, 1996, p. 438-444), mais qui a un esprit totalement partisan et anti-Pétain, ainsi que Marc Ferro dans son Pétain (Hachette, 2009, p. 188-193), qui est plus objectif sans l’être à 100%. Voici un résumé que j’ai déjà accompli dans un autre article (http://realite-histoire.over-blog.com/article-22506257.html) :

Tout d'abord, Pétain s'est dit heureux de rencontrer Hitler, même si l'atmosphère était tendue. Le Maréchal lui rappelle qu'à la place du gouvernement français, il n'aurait jamais déclaré la guerre à l'Allemagne tant leur supériorité militaire était évidente en 1939. Alors qu'il était ambassadeur en Espagne, il avait en vain demandé à deux reprises pour reprendre ses fonctions au sein du Conseil supérieur de la guerre. Il n'a l'accord de revenir qu'en mai 1940, c'est-à-dire en pleine débacle, à un moment ou tout était perdu. Puis Pétain annonce le souhait de renforcer la défense de ses colonies d'Afrique face à l'Angleterre et les gaullistes. Selon Paul Schmidt, l'ancienne alliée de la France "s'était incroyablement mal comportée envers elle". En effet, alors que l'Etat Français avait évité l'occupation totale de la métropole par l'Allemagne, le royaume de Grande-Bretagne le poignarde dans le dos. Quant à De Gaulle, il avait trahi sa patrie en déclenchant une guerre franco-française à Dakar le 23 septembre 1940, chose stupide et qui avait un impact négatif pour la cohésion de l'armée française et la préservation de l'Empire. Le Führer explique qu'il n'avait pas désiré cette guerre contre la France, mais qu'il était normal qu'elle en paye les frais. Ensuite, il indique qu'il luttera jusqu'à l'anéantissement de l'Angleterre et parle des opérations aériennes en Grande Bretagne. Pour Hitler, c'est cet Etat qui devait payer la plus grande part dans la guerre. Cependant, le futur traité ne devra pas être un traité d'oppression car cela risque d'empêcher l'établissement de rapports harmonieux entre les peuples. Il fallait, il est vrai, répartir les responsabilités et encourager ceux qui voulaient prendre un nouvel essor dans de meilleures conditions. D'après Pétain, le chef du Reich prévoyait un encerclement de l'Angleterre sur toutes les mers et par tous les pays voisins limitrophes. Si la France s'alliait à ce projet, c'est-à-dire le seul pays voisin de la Grande-Bretagne à ne pas être entièrement sous domination allemande, alors l'Angleterre ne pourra pas survivre longtemps. Cependant, les limites de la coopération ne pouvaient être connues immédiatement. Pétain accepta les principes d'une collaboration, mais lui préférait s'attarder sur les possibilités militaires en Afrique où l'Angleterre était l'assaillant. Sa volonté est visible, il souhaitait avant-tout sauvegarder l'Empire français contre tout intrus. De plus, si le Maréchal déclare directement la guerre contre l'Angleterre, il devrait faire appel au gouvernement, ce qu'il n'avait guère envie de faire. On peut donc prévoir une coopération, mais il faut agir avec prudence. Ensuite, le chef de la France exprima son admiration sur l'armement du Reich, et reconnu qu'il n'avait jamais connu de personne qui soit parvenu à des résultats gigantesques. A la fin de cet entretien, Philippe Pétain se déclara prêt à prendre en considération le principe d'une coopération avec Adolf Hitler et exprime sa satisfaction.

Malgré tout, Marc Ferro indique clairement une distinction entre Laval et Pétain qui n'abordaient pas la discussion de la même manière. En effet, Pierre Laval évoquait déjà son souhait d'une défaite anglaise, et remercie Hitler en déclarant accepter avec gratitude le principe de la collaboration qu'il propose. Au contraire, Pétain demeure froid comme à son habitude, avec un certain retrait. Par ailleurs, un nouveau malentendu émerge. Le Führer avait demandé que la France aide le Reich à acquérir des positions en Afrique. Mais d'après le Maréchal, la France a déjà ses positions à défendre et accepter cette collaboration doit engendrer une contrepartie. Toujours d'après Ferro, Pétain "considère qu'en assurant l'Allemagne qu'il défendra l'Empire français, il fait le maximum pour l'Allemagne." (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 191). Les résultats souhaités se sont pas satisfaisants pour les Allemands et le projet évoqué ne sera jamais appliqué. En effet, après la guerre, le diplomate allemand von Renthe-Finck dira que Montoire  "constitue la plus grande défaite de la politique allemande vis-à-vis de la France. Nous n'y avons rien obtenu [...] si il n'y avait pas eu Montoire, il n'y aurait probablement pas eu de débarquement allié en Afrique du Nord." Le docteur Schmidt, qui est aussi traducteur d'Adolf Hitler et auteur de Ma figuration auprès de Hitler, conclut la relation de l'entrevue dans ses mémoires par ces mots chargés de sens : "Je suis enclin à considérer le vainqueur de Verdun comme celui qui l'a emporté diplomatiquement dans le duel de Montoire." (Paul Schmidt, Ma figuration auprès de Hitler, Editions Plon, 1950). Lors de l'entrevue de Montoire, Hitler était prêt à céder en échange d'un engagement de la France contre l'Angleterre, mais Pétain se montrait prudent et souhaitait s'engager avec modération. Yves Bouthillier, le ministre des finances de l'époque, le confirme au Conseil des ministres le 26 octobre : "Entrevue sans grande portée. Hitler a parlé tout le temps. Il a fait étalage de moyens militaires avec lesquels aucune force du monde n'est capable de se mesurer. Le Maréchal a accepté le principe d'une collaboration, c'est à dire un pacte de cohabitation entre la puissance occupée et la puissance occupante. Il n'a pris aucun engagement. Son espoir était que sa rencontre avec le maître du Reich et l'assurance qu'il lui avait donnée d'un respect loyal de la convention d'armistice rendrait plus efficace désormais les efforts des ministres militaires de réarmer la France, des ministres civils pour la faire vivre, et les siens pour le retour des prisonniers." (Yves Bouthillier, Le drame de Vichy, Tome I : Face à l'ennemi, face à l'allié, p. 198).

Cependant, la coopération militaire envisagée n’est sans doute pas le seul sujet évoqué par les deux chefs d’Etats. Selon Paul Schmidt, Pétain souhaitait s'entretenir sur cinq points : les prisonniers, les frais d’occupation, les départements du nord, l’Alsace et la ligne de démarcation. Nous ignorons si ces points ont été évoqués, mais nous savons que le Maréchal n'a jamais parlé de l'Alsace lors de cet entretien puisqu'il l'avoua lors d'une conversation à du Moulin de Labarthète. D'ailleurs, le Chef d'Etat ajouta qu'aucun accord immédiat a été pris (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 192-193). Et dans une lettre envoyée au général Weygand, que j’ai repris dans la première partie concernant un double jeu de Pétain, ce dernier indique également « J’ai pu leur affirmer, car c’est la vérité, qu’il n’avait été question que d’une collaboration de principe. Aucune modalité n’avait été envisagée. Je me suis d’ailleurs borné, dans cette entrevue, à réclamer l’amélioration du sort des prisonniers, du ravitaillement, des communications entre les deux zones et la suppression de la ligne de démarcation, etc. ». Puis il ajoute que « Je ferai en sorte qu’elle ne pose pas sur les considérations d’ordre économique, ou sur la défense de notre empire africain, en écartant toute idée d’agression contre l’Angleterre. Je suis bien résolu à ne m’associer, pour cette tâche, ni aux Italiens et ni aux Allemands. » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 576-577, et Maxime Weygand, Mémoires, Tome III, appendice X). Autrement dit, une coopération militaire est envisagée, même elle n’est aucunement souhaitée par le Maréchal. Que plusieurs personnes indiquent ces points secondaires de l’entretien (tels le sort des prisonniers, la ligne de démarcation ou le ravitaillement), même s’ils ne figurent pas dans le procès verbal de la conversation du 24 octobre 1940, cela ne peut être le fruit du hasard. Chacun ne regardait pas ce qu’écrivait l’autre pour copier la même chose.

 

Il y a néanmoins une volonté de coopération militaire du Maréchal qui voulait protéger l’Empire français des anglo-gaullistes, même si cela ne lui plaisait guère. Alors Churchill et de Gaulle sont-ils responsables de l’entrevue de Montoire dont le principal motif pour Pétain était la défense de l’Empire Français ? Une instruction datée du 12 novembre 1940 et numéroté 18, va nous donner la réponse. Elle indique clairement que Pétain avait demandé une aide militaire à Hitler pour reconquérir les terres perdues en Afrique contre l'Angleterre et les gaullistes, et décrit l'objectif du Führer : "Le but de ma politique à l'égard de la France est de coopérer avec ce pays de la manière la plus efficace pour la conduite future de la guerre contre l'Angleterre. [...] La France aura provisoirement à jouer le rôle d'une puissance d'une non belligérante qui devra accepter dans le domaine de sa souveraineté, et en particulier dans ses colonies africaines, les mesures prises par l'Allemagne pour la conduite des opérations et à les appuyer dans la mesure nécessaire par l'emploi de ses propres moyens de défense. La tâche primordiale des Français est d'assurer défensivement et offensivement la protection de leurs possessions africaines (A.E.F et A.O.F) contre l'Angleterre et le mouvement De Gaulle. A partir de cette tâche la participation de la France à la guerre pourra se développer pleinement." (document repris par Marc Ferro dans Pétain, Hachette, 2009, p. 193). La réponse ne fait aucun doute. Qu’on le veuille ou non, par leurs actions contre l’Empire français, de Gaulle et Churchill sont indiscutablement responsable de l’entrevue de Montoire. Mais à la différence des gaullistes qui étaient prêts à tout pour légitimer leur chef, nous savons grâce à diverses sources que les Britanniques recontacteront le Maréchal, ce qui aboutira aux Accords Halifax-Chevalier puis aux Accords Pétain-Churchill, en décembre 1940. Je peux citer quelques exemples de données :

- la lettre de Pétain à destination de Weygand, dans laquelle il expliquait les tractations entre lui, les Britanniques et les Américains : « Vous avez très bien fait de ne pas répondre aux lettres de Winston Churchill et de Lord Halifax et de vous borner à leur accuser réception.

Moi aussi, j’ai été l’objet de questions nombreuses de la part de Winston Churchill et de Lord Halifax, curieux de connaître l’objet de mes conversations avec Hitler. J’ai pu leur affirmer, car c’est la vérité, qu’il n’avait été question que d’une collaboration de principe. Aucune modalité n’avait été envisagée.

[…]

L’amiral Platon est porteur de tous les renseignements susceptibles de vous intéresser. Pour que les Anglais osent vous demander de vous associer à l’œuvre de de Gaulle, il faut qu’ils soient bien bas dans leurs affaires, ou bien peu intelligents.

[…]

Le professeur Rougier m’a été annoncé, mais je ne l’ai pas encore reçu. On le considère, ici, comme un agent anglais. Vous faites bien d’affirmer que personne ne doit être autorisé à utiliser nos bases aériennes et navales.

[…]

La situation de notre Pays nécessite de maintenir un équilibre prudent entre la collaboration avec l’Allemagne (inévitable sur le plan économique) et les invites anglaises et américaines.

C’est une obligation que je ne perdrai pas de vue. » (Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 576-577, et Maxime Weygand, Mémoires, Tome III, appendice X).

- les nombreux écris de l’intellectuel Louis Rougier (Louis Rougier, Les accords Pétain-Churchill, Editions Beauchemin, Montréal, 1945, ou Editions du Cheval ailé, 1948, ainsi que Les secrets d'accord franco-britannique de l'automne 1940 : histoire et imposture, Grasset, Paris, 1954),

- un résumé du général Héring au moment du procès pour "trahison" du général Dentz en avril 1945 (http://www.generalhering.org/index.php/La-defense-du-General-DENTZ/Accords-PETAIN-CHURCHILL.html).

 

 

En conclusion, nous pouvons affirmer que la Bataille de Dakar remportée par la France avait eu des conséquences politiques beaucoup plus importantes qu'un Churchill ou qu'un de Gaulle le prétendait. Concernant l'attaque en elle-même, nous avons observé que la préparation de l'Opération Menace a été difficile et compromise déjà avant son lancement, en raison de problèmes de coordinations et de communications, puis également à cause de l’arrivée de renforts à la place stratégique de Dakar prouvant un manque de maîtrise du territoire. Alors que Churchill et le Cabinet de guerre britannique envisageaient d’annuler l’offensive, de Gaulle et plusieurs officiers britanniques tenaient à tout prix qu’elle eut lieu. L'homme de l'appel du 18 juin n’a pas hésité à engendrer un conflit entre français au nom d’intérêts personnels, car il souhaitait accroître son influence en Afrique et tenter de se légitimer davantage, mais il pensait qu’il serait accueillit pacifiquement et non pas par les armes. Dès la première journée de l’offensive qui fut marquée par le conflit franco-français, les anglo-gaullistes se révélèrent incapables de percer la ligne défensive face aux soldats fidèles au maréchal Pétain. De Gaulle qui tenait tant à prendre Dakar l’avait rapidement compris et souhaitait que ses troupes rebroussent chemin, mais le mal était fait. Cependant, Churchill exigeait que l’attaque s’intensifie, et cela même contre l’avis de plusieurs de ses officiers. Au final, la Bataille de Dakar se solda pour les anglo-gaullistes par une lourde défaite. De plus, elle était non seulement évitable, mais elle fut également inutile. En revanche, elle eut des répercussions non négligeables. En effet, l'agression des britanniques et des gaullistes avait notamment engendré l'entrevue de Montoire entre le maréchal Pétain et le Führer Adolf Hitler. Si on se réfère au procès verbal de la conversation du 24 octobre 1940, l'entretien concernait avant-tout la possibilité d'une coopération militaire, même s'il ne s'agissait pas du seul sujet. Ce projet, qui n'a finalement jamais vu le jour, a été envisagé après l'Opération Menace alors qu'il n'a jamais été évoqué avant cet évènement. Pour le chef de l'Etat Français, il était indispensable de protéger l'Empire national et principalement l’Afrique contre toute nouvelle agression anglo-gaulliste, quitte a obtenir un accord militaire avec l'Allemagne. Les sources démontrent que Pétain n'agissait pas par plaisir mais parce qu'il pensait agir pour la défense des intérêts de la France en souhaitant maintenir son unité, tandis que De Gaulle était perçu comme un homme voulant au contraire la division des français. Cette coopération militaire lui semblait donc une nécessité, mais tout en exprimant la volonté de faire la paix avec tous ses voisins, dont la Grande-Bretagne, comme le prouve l'existence des Accords Pétain-Churchill. Enfin, il faut noter que les soldats gaullistes interviendront souvent contre les forces françaises fidèles au maréchal Pétain (par exemple à Dakar en septembre 1940, ou au Liban et en Syrie en juin et juillet 1941), alors que d’autres troupes françaises comme l’Armée d’Afrique du Nord du général Juin se sont concentrées davantage sur les forces de l’Axe. De ce constat, on peut clairement se demander si l’objectif de de Gaulle était seulement de libérer la France et son Empire, ou aussi de se faire passer comme le principal sauveur de la nation tout en faisant croire que Pétain s’était pleinement rangé du côté de l’ennemi. Sur ce point, il a parfaitement réussi son coup.

Partager cet article
Repost0
26 janvier 2010 2 26 /01 /janvier /2010 23:50

 

prise bastilleLe 14 juillet est commémoré chaque année par les Français et demeure une source d’inspiration pour les romanciers, poètes, musiciens, artistes et bien-sûr politiciens. Ce jour fut notamment marqué par la prise de la Bastille qui est symbolisée aujourd'hui comme la victoire du peuple souverain sur la monarchie de droit divin. Mais cet événement est-il aussi important que tant de personnes le prétendent ? Ce jour qui, comme le soulignait le roi Louis XVI en inscrivant « rien » dans son journal de chasse, soit disant parce qu’il n’était pas sorti de chez lui … . Est-ce faire injure à la nation d’indiquer qu’en 1880, lorsqu’ils ont promulgué la fête nationale pour le 14 juillet, nos élus n’avaient pas choisi la date idéale ? Etait-ce la seule envisageable pour commémorer la victoire de la République naissante sur les restes gémissants de la monarchie ? Et pensaient-ils à la prise de la Bastille ou à un autre évènement survenu un an plus tard ?

   

Rappel historique de la prise de la Bastille

 

Avant toute chose, je pense qu’il convient de rappeler les événements qui ont entraîné la chute de la prison d’Etat. Lorsque je parle de rappel historique, ce n’est pas la légende contée régulièrement par les médias et la classe politique, et propagée par des auto-proclamés historiens tels que Jules Michelet. Celui-ci avait placé la bastille au cœur de la Révolution, et a été jusqu’à dire que « De la tyrannie au nom de la grâce royale, le peuple n’en voulait plus. Le peuple voulait être maître de son destin et maître de sa Justice ». Mais la réalité ne s’apparente jamais à un conte de fée, elle est complètement différente. Il faut examiner ce que fut réellement le 14 juillet 1789. Nous allons tout d’abord parler des forces en présence, grâce à quelques témoignages. Le plus important est celui du lieutenant Deflue qui commandait une garnison depuis juin 1789, mais sans vraiment manifester de joie et de motivation. Avant l’assaut de la Bastille, celui-ci passait une bonne partie de son temps à raconter le quotidien dans cette prison d’Etat. Cependant, le témoignage de Deflue a la particularité de ne comporter aucun jugement de valeur, sauf envers le gouverneur Launay. A son arrivé, il a été frappé par le faible nombre d’occupants, c’est-à-dire seulement une centaine d’hommes, dont la moitié était invalide et rescapée de la guerre de Sept Ans, et une trentaine de gardes suisses. Par ailleurs, le gouverneur Launay fit placer quatre canons sur les tours mais qui, selon Deflue, étaient en si mauvais état qu’il n’était pas certain qu’ils puissent lancer un seul boulet. En réalité, ces canons n'avaient pas servi dans un conflit depuis la Fronde, en 1649. Ils étaient donc quasiment jamais utilisés, sauf pendant certains jours de fête. En revanche, par peur d’un pillage, près de 10 000 fusils furent transférés de l’Arsenal à la Bastille le 12 juillet, c’est-à-dire dans un lieu fortifié et que les autorités pensaient imprenable. Les munitions s’élevaient à environ 500 boulets, 10 000 cartouches et 250 barils de poudre. Est-ce que Launay s’attendait à une attaque contre la Bastille ? Si 10 000 fusils ont été stockés dans ce lieu par peur d’un pillage de l’Arsenal, nous serions tentés de répondre par la négation. Cependant, les Mémoires du baron de Besenval permettent de nuancer. Général des armées du royaume, il était venu visiter la Bastille le 10 juillet 1789, et observe : « Causant avec ce gouverneur, je lui trouvais la mine d’un homme effrayé, le priais M. le maréchal de Broglie de le remplacer par M. de Verteuil, officier nerveux, qu’il serait difficile d’obliger à se rendre. Des considérations d’équité firent rejeter la proposition et la Bastille fut prise. » Le gouverneur aurait donc eu peur d’une attaque. Le lieutenant Déflue va aussi indiquer son point de vue à l’encontre du gouverneur Launay et son jugement envers lui est sans appel : « Le gouverneur de ce château est un homme sans grande expérience, de peu de connaissances militaires et de peu de courage […] Je vois que nous serions bien mal commandés si nous étions attaqués […] Il nous écoute, paraît nous approuver et ensuite agit tout autrement […] Je n’ai jamais vu d’hommes d’aussi grande irrésolution. » Mais si Launay était probablement effrayé par la situation à l’extérieur de la forteresse, il ne semblait pas se préoccuper du moral et les conditions de vie de ses hommes. Deflue le confirme puisqu’il explique qu’il n’y avait même pas six jours de vivres mangeables et très peu d’eau potable.

 

necker_2.jpgQuelle est la situation à l’extérieur de la Bastille ? Le Faubourg Saint-Antoine était agité depuis plusieurs semaines. Nous verrons pourquoi plus tard dans cet article. Or c’est au cœur de ce quartier que se situe la Bastille. De plus, depuis que les Etats Généraux s’étaient réunis en Assemblée nationale constituante, le 27 juin, la ville de Paris était en effervescence. Il ne faut pas oublier que la capitale française comprenait 700 000 habitants et était la plus grande de l’Occident. La situation devenait chaque jour plus anarchique. Cependant, il faut se retirer des mythes illustrés de belle manière par les bien-pensants. Par exemple, reprenons le fameux échange entre Louis XVI et François de la Rauchefoucauld :

« -C’est une révolte ?

-Non sire, c’est une révolution ! »

Il n’y a aucun témoin de la scène qui a confirmé ce récit, et il n’est pas impossible qu’il s’agit d'une falsification. Le banquier genevois Necker était au cœur de l’événement. Appelé, renvoyé, puis rappelé et de nouveau rejeté le 11 juillet 1789, il était très populaire malgré ses origines helvétiques. Il était aussi écouté des militaires, évidemment surtout par les gardes suisses. Le renvoi du 11 juillet fut très mal perçu et sonna le début d’un soulèvement dès le lendemain. On promena le buste de Necker comme s’il s’agissait d’une idole. C’est alors que Camille Desmoulins surgit de la loggia du Palais Royal, propriété du duc d’Orléans Philippe Egalité, le cousin et adversaire de Louis XVI, au point qu’il votera sa mort. Desmoulins en appela aux armes : « Ce soir, tous les bataillons suisses et allemands rassemblés au Champ de Mars envahiront nos places et nos rues, afin de tous nous égorger. Il ne nous reste qu’une ressource, courir aux armes et prendre des cocardes » Cependant, parmi les quelques sources contemporaines de cette époque que j’ai eu l’occasion de lire, aucune ne mentionnait ce discours qui aurait été destiné aux insurgés. En revanche, on sait que le lendemain, le prévôt des marchands Jacques de Flesselles décida d'organiser une milice urbaine de 48 000 hommes.

Sous cette chaude journée d’été, le peuple se révolta. Des dizaines de milliers de parisiens se retrouvèrent autour de la place Louis XV, aujourd’hui la place de la Concorde, où s’étaient massés la Garde Suisse et le Royal-Allemand, dont le nombre s'élevait à 3 000 soldats. Cela commença par des insultes et des jets de pierre, puis le désordre augmenta d’heure en heure. Le commandant du Royal-allemand Besenval évoquait une « canaille de 300 000 assaillants ». En réalité, ce nombre et très excessif, peut-être est-ce une justification de Besenval qui avait donné l’ordre à ses hommes de les charger ? En regroupant divers témoignages, dont celui du frère d’André Chénier, le nombres de révoltés avoisinait plutôt les 50 000 personnes. La véritable insurrection révolutionnaire s’effectua dans la journée puis la soirée du 13 juillet, à la suite de la répression des hommes de Besenval. Durant la soirée, la foule reflua des Champs-Elysées jusqu’aux Invalides, mais il ne s’agissait pas d’aller à la Bastille. Les soldats placés autour de la place Louis XV ne savaient comment réagir. Ils avaient tué un certain nombre de révoltés, mais ils étaient démoralisés. Alors beaucoup d’entre eux déposèrent les armes et se rangèrent au côté des insurgés. Ont-ils agi de leur propre initiative ou ont-ils suivi des ordres ? Il est quasiment impossible de répondre à la question. Seuls les Suisses ne rejoignirent pas les révoltés. Une foule immense investit l’hôtel des Invalides. Depuis l’après midi, des habitants de Paris et des faubourgs accourraient à charrette, à cheval et à dos d’âne. Dans un désordre monumental, les insurgés s’emparèrent de plus de 30 000 fusils et d’une dizaine de canons provenant des Invalides. Mais il n’était pas encore question d’aller à la Bastille. D’ailleurs, il est sans doute plus utile pour un Danton, un Marat ou un Desmoulins de diriger le peuple sur Versailles plutôt que sur la Bastille, si ce sont eux qui ont manipulé la révolte (nous n’en savons rien). Cependant, si les révoltés possédaient beaucoup de fusils, ils n’avaient pas de munitions, et des fusils sans munition ne servent pas à grand chose. Des munitions, il y en avait à la Bastille …

Dans ses Souvenirs d’une grande journée, l’horloger Jean Baptiste Humbert a raconté son aventure dans les rues de Paris et sur les quais de Seine, entre les Invalides et l’ancienne place de la Grève. Il indique que les révoltés se bousculaient tellement que plusieurs d’entre eux furent noyées. Il rapporte que pour obtenir un fusil, il est allé à l’hôtel des Invalides, mais qu’il a failli y mourir étouffé. De plus, il entendit une rumeur selon laquelle de la poudre était cachée à l’Hôtel de Ville. Il s’y est rendu mais n’a rien trouvé. L’horloger ajoute qu’il s’est assoupi sur une borne d’amarrage d’un quai du fleuve, à proximité de l’Hôtel de Ville, épuisé par cette journée du 13 juillet. Lorsqu’il se réveille à l’aube, c’est-à-dire dans la matinée du 14, des cris parcourent les Invalides et annoncent « A la Bastille ! A la Bastille ! ». Ainsi, sans avoir trouvé de munition, Jean Baptiste Humbert se range parmi la masse qui parvint au Faubourg Saint-Antoine, autour de la Bastille. Il y resta toute la journée. Mais il avoue qu’il y avait tellement de monde dans l'après-midi qu’il n’a même pas réussi à apercevoir la tête du gouverneur Launay qui, lui a t-on dit, fut plantée sur la pointe d’un pic (il regretta ne pas l’avoir vu). Lorsqu’il rentra chez lui, il ne sait pas trop pourquoi tant de monde s’était réuni autour de la forteresse. Il laissa même davantage un sentiment de honte que de joie, même s’il a ajouté avoir « passé une bonne journée ». Cet artisan montre que la chute de la Bastille, c’est-à-dire la journée du 14 juillet, est davantage née d’un mouvement soudain que d’un mouvement réfléchi. C’est aussi un mouvement de mécontents qui n’est pas le premier et qui ne sera pas le dernier. Néanmoins, le témoignage de Humbert prouve que les insurgés n’ont pas pris la Bastille afin de s’attaquer à un symbole à l’absolutisme, mais parce ce qu’ils avaient besoin de munitions pour charger leurs fusils, en particulier ceux de la milice urbaine créée par Jacques de Flesselles. Si Louis XVI a marqué « Rien » dans son journal le soir du 14, est-ce parce qu’il n’est pas sorti de chez lui ou parce qu'il pensait que la prise de la Bastille ne menaçait pas directement la monarchie, donc sa personne ?

 

de_lau10.jpgMais comment se déroula la chute de la Bastille ? Des sources de cette époque vont nous permettre de décrire la journée avec précision. Il faut bien se dire que si une partie de la population a pris la Bastille, ce n’est pas pour s’attaquer au symbole de l’absolutisme mais afin d’y trouver des munitions que les insurgés recherchaient depuis deux jours dans chaque recoin de la capitale. L’évènement est une insurrection parmi tant d’autres à cette époque. Avant sa mort, le gouverneur Launay connaissait les évènements qui agitaient la capitale depuis plusieurs jours. Il ne faut pas oublier qu’il a reçu 10 000 fusils, 10 000 cartouches et 500 barils de poudre en provenance de l’Arsenal le 12 juillet 1789. Par mesure préventive, il avait aussi fait évacuer les bâtiments extérieurs à la place forte le 13 juillet, alors que la population émettait déjà ses cris de colère. Dans ces bâtiments, une cinquantaine d’invalides et de rescapés de guerre avaient obtenu l’autorisation royale d’y demeurer. En échange du logis, les invalides avaient pour mission de veiller sur le contenu des entrepôts. A l’intérieur des entrepôts, il y avait plusieurs canons, des sacs de farine, du fourrage pour les chevaux, des uniformes et même des matériaux nécessaires à la fabrication d’un échafaud et employé pour des exécutions publiques. Mais le gouverneur avait fait rentrer ces invalides inaptes au combat à l’intérieur de la Bastille, se mettant ainsi dans une position d’assiégé dès la veille du siège, surtout que plusieurs de ces entrepôts n’étaient séparés de la forteresse que par un large fossé. En occupant les bâtiments désertés, les émeutiers avaient déjà un pied dans la prison fortifiée. Par ailleurs, les craintes devaient grandir pour les gardes de la Bastille au soir du 13.

 

Les faibles ravitaillements en vivres et en eau, ainsi que la possibilité d’un affrontement avec une population qui recherchait désespérément des munitions, devaient certainement affaiblir le moral des troupes. Durant la nuit, la forteresse fut complètement vérouillée et les deux ponts furent levés. De plus, ils n’étaient que quelques groupes armés de fusils, ce qui était peu face à plusieurs dizaine de milliers de personnes révoltées et beaucoup plus armées. Jusqu’à 10 heures du matin, la foule n’était guère plus conséquente que la veille. Mais à 10H30, trois hommes délégués par le comité permanent de l’Hôtel de Ville aux mains des insurgés se présentèrent au pont afin de rencontrer le gouverneur. Il ne s’agissait pas pour ces élus de s’emparer de la Bastille, mais seulement de demander à Launay qu’il retire les canons braqués en haut des tours. Le marquis de La Fayette justifia que ces canons « causaient beaucoup d’inquiétude et répandaient l’alarme dans tout Paris ». D’ailleurs, c’est à partir du moment où les délégués furent envoyés dans la forteresse que la masse commençait à croître. A 11 heures, l’un des ponts est abaissé. Launay les reçut courtoisement et les invita à partager son repas de midi. Nous sommes très loin du mythe enseigné par nos professeurs. Et oui, le 14 juillet 1789 s’est déroulé un déjeuner convivial à l’intérieur de la Bastille. Selon le lieutenant Deflue, il y avait même des mets et des vins de qualité. Les Etats Généraux avaient-il la moindre influence dans le déroulement des évènements ? Après tout, lorsqu’ils furent chassés de la salle des Menus-Plaisirs, les députés du Tiers Etat qui se réfugièrent au Jeu de Paume et qui prêtaient serment de ne pas se séparer avaient crié « Vive le roi ! ». Quant au roi, ce n’est pas pendant le 14 juillet 1789 qu’il craignait beaucoup la fin du système monarchique. Il était certainement plus affecté, et c’est normal, par la mort de son fils aîné, le Dauphin Louis Joseph Xavier, survenu le 4 juin à Meudon alors qu'il n'avait que 7 ans. A la Bastille, Launay était inquiet, mais cela faisait partie de son tempérament. Après tout, il avait déjà fait évacuer les bâtiments extérieurs de la forteresse, alors pourquoi ne pas accueillir les délégués de l’Hôtel de Ville afin de trouver un terrain d’entente ? Et ces derniers n’avaient pas de quoi s’alarmer. Cependant, à l’extérieur, la foule était de plus en plus nombreuse et lançait des clameurs, mais les murs étaient épais. Malgré tout, les personnes qui hurlaient autour de la Bastille n’avaient aucune intention hostile, contrairement à ce qui s’est passé aux Invalides. Seules les munitions étaient importantes, peu importe la prison. Les délégués ne revenaient pas alors qu’on réclamait de plus en plus leur retour. Mais si Launay les retenait prisonnier ? Ou s’il les avait acheté ? Au contraire, peut-être que le gouverneur les a fusillé ? Mais alors, qu’attendait t-on pour entrer dans la forteresse ? Il fallait donc le savoir le plus vite possible. Au milieu d’une foule qui hurlait, l’avocat Thuriot de la Rozière donna son accord pour conduire une deuxième délégation. Il était déjà 14 heures, ce qui veut dire que plusieurs heures s’étaient écoulées depuis l’envoi de la première délégation. Pourquoi Thuriot ? Tout simplement parce qu’il connaissait bien la Bastille pour y avoir été enfermé et pour y avoir visité l’un de ses clients, Jean La Corrège, trésorier royal incarcéré pour faux. Mais à ce moment, les trois délégués revinrent de leur mission. Devant une foule en colère, ils furent accusés d’avoir pactisé avec le gouverneur, et les injures se mirent à pleuvoir. Thuriot tenta de calmer les coléreux, et déclara qu’il irait lui-même rencontrer Launay avec trois autres délégués pour connaître ses intentions. Cependant, les insurgés n’avaient pas confiance et voulaient davantage que ces promesses. Malgré tout, Thuriot parlementa avec le responsable de la Bastille avec la même courtoisie que la première délégation. L’avocat lui demanda de rendre la forteresse et l’armement qui s’y trouve, mais le gouverneur répond qu’il ne peut le faire sans une ordonnance royale. En revanche, ce dernier promit qu’il ne fera tirer aucun coup de canon. Thuriot de la Rozière fit passer le message et se rendit à l’Hôtel de Ville. Cependant, il apprit que les évènements prenaient une tournure inquiétante, surtout que la foule se mit à crier « On veut la Bastille ! ».
Malgré tout, il faut mettre en avant une évidence. Les moyens de communication étaient bien moins évolués qu’aujourd’hui. Il paraît donc peu probable que toute la foule était au courant des tractations entre les différentes délégations et Launay à l'intérieur de la forteresse, et c’est donc une minorité de gens qui savait vraiment ce qu'il se passait. Donc est-ce cette minorité qui criait « On veut la Bastille ! » car elle était déçue des négociations, en particulier de la première déléguation ? Ces personnes, lettrées pour la plupart, avaient peut-être arrangué le peuple qui se massait progressivement. Ou est-ce la foule ignorante qui attendait de savoir ce qui se passe et voulait se venger de leurs misérables conditions de vie ? Surtout que beaucoup de personnes sont arrivées en début d’après-midi alors que la première délégation avait été envoyée à la Bastille dès 10H30. Le chancelier Pasquier, qui participera aux jugements du Tribunal révolutionnaire, avait mentionné les évènements qui se sont déroulés le 14 juillet. Voici notamment ce qu’il dit durant ces mémoires : « Le 14 juillet, alors que chacun étouffait de chaleur, cela n’a pas arrêté le flux des nombreux spectateurs qui étaient accourus pour voir ce qu’il allait advenir de la prison. Parmi eux, se trouvaient beaucoup de femmes très élégantes, elles avaient, afin d’approcher plus aisément, laissé leur voiture à quelque distance. J’étais, moi, avec Mademoisele Contat, de la Comédie-Française, nous restâmes jusqu’au dénouement et je lui donnai le bras jusqu’à sa voiture qui était place royale (actuelle Place des Vosges, située à quelques centaines de mètres de la Bastille). ». Quant à Elie, responsable d'un détachement de gardes français, il témoignera : "La Bastille n'a pas été prise de vive force. Elle s'est rendue, avant d'être attaquée, sur la parole que j'ai donnée, foi d'officier français, qu'il ne serait fait aucun mal à personne si elle se rendait".
Nous sommes donc loin du mythe de la chute de la Bastille acquise après un combat acharné.
A 15 heures, encore aucun coup de feu n’a été tiré. Mais à ce moment, deux révoltés grimpent sur les toits. Aujourd’hui, nous ne connaissons vaguement que l’un des deux hommes, qui est épicier. Lui et son compagnon parvinrent à sauter dans la cour intérieure et, armés d’une hache, cisaillent les chaînes qui retenaient le pont-levis. Cette action permit aux assaillants d’envahir la Bastille. Il devait être environ 15H30. Alors se déclenchèrent des échanges de coups de feu. Selon le lieutenant Deflue, se sont les assaillants qui tirèrent les premiers. Mais pour le chancelier Pasquier, se sont les gardes suisses qui ouvrirent les hostilités, par crainte d’être fusillés s’ils ne se défendaient pas. Quoi qu’il en soit, cette salve fut assez meurtrière et les morts de la journée furent emmenés à l’Hôtel de Ville, tandis que les blessés furent transportés à l’Hôtel-Dieu, sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame. Ces tirs étaient les seuls de la journée. Est-ce que le gouverneur Launay avait donné l’ordre de tirer ? D’après Deflue, le responsable de la Bastille n’avait pas l’intention de résister longtemps, ce que l’auteur regrette. De nouveaux pourparlers s’engagèrent entre le gouverneur et les délégués. Le chancelier Pasquier affirmait que tous les soldats avaient abandonné leurs postes ou s’étaient rendus, même s’il faut faire attention à ces propos puisque nous ne savons pas s’il était présent sur les lieux. Cependant, Launay ne voulait pas se rendre avant d’en avoir reçu l’ordre du roi. Les assiégeants ne voulaient plus attendre. Alors deux personnes poussèrent les assiégés à l’assaut. Le premier d’entre eux se nomma Pierre-Augustin Hulin et était patron d’une buanderie à Epinay. Il avait 31 ans, et sera par la suite général d’empire et siègera au conseil de guerre qui condamnera le duc d’Enghien. Le second s’appela  Jacob Job Elie et arriva à la Bastille vers 16 heures avec plusieurs citoyens armés. Né dans une modeste famille de Picardie, il était sous-lieutenant au régiment de la Reine. Plus tard, il deviendra également général en 1793, mais il sera réformé en 1797 puis quittera officiellement l’armée pour finir paisiblement sa vie dans une ferme à Varennes. Les deux hommes parvinrent à former une petite compagnie afin de lancer un assaut dans la forteresse. Les défenseurs ne pouvaient pas faire grand chose, à part abandonner leur position pour sauver leur vie. Les assaillants abattirent le deuxième pont-levis, puis pillèrent les appartements. Enfin, ils parvinrent dans le logement du gouverneur. A 17H30, tout était finit. Launay fut lynché par la foule, lardé de plusieurs coups d'épées et de baoïnnettes, puis achevé par un coup de pistolet. Il est ensuite décapité par un boucher nommé Desnot, d'abord avec un sabre qu'on lui donne, puis le "travail" est terminé au canif. Il y avait un autre décès important, celui de Jacques de Flesselles, le prévôt des marchands de Paris qui avait levé une milice de 48 000 hommes. Ce dernier fut tué d’une balle de pistolet près de l’Hôtel de ville, après avoir été accusé d'avoir trahi le peuple, et sa tête fut aussi tranchée. La Bastille était prise puis détruite. A noté que ce n'était pas la première fois que cette soit disante forteresse imprenable était prise. Elle avait notamment capitulé pendant la Fronde, le 12 janvier 1649. D'après l'historien Albert Soboul, 45,3% des révoltés étaient des maîtres artisans, 18,5% furent des commerçants, 10,5% exerçaient dans des professions libérales (Albert Soboul, Les Sans-culottes parisiens de l'an II, Editions du Seuil, La Roche-sur-Yon, 1968).
N'oublions pas que Necker était considéré comme un défenseur du petit peuple face au libéralisme et fut perçu comme un protecteur du Tiers-Etat, composé essentiellement de gens issus de professions libérales (avocats, médecins, ...) ou travaillant dans le commerce.


Dans les divers témoignages, les auteurs de l’époque n’expliquent jamais que la prise de la Bastille résultait d’une volonté pour le peuple d'abattre le symbole du despotisme. Le criminel révolutionnaire Louis-Antoine de Saint-Just lui-même n'a t-il pas dit que lors que cet évènement le peuple avait crié "Vive la liberté ! Vive le roi !" ? D’ailleurs, il faut bien avoir conscience qu’avant Napoléon, la France n’avait jamais connu d’autre régime que la monarchie. Il n’était sans doute pas concevable pour le français moyen de 1789, que d’autres régimes politiques puissent exister. D’ailleurs, ce sont des bourgeois et aristocrates qui imagineront les futures institutions françaises, et non des personnes issues de la classe moyenne qui composaient la majorité de la foule regroupée autour de la forteresse au moment de son saccage le 14 juillet 1789. Certes, le peuple s’intéressait de plus en plus à la politique du royaume et aimait beaucoup Necker, le célèbre banquier suisse inspiré des Lumières qui fut renvoyé le 12 juillet. Mais ce qui a incité la population à se soulever, c’est surtout pour combattre une décision royale et les soldats stationnés à Paris (ceux du baron Besenval et les gardes suisses), mais non pas pour détruire la monarchie au profit d’un élan de liberté républicaine, surtout que la majorité de la population ne savait même pas ce qu’était une république. Enfin, il faut savoir que d’autres évènements qui précèdent la chute de la Bastille s’avérèrent plus dramatiques et révolutionnaires. Nous allons le constater à travers l’étude de deux épisodes, dont l’un qui se déroulait autour de la Bastille, dans le faubourg Saint-Antoine.

Antoine BarnaveDeux évènements révolutionnaires avant la chute de la Bastille
 

Il est totalement faux de dire que la Révolution française a brutalement débuté en 1789. Quelques tensions apparurent dans les années 1780, puis atteignirent son paroxysme à la fin de la décennie. Le premier événement dont on peut faire référence est la journée des Tuiles du 7 juin 1788 à Grenoble. Cet épisode était plus meurtrier que la prise de la Bastille. A cette période, le Parlement du Dauphiné à Grenoble était composé de jeunes juristes hostiles à l’absolutisme. Au début du mois de mai 1788, le Parlement local devait enregistrer un certain nombre d'édits royaux, comme dans toutes les assemblées, mais dont on en connait pas la teneur. Selon l'historien Michel Winock, le lieutenant général et gouverneur de la ville, le duc de Clermont-Tonnerre, avait reçu pour mission de communiquer au premier président Bérulle les textes à enregistrer par l'intermédiaire de Caze de la Bove, avec l'ordre unilatéral d'interdire toute délibération. Winock précise que des cours souveraines avaient signé un arrêt de protestations, dont le Parlement de Paris qui devait payer sa contestation d'une mise "en vacances". Le 9 mai 1788, la cour de Grenoble déclare nulles les lois qui pourraient être imposées "contre les formes reçues" (Michel Winock, 1789, l'année sans pareille, Perrin, 2004, p. 10). Alors dès le lendemain, le duc de Clermont-Tonerre, l'intendant Caze de la Bove et les parlementaires se réunissent en séance à la Grande Chambre du Parlement. Les commissaires du roi réitèrent l'interdiction de délibérer, engendrant l'hostilité grandissante des parlementaires. D'après Michel Winock, ces édits concernaient certainement la neutralisation du pouvoir parlementaire, avec "une réorganisation judiciaire qui affaiblissait le rôle des justices seigneuriales et réduisait sensiblement les fonctions de parlements, lesquels se voyaient doublés par de nouveaux tribunaux : la diminution des causes qu'ils auraient à traiter abaissait la valeur des charges.". L'historien ajoute un objectif : "Ensuite, et surtout, le gouvernement ôtait au Parlement son droit de contestation" (Michel Winock, 1789, l'année sans pareille, Perrin, 2004, p. 11). Il ne faut pas oublier ces présidents et conseillers locaux faisaient vivre un certain nombre de métiers locaux : magistrats (procureurs, avocats, huissiers, ...), artisans et commerçants, paysans, ... . Par conséquent, Winock explique très bien que les intentions royales à l'encontre des parlementaires touchaient par ricochet tous les rangs de la société grenobloise. Enfin, les édits imposaient deux autres intentions : la nouvelle cour plénière n'aurait plus que le droit d'enregistrement et le Tiers Etat devait en être absent (Michel Winock, 1789, l'année sans pareille, Perrin, 2004, p. 11-12). Obligatoirement, toutes ces décisions ont engendré l'emergence d'un sentiment anti-royal.

Le 7 juin 1788, c’était jour de marché à Grenoble, mais les produits étaient rares et chers. Le duc de Clermont-Tonnerre avait ordonné à 500 hommes du régiment Royal-Marine de se montrer dans les rues afin de maintenir l’ordre par la simple présence de ses soldats. A l’intérieur du Parlement, un juriste âgé de 27 ans nommé Antoine Barnave s’opposa à cette présence militaire. Malgré sa jeunesse et son manque d’expérience, il avait une certaine influence. A 11 heures, il courut de paroisse en paroisse et fit sonner le tocsin dans toute la localité. Alors les habitants de Grenoble accoururent dans les ruelles de la ville, puis les montagnards et les campagnards les rejoignirent. Puis des hommes armés on ne sait comment organisèrent la manifestation, et des cris hostiles au roi de France sortirent de la foule. Alors les soldats du Royal-Marine se retirèrent en direction de l’Hôtel du gouverneur. Barnave se rendit ensuite au Parlement local et proposa de lancer un appel en direction des autres Parlements régionaux. Il ambitionnait de créer un gouvernement « d’insubordination du roi ». Cependant, ce n’est pas une république que souhaitait Barnave, mais une monarchie constitutionnelle dans laquelle il pourrait mettre en place ses idées. Son ambition lui coûtera cher puisqu’il sera guillotiné quatre ans plus tard, avec la bénédiction de Robespierre. Par la suite, le Royal-Marine était replié au centre de la ville. La foule mécontente de leurs conditions de vie réclamait du pain et se dirigea vers l'Hôtel de ville. Puis l’hôtel du gouverneur fut investi par les insurgés et les portes furent forcées. Alors le duc de Clermont-Tonnerre donna l’ordre à ses soldats de tirer sur eux. Mais la répression ne faisait qu’exciter le peuple. Les  protestataires se répandirent dans les rues de la ville, envahirent des maisons et montèrent sur les toits. Certains d’entre eux lancèrent des tuiles sur les soldats. La révolte se poursuivit toute la nuit. De plus, des rumeurs circulaient durant l’insurrection. Les autres régions se seraient soulevées et les militaires auraient déserté. Malgré tout, Antoine Barnave et son collègue parlementaire Jean-Joseph Mounier tentèrent de négocier avec Clermont-Tonnerre, afin que ce dernier accorde sa confiance au Parlement de Grenoble. De plus, il accepta que l’assemblée provinciale du Dauphiné puisse se réunir au château de Vizille, à une vingtaine de kilomètres de la ville. A la suite de ces accords, la révolte se calma et le Parlement put établir les réformes que voulaient mettre en place Antoine Barnave. Le 7 juillet 1788, l’assemblée du Dauphiné se réunira sur les bords de la Romanche. Cet évènement appelé « Journée des Tuiles » a eu un impact non négligeable puisqu'il démontre l’influence de moins en moins grande d’un roi incapable de contrôler les événements, même lorsqu’il est personnellement attaqué. De plus, il y a une volonté révolutionnaire parmi ceux qui lancèrent la révolte, beaucoup plus que pour la prise de la Bastille. Donc il aurait été plus logique de désigner le 7 juin 1788 comme la fête nationale commémorative.
 

Avant la prise de la Bastille, il y eu divers soulèvements de moindre importance à Rennes, à Bordeaux, à Pau et dans divers lieux du royaume. Mais l’un d’entre eux a eu une ampleur plus importante que les autres, c’est celle du faubourg Saint-Antoine, à Paris. En effet, il faut savoir que la Bastille était située au cœur de ce quartier réputé chaud, comprenant des échoppes, des ateliers, et des modestes commerces. Ce lieu servait aussi de refuge pour les campagnards s’installant en ville afin de fuir les impôts de plus en plus lourds dans les espaces ruraux. Ceux-ci devenaient souvent ouvriers et recevaient un salaire de misère. En 1788, la population du faubourg Saint-Antoine s’était accrue avec l’afflux d’immigrants provinciaux après des récoltes désastreuses. Ces hommes et ces femmes sans aucune qualification devaient régulièrement se battre pour acquérir une bouchée de pain. Entre les boutiques et les ateliers, une entreprise employait plus de 300 ouvriers pour la fabrication de papiers peints destinés aux riches demeures du royaume, dont le château de Versailles. Le propriétaire de cette manufacture se nommait Jean-Baptiste Réveillon et subissait une perte de bénéfice depuis plusieurs années. Ces papiers peints se vendaient de moins en moins biens, pour la simple raison que la noblesse achetait de plus en plus à l'étranger avec le développement du commerce internationnal. L’entrepreneur prit donc la décision de réduire le nombre de ses ouvriers et de baisser les salaires de ceux qu’il gardait. Cette décision aura de lourdes conséquences car tout le faubourg se souleva. En ces jours du 27 et du 28 avril 1789, il y aura plus de victimes que trois mois plus tard avec la chute de la forteresse. La manifestation qui agita le quartier tourna rapidement à l’émeute. Le 27, plusieurs centaines d'ouvriers défilèrent dans le quartier de manière violente. Le cortège va grossir progressivement pour atteindre des proportions inquiètantes. Le lieutenant général Thiroux de Crosne avait convoqué le duc du Châtelet, commandant des gardes françaises, ainsi que le marquis de Besenval, commandant des gardes suisses. Michel Winock précise que le lieutenant de police avait prévenu le roi que la démonstration tourna en émeute (Michel Winock, 1789, l'année sans pareille, Perrin, 2004, p. 74). Au cours de cette même journée du 27 avril, la maison de Réveillon échappa à l'assaut des manifestations grâce à la présence des gardes françaises, tandis que celle de Henriot fut mise à sac puis brulée. Le lendemain, le mouvement d'hostilité s'étend à tout le centre de Paris. Les manifestants du faubourg Saint-Antoine sont rejoints d'autres cortèges, notamment celui du faubourg Saint-Marcel. Puis la foule s'attaqua cette fois-ci à la fabrique et à la propriété de Jean-Baptiste Réveillon, bâtiments dont ils ne restèrent qu'un brasier. Ensuite, c'est une véritable bataille de rue qui se déroula dans le centre parisien (Michel Winock, 1789, l'année sans pareille, Perrin, 2004, p. 75). Certains montèrent sur les toits pour arroser les troupes royales en tuiles et en pavées. Alors les renforts arrivèrent à grands pas et avec des canons. Le 2ème Régiment des Gardes Royales boucla le quartier pour éviter que le soulèvement atteigne les autres quartiers et afin d’isoler les mécontents. Les manifestants ne s'agitèrent plus seulement contre les patrons de manufactures, mais aussi contre les forces de l'ordre. Les gardes tirèrent dans la foule  d'où s'échappèrent des cris "Vive le Tiers Etat !" mais aussi "Vive le Roi ! Vive Necker!" pour demander de l'aide aux pricupaux représentants de l'Etat. Les émeutiers répondirent par des lancers de pavées et des jets de batons, mais la lutte fut très inégale et la répression fut très sévère. Le sang coulera beaucoup plus en ce jour d’avril qu’en juillet. En effet, les soldats du roi tirèrent sur les manifestants pour mettre fin à l’émeute, engendrant un véritable massacre. Le bilan fut particulièrement lourd, c’est-à-dire plus de 300 morts et près de 1000 blessés, mais il est très approximatif. Les gardes iront jusqu'à pendre des manifestants, et d'autres seront même marqués au fer rouge et envoyés en galère. Durant la Révolution Française, il n’y a que la prise du château des Tuileries, le 10 août 1792, qui fut plus meurtrier que le 28 avril 1789. C’est donc une erreur monumentale d’enseigner à notre jeunesse que la Révolution française commença avec la prise de la Bastille. S’il y a une date que nous pouvons considérer comme le début de l’insurrection révolutionnaire dans la capitale, c’est bien celle du 28 avril.

Sur ce sujet, je reprends volontier la réflexion de Michel Winock concernant les raisons de ce mouvement : "Sur ce qui fut considéré par bien des contemporains comme un simple fait divers, mais qui est apparu ensuite comme le début du grand feu révolutionnaire, plusieurs interprétations ont couru. Beaucoup ont cru au complot. [...] Oui, l'affaire Réveillon serait bien politique. Mais, loin d'avoir été provoquée par le duc d'Orléans ou par on ne sait quel autre diabolique conspirateur, elle a été, comme le pense le chevalier de Moret qui en parle à son compatriote Necker : "le prélude d'une insurrection" - celle des exclus du suffrage, les moins de six livres de capitation. Et notre chevalier de conseiller au ministre d'accorder des députés à cette classe, "à ce pauvre peuple", - "au moins une vingtaine"." Cependant, il précise "Marcel Reinhard, qui cite cette lettre de Moret à Necker, tient pour nulle cette explication, dans la mesure où aucun document d'archive ne fait illusion à cette frustration de citoyen passif avant la lettre." (Michel Winock, 1789, l'année sans pareille, Perrin, 2004, p. 76-77). Enfin, il explique "Le procès verbaux d'interrogatoire rapportent que les paroles prêtées à Réveillon et à Henriot, selon lesquelles les ouvriers pouvaient vivre avec quinze sous par jour, avaient été pour tous un sujet d'indignation qui les avaient fait sortir dans la rue. D'autres pièces parlent de "solidarité" nécessaire entre ouvriers [idée complètement nouvelle à cette époque]. Le prix du pain est alors de quatorze sous et demi, voilà la véritable raison de l'émeute ! Par là, le mouvement appartient à la longue série des mouvements d'Ancien Régime, causés par la disette, la pénurie, la faim. Non point un mouvement de classe : nulle récrimination contre les "patrons"; rien que de la fureur contre deux personnes censées avoir tenu des propos scandaleux, provoquants, injuriant la misère du peuple. "Sire, c'est à la cherté du pain qu'il faut attribuer nos derniers malheurs", écrivait peu après l'auteur du pamphlet Lettre au roi. Et le libraire Hardy, bon observateur des agitations qui parcourent sa ville, nous confirme dans son Journal que les assiégeants de la maison Réveillon réclamaient la diminution du prix du pain." (Michel Winock, 1789, l'année sans pareille, Perrin, 2004, p. 79). Il y a bien une inspiration révolutionnaire dans cet épisode sanglant de notre histoire de France, même si dans le fond il ressemble à beaucoup de manifestations d'Ancien Régime.

 

A défaut de retenir la "journée des Tuiles" de Grenoble, les parlementaires de 1880 auraient été plus avisés de choisir le 28 avril plutôt que le 14 juillet pour commémorer la soit-disante lutte du peuple pour la liberté contre l’absolutisme et la royauté. Il est vrai que la Bastille fut pillé par un peuple voulant trouver des munitions pour leurs fusils afin de s’opposer à l’armée royale stationnée dans la ville, à la suite du renvoi du populaire Necker. Il y a donc une contestation vis-à-vis de l’autorité du roi et une volonté de changement, mais il n’y a pas la prétention de détruire la monarchie. En dehors de la symbolique que représente la prison d’Etat, nos politiciens du début de la IIIème République souhaitaient-ils vraiment offrir au peuple une fête de la liberté ? Pourquoi a-t-on désigné la prise de la Bastille comme le symbole du patriotisme français ? En réalité, ce n'est aucunement la prise de la Bastille que l'on voulait célébrer ...

drapeau-france.gifL'établissement de la fête nationale le 14 juillet, en référence à la Fête de la Fédération
 

Si aujourd’hui, la date du 14 juillet comme fête nationale fait l’unanimité, ce n’était pas le cas lors des débats de 1880, avant de l’inscrire sur notre calendrier. Le premier citoyen à songer commémorer le 14 juillet 1789 est un certain Fleury-Lescot, maire de Paris à la fin du XVIIIème siècle. Réputé pour être un sanguinaire, il aimait démontrer qu’il était révolutionnaire en faisant fonctionner la guillotine à plein régime, reprochant même à Robespierre que l’invention de Guillotin ne fut pas utilisée assez souvent dans la capitale. Le 26 messidor de l’an II, c’est-à-dire le 14 juillet 1794, il prononça un discours : « Salut au 14 juillet ! Salut au jour à jamais mémorable, où le peuple de Paris a cimenté de son sang la première pierre de la liberté publique en reversant la Bastille ! […] Salut à vous tous qui avez concouru ce jour-là par votre énergie à renverser le despotisme, dans un combat qui lui a été livré ! ». Visiblement, Fleury-Lescot avait un sacré problème de mémoire puisqu’il ignore (volontairement ?) le soulèvement du 28 avril dans la capitale. Dès la fin du XVIIIème siècle, des politiciens parisiens prenaient déjà la chute de la Bastille à leur compte en falsifiaient l’histoire. En revanche, Fleury-Lescot tout comme d’autres ne mentionnait jamais les révoltes populaires qui ont été historiquement authentifiées comme révolutionnaires et contre l’absolutisme. Mais sans doute qu’il préférait évoquer un événement où il était présent. Et certes, le sang a coulé lors de la chute de la Bastille, mais des statistiques établies sous le contrôle de La Fayette font état de 83 morts dans les deux camps, de 19 veuves et de 5 orphelins. Rien à voir avec les quelques centaines de morts survenues à Grenoble le 7 juin 1788 et à Paris le 28 avril 1789. Bien-sûr, les participants de cet événement s’opposaient à l’absolutisme, mais des témoignages comme celui de l’horloger Jean Baptiste Humbert ont démontré que la foule se composait de nombreux curieux se contentant de suivre, conformément à l’effet de masse. Ceci explique pourquoi, parmi les dizaines de milliers de personnes, le nombre de tués n’a pas atteint la centaine alors que beaucoup d’entre eux furent armés. En réalité, au moment où Fleury-Lescot prononçait son discours, il n’y avait pas de commémoration en l’honneur de la prise de la Bastille. En revanche, il y avait la Fête de la Fédération. En effet, le 14 juillet 1790 a lieu la première édition d’une immense fête regroupant les citoyens de toutes les classes sociales à travers le pays. A ce moment, on ne parlait même pas d’assimiler cet événement à la chute de la Bastille. Peut-être que des Parisiens qui ont participé à l’événement du 14 juillet 1789 faisaient cette assimilation à l’exemple du maire de Paris Fleury-Lescot, mais les provinciaux n’y pensaient certainement pas. Il est même fort improbable que l’agriculteur ou l’artisan de campagne connaissait l’existence et l’importance d’une forteresse servant à abriter quelques nobles et bourgeois ou étant utilisée pour stocker de l’armement. Il n’était donc pas dans l’esprit des provinciaux de rendre hommage à un événement dont ils ont juste entendu parler et n’ayant eu qu’un impact limité à la capitale. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que des événements similaires, voire même plus importants, se déroulaient un peu partout dans le royaume. La chute de la Bastille n’était donc qu’un mouvement de révolte parmi tant d’autres. Cependant, après l’accession au pouvoir de Napoléon Ier, ce dernier supprima la Fête de la Fédération.

Durant plusieurs générations, il n’y avait plus de commémoration populaire. Il fallut attendre la IIIème République pour que l’on envisagea à fixer un jour de mémoire pour se souvenir des patriotes qui ont œuvré pour l’obtention des libertés acquises par le peuple. On voulait rendre hommage à tous ceux qui ont combattu le despotisme, ainsi que les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789. Mais ce projet de commémoration était envisagé à une époque où la France avait subi une humiliation en 1871 avec la perte de l’Alsace-Lorraine. Il fallait donc ne pas oublier d’inclure l’armée dans cette fête nationale, notamment en la faisant parader au Bois de Boulogne afin que la population de Paris puisse venir la saluer, en mêlant sentiment nationaliste et volonté de vengeance vis-à-vis de l’Allemagne prussienne. Il faut donc une célébration populaire festive, dans laquelle on pourrait saluer l’armée. En 1880, les politiciens réfléchirent à plusieurs dates. Tout d’abord, on pensait au 4 août, date correspondant à la suppression des privilèges (1789). Cette idée était séduisante puisque l’événement symbolise l’émancipation populaire selon la propagande républicaine. Puis on réfléchissait à propos du 21 septembre, c’est-à-dire le jour de l’abolition de la royauté (1792). Cette dernière posait problème pour deux raisons. Tout d’abord, elle était peu compatible avec l’esprit révolutionnaire puisqu’il ne faut oublier que, pendant deux ans, Louis XVI n’était plus « roi de France » mais « roi des [citoyens] Français » à la suite des insurrections précédant 1792. Etablir une commémoration à partir du 21 septembre, c’est sous-évaluer les évènements avant 1792. Deuxièmement, les institutions républicaines comprenaient encore de nombreux monarchistes à cette époque, désireux d’abattre la jeune République française. Prendre le 21 septembre aurait engendré une opposition farouche des monarchistes qui ne pourraient tolérer ce projet, et ainsi accroître les tensions entre ces derniers et les républicains. Puis un troisième projet de fête nationale émergea, celui du 14 juillet. Cette idée vint du parisien Benjamin Raspail, député de la Seine, qui voulait remettre en place la grande Fête de la Fédération comme en 1790, non pour faire référence à la prise de la Bastille. Cependant, plusieurs politiciens qui s’accordèrent avec le souhait de Raspail firent l’amalgame avec la prise de la Bastille, tout comme Fleury-Lescot un siècle auparavant. Parmi eux, le sénateur lettré Victor Hugo qui assimile la Bastille au despotisme. S’adressant à ses collègues sénateurs, il déclare : « Le 14 juillet 1790 fut plus qu’une fête des Ordres fédérés, ce fut une fête humaine, universelle, qui célébrait la chute de notre Bastille, mais aussi de toutes les Bastilles à travers le vaste monde […] Notre 14 juillet doit marquer la fin de tous les esclavages, la volonté des humains de vivre libre. Pour l’univers entier, le 14 juillet sera un mythe autour duquel les peuples se rassembleront. ». Mais quelle prison redoutable que fut la Bastille ! Nous verrons un peu plus tard dans cet article à quel point les conditions de vie des prisonniers étaient misérables … En revanche, Victor Hugo a bien fait de parler de mythe, étant donné que le mythe correspond à une petite partie de vérité pour une grande partie d’inventions. Quoi qu’il en soit, le choix fut fixé. La loi est votée le 6 juillet 1880. Une semaine plus tard à Longchamp, plus précisément dans le Bois de Boulogne, les Parisiens applaudissaient les soldats qui paradaient, mais sans vraiment connaître les raisons de cette manifestation. Puis des bals des rues sont organisés. C’est un mouvement populaire qui s’enclenche à l’image du 14 juillet 1790, et ce n’est pas la prise de la Bastille qui fut fêtée par le Français moyen. La chute de la Bastille comme fête nationale s’établira au fil des temps et à cause de l’amalgame avec la Fête de la Fédération, surpassant cette dernière dans la mémoire populaire. La loi votée, la première commémoration célébrée, le mythe en marche, mais c’est une erreur de croire que ce fut l’union nationale. Certains vinrent un complot maçonnique dans cette fête, étant donné que Raspail était franc-maçon. Le journal La Croix titrèrent « La folie du 14 juillet ». D’autres, conservateurs, s’indignèrent et crièrent à la « voyoucratie historique ». Quoi qu’il en soit, est-il approprié de montrer la Bastille comme le symbolise du despotisme ?

bonnet_phrygien.jpg
La prison de la Bastille, symbole du despotisme ?

Il faut bien avouer que c’est attirant pour un républicain de considérer la Bastille comme le symbole du despotisme, car les quelques prisonniers sont majoritairement des opposants au roi, c’est-à-dire des comploteurs et des rebelles à l’autorité royale, ainsi que quelques grands escrocs. Cependant, si on veut vraiment montrer l’expression du despotisme en France, la prison d’Etat est le plus mauvais exemple puisque les prisonniers avaient des conditions de vie que beaucoup de gens de l’époque pourraient envier. En effet, on peut même affirmer sans hésitation que les habitants de nos établissements pénitentiaires surpeuplés vivent dans des situations plus déplorables que ceux de la Bastille. Toutefois, s’il est injuste que nos PDG, politiciens, VIP ou autres escrocs surmédiatisés et corrompus bénéficient d’avantages locatifs et alimentaires, il y avait aussi des privilégiés durant l’Ancien Régime et qui étaient enfermés… à la Bastille ! D’ailleurs, lorsque nous étudions les textes des hommes ayant séjourné dans la forteresse, il est très rare d’y constater des cas de maltraitance. En deux siècles, nous ne recensons qu’une trentaine d’exécutions. Parmi ces condamnés à mort, seulement un seul fut supplicié dans la prison parisienne. Il s’agissait du maréchal de Biron sous le règne d’Henri IV. Les jugements étaient rendus au nom du roi, à l’exception des juridictions ecclésiastiques et seigneuriales. Mais les juges étaient soumis à l’autorité royale et n’avaient guère d’indépendance (Ceci-dit, c’est toujours le cas aujourd’hui sous notre république dîte "démocratique"). La consultation des registres d’écrou de la Bastille et conservée à la Bibliothèque de l'Arsenal fournit avec précision l’identité des prisonniers et les motifs. La seule exception concerne le Masque de Fer, mais n’entrons pas dans un hors sujet. Selon ces mêmes documents, il entrait une moyenne de 25 à 30 prisonniers par an, soit annuellement près de 40 sous le règne de Louis XIV, 43 sous Louis XV et 19 sous Louis XVI. Et n’oublions pas que la forteresse ne pouvait contenir que 42 détenus logés séparément. En réalité, près d’un enfermé sur deux sortait de prison au bout de six mois, et un sur quatre était transféré dans une maison d’arrêt. Quant au nombre des décès et des suicides, il n’a jamais excédé les 1% du règne de Louis XV jusqu’au 14 juillet 1789. Le taux de mortalité était largement moins élevé que dans nos prisons actuelles. Et ce faible chiffre n’est même pas comparable au nombre de guillotinés lors de la Révolution Française. La vie d’un détenu à la Bastille était donc beaucoup plus enviable que celle d’une centrale contemporaine. Par ailleurs, il faut mettre un terme à un mythe. Aucune source n’indique que les embastillés étaient enterrés vivants. De plus, leur alimentation et habillement n’ont rien à voir avec ceux d’un galérien. Parmi les témoignages de prisonniers, celui du prisonnier Latude est très intéressant. En effet, ce dernier rejetait les grâces de libérations. En cherchant les raisons de son refus, on découvre que celui-ci ne se plaignait pas des conditions de vie. Il explique notamment qu’il avait refusé une culotte de soie confectionnée par un tailleur réputé car la coupe ne lui convenait pas. Une autre fois, il se permettait d’écrire au gouverneur afin de se plaindre que la volaille qu’on lui servait n’était pas assez entrelardée. Un autre pensionnaire, le cardinal de Rohan, gardait sa vaisselle d’argent avec lui. Sur 279 personnes embastillées pendant les quinze dernières années de l'Ancien Régime, 38 ont bénéficié d'une ordonnance de non-lieu. Les victimes d'une erreur judiciaire étaient largement indemnisées. N'oublions pas que le célèbre Voltaire avait reçu une pension de 1 200 livres après sa sortie de prison. Bien-sûr, tous les prisonniers n’étaient pas aussi bien traités, mais leurs conditions de vie demeuraient convenables. Lorsque les détenus, au nombre de sept, furent « libérés » le 14 juillet 1789 par le peuple, ce n’est pas sûr qu’ils comprenaient vraiment ce qu'il se passait. Parmi ceux qui seront libérés le 14 juillet, il y avait quatre faussaires qui se perdirent dans la foule. Jean Béchade, Bernard Laroche, Jean La Corrège et Jean-Antoine Pujade avaient arnaqué deux banquiers parisiens. Ils furent remis en prison le lendemain. Le plus ancien des détenus, Auguste-Claude Tavernier, avait été condamné pour avoir menacé le roi Louis XV en 1759. Un autre, le comte Jacques-François Xavier de Whyte de Malleville, était fou et on ne sait pas ce qu’il faisait à la Bastille, sa famille avait demandé son enfermement. Le 15 juillet, Tavernier et de Whyte furent transférés à Charenton. Ce dernier occupera la cellule du marquis de Sade. Enfin, le dernier détenu était le comte de Soulages, installé à la demande de sa famille à la suite d'"actes monstrueux" pour éviter les rigueurs de l'asile psychiatrique. Il s'agissait d'un obsédé sexuel. Enfin, n'oublions pas que la démolition de la Bastille était décidée depuis longtemps, car son entretien devenait trop coûteux. Le donjon de Vincennes,  le succursale de la bastille, fut fermé en 1784, faute de prisonniers. On dressa même le plan d'une place Louis XVI à l'emplacement de la Bastille. Cette prison n'était donc pas aussi importante que le mythe la présente.

 

Il y a plusieurs choses à dire en conclusion. Tout d'abord, les premiers insurgés qui se sont réunis à la Bastille n'ont jamais cherché à abattre la forteresse pour faire tomber un symbole du despotisme, mais parce qu'ils cherchaient des munitions afin d'équiper les 30 000 fusils qu'ils ont pris aux Invalides. Les révoltés s'opposaient au renvoi du très populaire Necker, donc à une décision du roi (tout en criant "Vive le Roi !"), et prirent les armes à cette occasion. Dès le 12 juillet, ils voulaient combattre les 3 000 soldats stationnés à la place Louis XV (la Concorde) et fouillèrent en vain une bonne partie de la capitale. Alors ils se rendirent à la place forte afin d'obtenir ce qu'ils souhaitaient auprès d'un gouverneur effrayé et ne sachant que faire. Mais en étudiant avec une certaine précision les évènements survenues du 12 au 14 juillet 1789 par l'intermédiaire de quelques sources de l'époque, nous nous sommes aperçus que la réalité est bien différente du mythe populaire. Et cet épisode n'est certainement pas le plus sanglant de la fin des années 1780. Pour preuve, nous avons cité deux évènements qui eurent davantage d'impacts dans notre pays, mais qui sont aujourd'hui oubliés des Français, à commencé par les politiciens qui établirent le 14 juillet comme fête nationale en 1880. Néanmoins, nous avons constaté que ces derniers souhaitaient pas prioritairement faire référence à la chute de la Bastille mais à la Fête de la Fédération, dont la première édition eut lieu le 14 juillet 1790 et qui fut supprimée par Napoléon durant le Consulat. Cependant, quelques politiciens et littéraires assimilèrent les deux évènements en mettant en avant la prise de la forteresse du Faubourg Saint-Antoine, engendrant ainsi le mythe républicain qui perdure encore aujourd'hui. Pourtant, même s'il est séduisant de faire de la Bastille le symbole de la monarchie absolue, nous avons constaté que cette considération n'était pas appropriée. Il s'agissait avant tout d'une prison pour gens aisés, avec des détenus qui bénéficiaient de très bonnes conditions de vie, et servait régulièrement d'entrepôt. 

Partager cet article
Repost0
14 septembre 2009 1 14 /09 /septembre /2009 17:32

Le 10 juillet 1940, le maréchal Pétain reçoit les pleins pouvoirs de part des élus du peuple, issus de la Chambre des Députés et du Sénat. A cette occasion, il est chargé de créer une nouvelle constitution française qui devait être mise en application après la guerre. Cependant, elle fut négligée à la fin du conflit, et beaucoup de Français ignorent aujourd'hui son existence . Pourtant, les fondateurs de la IVème et de la Vème République se passeront bien de dire qu'ils reprirent de nombreux points issus de la Constitution républicaine du maréchal Pétain ...

Préparation et quelques acteurs

Tout d'abord, il ne faut pas oublier que les Pétainistes, les Gaullistes, les Communistes et les Collaborationnistes étaient tous d'accord sur le fait que le Régime de Vichy était provisoire et devait disparaître après la guerre. Il fallait faire entrer la France dans l'ordre nouveau qui surviendra après la guerre. Pour les Gaullistes, il fallait que la France se place du côté des puissances anglo-saxonnes, tout en garantissant l'indépendance du pays après le conflit armée. Pour les Communistes, il était nécessaire de créer un système politique proche de celui de l'Union Soviétique après la libération de la France. Pour les Collaborationnistes, il fallait s'engager pleinement au côté de l'Allemagne puisque les nazis devaient gagner le conflit en Europe. Enfin, pour les Pétainistes, la priorité était la défense du territoire français et de garantir son indépendance, quel que soit le vainqueur de la guerre. Pour chacun de ces camps, il était indispensable d'envisager le futur Etat Français. Malgré tout, c'est officiellement le Chef de l'Etat qui devait jeter les bases d'une nouvelle constitution, indépendamment de celle de Vichy qui était provisoire. Voici la première loi constitutionnelle de Vichy du 10 juillet 1940, lui dictant la mission :

"L'Assemblée nationale a adopté,

Le Président de la République promulgue la loi constitutionnelle dont la teneur suit :

Article unique.

L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.

Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura créées.

La présente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée par l'Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l'État.

Fait à Vichy, le 10 juillet 1940
Albert Lebrun

Par le président de la République,
Le maréchal de France, président du conseil,
Philippe Pétain."

Durant ses pleins pouvoirs, il devait établir une constitution qui sera appliquée après le conflit. Pour sa réalisation, Philippe Pétain s'entoura de plusieurs intellectuels, et nous pouvons rappeler les trois plus influents, issus de la droite libérale.
- Lucien Romier : Né en 1885 à Moiré, il entre à l'Ecole des chartes en 1905. Par la suite, il est réformé pour cause de santé. Il va alors se consacrer entièrement à sa passion pour l'histoire et va entreprendre plusieurs recherches historiques sur l'Histoire Moderne. Il séjourne à l’Ecole française de Rome et achève une thèse sur les guerres de Religion (les Origines politiques des guerres de religions, 1914). Après la Grande Guerre, il décide de se lancer dans le journalisme tout en continuant à publier des ouvrages sur l'Ancien Régime. Il devient rédacteur en chef de la Journée industrielle en 1920, et va progressivement se spécialiser dans les questions économiques. En 1925, François Coty lui propose de devenir rédacteur en chef du Figaro, mais il le quittera deux ans plus tard. Il y revint en 1934 après l'éviction de Coty, afin d'en prendre la direction. En 1927, Il adhère au Redressement français d’Etienne Mercier et devient le porte-parole de mouvement. Il compte comme membre prestigieux le maréchal Foch. En 1929, il se révèle sa vision de la société à travers la rédaction de son oeuvre L'Homme Nouveau. Avec comme sous-titre "esquisse des conséquences du progrès", il met en avant des principes traditionnalistes et libéraux, et se méfie du développement de certaines technologies comme le cinema, qu'il voit comme un moyen d'asservir le peuple ("Pour l'homme ignorant, le cinéma représente une prodigieuse économie d'effort intellectuel."). Par la suite, il intègre le Parti Libéral. Après l'Armistice du 22 juin 1940, il entre dans l’entourage immédiat de Pétain et le conseille dès l’été 1940. Il devient membre du Conseil national puis est chargé de mission le 23 février 1941. A partir du 11 août 1941, il est nommé ministre d’Etat. Romier préside le projet de rédaction de la Constitution, mais ses idées et sa grande influence envers le Maréchal déplaisent aux Allemands. En septembre 1943, l'intellectuel convaint Philippe Pétain de se débarrasser de Pierre Laval, et est alors envisagé comme successeur. Cependant, sa volonté ne sera pas réalisée puisque Laval avait quasiment les pleins pouvoirs au sein du Régime de Vichy, et était soutenu par les nazis. Ne pouvant agir à sa guise, Lucien Romier présente sa démission le 31 décembre 1943. Il meurt quelques jours plus tard, précisément le 5 janvier 1944.
- Joseph Barthélémy : Il
 
fut l'un des grands constitutionnalistes d'Avant Guerre. Il est né à Toulouse le 9 juillet 1874, dans une famille bourgeoise ayant eu des antécédents dans le domaine universitaire et la politique. Cependant, la mort prématurée de son père obligera Joseph a demandé une bourse pour faire ses études. Etudiant en droit, il parcourt toutes les étapes du cursus honorum avec une certaine facilité, sous la protection bienveillante du professeur Hauriou. Grâce à ce dernier, Barthélémy devint docteur en droit à seulement 25 ans, c'est-à-dire en 1899. Sa thèse s'intitule Essai d'une théorie des droits subjectifs des administrés dans le droit administratif français (Librairie de la société général des lois et des arrêts et du journal du palais, Paris, 1899). En 1906, il devint agrégé en droit public, puis enseigne le droit  à la faculté de droit de Lille et d'Aix en Provence, tout en étant avocat à Paris. Par la suite, il est nommé professeur de rang magistral à l'université de Montpellier. de A partir de 1913, il est professeur de droit constitutionnel à Paris ainsi que d'histoire parlementaire et législative à l'Ecole libre des sciences politiques. Durant les années 1910, il publie plusieurs textes demandant l'amélioration des institutions de la IIIème République. Parmi ces améliorations, on peut citer le rééquilibrage des pouvoirs en faveur du président de la République, c'est-à-dire un renforcement du pouvoir exécutif, ou encore l'octroi du droit de vote pour les femmes, à une époque où un certain Pierre Etienne Flandin tentait vainement de valider ce projet auprès de la Chambre des Députés. Il entre même en politique entre 1919 en étant membre de l'Alliance Démocratique (centre-droit), avant de s'allier à la Gauche Républicaine Démocratique. Il est élu député du Gers cette même année, conserva son poste en 1924, mais le perdit en 1928. Par ailleurs, il échoua à se faire élire député de Paris lors des élections de 1932. Mais à partir de la fin des années 1920, ce proportionnaliste s'oppose à plusieurs de ses partenaires qui luttaient en faveur d'un mode d'élection législative à deux tours. Après ces échecs politiques, il se consacre à nouveau à sa profession d'enseignant, mais se lance en parallèle dans une carrière de journaliste. Il devient éditorialiste du quotidien Le Temps, dans lequel il continue à se battre en faveur des modifications constitutionnelles, mais il veut également retirer aux parlementaires l'initiative en matière budgétaire. En 1927, il devient membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Par la suite, Joseph Barthélémy s'oppose aux interventions de l'Etat sur l'économie, notamment lors du Front Populaire puisqu'il s'oppose fermement aux Accords de Matignon de 1936. Il voit dans le Front Populaire une volonté d'imiter la politique de l'URSS de Staline (La Revue de Paris, août 1936). Durant les années 1930, il continue à publier des textes exigeant un changement institutionnel, notamment dans Essai sur le travail parlementaire et le système des commissions (Librairie Delagrave, Paris, 1934). Mais il met davantage en valeur le souhait d'avoir une autorité plus grande du chef de l'Etat. Durant l'Occupation, il se rallie à Pétain dès aout 1940 et devient ministre de la justice le 27 janvier 1941. A cette occasion, il rédige un projet de constitution intitulé Provinces : Pour construire la France de demain (Editions Grasset, Paris, 1941). Néanmoins, son influence diminua progressivement après la montée en force de Laval, et il sera remplacé par Maurice Gabolde. Il revient peu de temps enseigner à l'université de droit de Paris. Inculpé à la libération dans le cadre de l'épuration, il sera incarcéré à Auch le 6 octobre 1944. Il mourra mystérieusement avant la fin de la procédure judiciaire.
- Pierre-Etienne Flandin
: Né à Paris le 12 avril 1889, fils d'Etienne Flandin, député de l'Yonne et résident général à Tunis, Pierre-Etienne Flandin réalisa de brillantes études au lycée Carnot. Il fut ensuite diplômé de l'Ecole des sciences politiques et docteur en Droit, puis s'inscrit au Barreau de Paris où il fait ses débuts comme secrétaire de Alexandre Millerand. Il se passionna pour l'aviation et le prouva en passant son brevet n° 880 le 25 mai 1912, alors qu'il accomplissait son service militaire. En 1914, il devint à son tour député de l'Yonne et conserva ce poste jusqu'en 1940. Il a alors seulement 25 ans. Au début de la Grande Guerre, il fut mobilisé et affecté à l'escadrille MF 33. Rappelé au ministère de la Guerre en 1915, il fut chargé de mission à la direction de l'Aéronautique. Peu après, il fut nommé rapporteur de l'Aéronautique à la commission de l'Armée et chargé du contrôle de l'aéronautique aux Armées. En 1917, il fut désigné pour les fonctions de directeur du service interallié au sous-secrétariat de l'Aéronautique. Il eu pour mission d'organiser la participation de l'aviation américaine aux côtés des Français et des Anglais. Lors de l'élaboration du Traité de Paix, il prit une part importante à la rédaction de la Convention internationale de navigation aérienne en qualité de membre de la sous-commission juridique de la délégation française. Après la Première Guerre Mondiale, Pierre-Etienne Flandin sera le premier président de la commission internationale. Il avait alors pour charge de réglementer la navigation aérienne dans le monde. Il y représenta la France pendant une dizaine d'années. Appelé au gouvernement en 1919, il créa le sous-secrétariat d'Etat à l'aéronautique et aux transports aériens. Il entreprit une oeuvre importante avec la réalisation des "ports aériens" d'Orly, du Bourget, de Marignane, d'Ajaccio, de Rabat, de Tunis et d'Oran, et c'est à lui qu'on doit par ailleurs l'Office national de la météo. Il mit en place l'organisation de l'aviation commerciale et fit voter le premier budget des transports aériens, réglementa la circulation aérienne, dressa le programme d'établissement des routes aériennes, institua le régime des primes et des subventions décennales à la navigation aérienne, créa les centres d'entraînement des pilotes de réserve, organisa les conférences anglo-franco-belges destinées à resserrer la coopération interalliée en faveur du progrès aéronautique. En 1922, Pierre-Etienne Flandin était élu président de l'Aéro-Club de France. Il le resta jusqu'en 1933, année où il fut nommé président d'honneur. Mais s'il avait une connaissance solide sur l'aviation, il fut aussi un ardent défenseur du droit de vote des femmes. Il va alors reprendre une proposition de loi de 1906, présentée par l'ancien député Paul Dussaussoy, qui souhaitait accorder aux femmes le droit de vote dans les élections aux conseils municipaux, aux conseils d'arrondissement et aux conseils généraux. Il prône une participation progressive des femmes dans les affaires publiques. Le 8 mai 1919, Flandin obtient l'inscription à l'ordre du jour du droit de vote des femmes. Il fait constater aux députés qu'un certain nombre de pays avaient déjà donné ce droit à la gente féminine. On peut citer la Norvège, le Danemark, la Suède, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Autriche, la Belgique et plusieurs Etats américains. Il aura cette phrase "La France sera t-elle la dernière à accorder le droit de vote des femmes ?" Ainsi, sur 424 votants, 329 se prononcent en faveur du projet, pour seulement 95 refus. Malgré tout, le Sénat va rejeter la loi avec 156 voix contre face à 134 pour. Malgré cet échec, Pierre-Etienne Flandin continua sa carrière politique en intégrant divers ministères, et donc en engrangeant des connaissances importantes : ministre du commerce et de l'industrie dans le cabinet François Marsal (1924), vice-président de la chambre (1928-1929), ministre du commerce dans les deux premiers cabinets Tardieu (1929-190), ministre des Finances dans le cabinet Laval et le troisième cabinet Tardieu (1931-1932), ministre des Travaux publics dans le cabinet Doumergue (1934), président du Conseil (1934-1935), ministre des affaires étrangères dans le cabinet Sarraut (1936). Il accompli diverses missions. Il passe une convention avec le crédit foncier pour l'organisation du crédit hypothécaire maritime, crée la Caisse de crédit aux départements et aux communes pour le perfectionnement de l'outillage national, départemental et communal (loi du 28 décembre 1931), organisme qui préfigure l'actuel crédit local de France. Il augmente également les subventions de l'État aux caisses municipales de secours contre le chômage. Enfin, avec le décret du 13 février 1932, il réorganise le contrôle de l'État sur les compagnies de chemins de fer. Membre de l'Alliance Démocratique dès 1914, il en prend désormais la tête en 1933. Lorsqu'il est Président du Conseil, du 8 novembre 1934 au 1er juin 1935, il tenta une relance économique en voulant baisser des taux d'intérêts, avant de s'orienter vers une politique déflationniste. Il se montre aussi un ardent défenseur du franc. Il tenta également de faire passer un projet de loi corporatiste élaboré avec son ministre du commerce Paul Marchandeau. Cependant, le Sénat va empêcher cette réalisation. A la suite de la constitution du Front populaire, Pierre-Etienne Flandin se retrouve leader de l'opposition. Mais au sein de son propre parti, il va critiquer et condamner la politique conduite par Paul Reynaud, et désapprouve notamment les thèses dévaluationnistes. Avant la guerre, Pierre-Etienne Flandin est rejeté dans l'opposition suite aux élections législatives de 1936. Mais il refait surface durant l'Occupation. Suite au renvoi de Laval, le 13 décembre 1940, il devint n°2 du Régime de Vichy et obtint le poste de ministre des Affaires Etrangères. En parrallèle, il fit parti d'un triumvirat exécutif à partir du 19 décembre 1940, composé de l'amiral Darlan et du général Huntziger. Durant ces deux fonctions, il créa le Conseil national et entra en relation avec l'Angleterre et les Etats-Unis, comme beaucoup de pétainistes. Il conserva ces postes durant seulement mois, jusqu'au 9 février 1941. Ensuite, il n'eut plus qu'un rôle de conseiller de Pétain mais n'exerça plus aucune fonction. Néanmoins, il partagea ses nombreuses connaissances. Après le second conflit mondial, Flandin est jugé par la Haute Cour de justice en juillet 1946 et est condamné à cinq ans d'indignité nationale, mais il est aussitôt relevé de cette peine pour actes de Résistance. Il consacra la fin de sa vie à la défense de la mémoire du maréchal Pétain.

Une volonté de dévoiler le projet au peuple français

Nous savons que Pétain et ses collaborateurs avaient commencé à préparer une nouvelle Constitution républicaine au plus tard dès l'année 1941. Cette mission du Conseil National n'était pas la seule. Elle devait aussi réorganiser administrativement les provinces françaises, ou encore penser la Charte du Travail. Il a même dévoilé cette volonté d'établir au peuple français, en expliquant ses objectifs. Nous pouvons notamment rappeler une partie du discours du Maréchal au début de la séance d'ouverture de la session du Conseil National du 8 juillet 1941 :

"Messieurs

Je vous ai réunis pour m'aider à élaborer la Constitution nouvelle qui doit être soumise à la ratification de la Nation.

C'est une entreprise difficile, car il faut qu'elle exprime avec plénitude la signification de la Révolution Nationale, qu'elle en marque fortement le but et la nécessité.

Depuis cent cinquante ans, la France a connu et pratiqué successivement quinze régimes constitutionnels différents.

Ils ont duré, les uns une année ou cent jours, d'autres trois ou quatre ans, d'autre une demi-génération, le dernier soixante-cinq ans.

Ils sont séparés les uns des autres, on pourrait dire engendrés, par des révolutions ou des défaites.

En cinq générations, la France a donc passé alternativement des régimes les plus autoritaires aux régimes les plus libéraux, de la dictature conventionnelle ou napoléonienne au régime de la liberté réglée ou de la liberté déréglée, de la monarchie à l'empire, de l'empire à la république démocratique, qui a fini dans l'impuissance de décider et même de délibérer.

Il faut que cette expérience soit sans cesse présente à votre pensée, pour reconstruire un pays longtemps voué aux changements, à l'instabilité et finalement installé dans l'incertitude, la surenchère des partis et la hargne générale. Les circonstances dans lesquelles elle vient d'être interrompue une fois de plus comportent une leçon inexorable et peut-être un dernier avertissement.

Le régime électoral, représentatif majoritaire, parlementaire qui vient d'être détruit par la défaite était condamné depuis longtemps par l'évolution générale et accélérée des esprits et des faits dans la plupart des pays d'Europe, et par l'impossibilité démontrée de se réformer.

En France, il donnait tous les signes de l'incohérence attestée par la substitution chronique des décrets-lois à la procédure législative régulière. L'inconscience en matière de politique étrangère ajoutait à ces signes un présage de catastrophe.

Cette catastrophe est une conclusion.

Nous sommes dans l'obligation de reconstruire. [...]

Le premier consiste à remplacer le "peuple souverain" exerçant des droits absolus dans l'irresponsabilité totale, par un peuple- dont les droits dérivent dé ses devoirs.

Un peuple n'est pas un nombre déterminé d'individus, arbitrairement comptés au sein du corps social et comprenant seulement les natifs du sexe masculin parvenus à l'âge de raison. [...]

Un peuple est une hiérarchie de familles, de professions, de communes, d'administrations et de familles spirituelles, articulées et fédérées pour former une patrie. Animées d'un mouvement continu d'ascension sociale et morale, tendues vers l'avenir par un idéal collectif, elles produisent des hommes, qui, sélectionnés par les services rendus à la communauté, deviennent, dans tous les ordres d'activité, les élites de la nation.

Dans une nation constituée par l'ensemble de ces forces organiques, un petit nombre conseille, quelques-uns commandent, un chef gouverne. [...]

Une révolution véritable n'est jamais un accident. « Les révolutions qui arrivent dans les grands états, dit Sully, ne sont pas un effet du hasard, ni du caprice des peuples. »

La catastrophe est la conclusion des fautes, des erreurs, des illusions, des égoïsmes et des incapacités accumulées.

La Révolution Nationale signifie la volonté de renaître affirmée soudain du fond de notre être, un jour d'épouvante et de remords. Elle marque la résolution ardente de rassembler tous les éléments du passé et du présent qui sont sains et de bonne volonté pour faire un État fort, de recomposer l'âme nationale, dissoute par la discorde des partis, et de lui rendre la conscience aiguë et lucide des grandes générations privilégiées de notre histoire, qui furent souvent des générations du lendemain de guerres civiles ou de guerres étrangères.

La Constitution ne doit pas se borner à être un ensemble de règles précises et sèches.

Pour répondre à la grande attente du peuple français, et au grand devoir qui m'incombe, elle doit être cohérente, convaincante, éducative; elle doit avoir une " vertu d'enseignement " qui est le caractère distinctif des bonnes lois.

A cet égard la Constitution couronne l'oeuvre de l'école. Or l'école est le prolongement de la famille. Elle doit faire comprendre à l'enfant les bienfaits de l'ordre humain qui l'encadre et le soutient. Elle doit le rendre sensible à la beauté, à la grandeur, à la continuité de la Patrie. Elle doit lui enseigner le respect des croyances morales et religieuses, en particulier de celles que la France professe depuis les origines de son existence nationale.

J'ai dit, à maintes reprises, que l'État issu de la Révolution Nationale devait être autoritaire et hiérarchique. [...]

Par état hiérarchique, j'entends le remembrement organique de la société française.

Ce remembrement doit s'opérer par la sélection des élites à tous les degrés de l'échelle sociale. Cette sélection doit être exprimée par la restauration de l'honneur du métier et la restauration dans l'honneur de toutes les catégories de la Nation.

La sélection des chefs peut se faire et elle a lieu, en réalité, dans toutes les conditions, les plus humbles comme les plus hautes. La Constitution devra la favoriser et la fixer, en déterminant sa fonction, dans tous les rouages de la Société, de la base au sommet.

Elle rétablira cette qualification générale des Français, qui a donné à notre pays la plus solide structure de l'Occident en fondant le droit de citoyenneté non plus sur l'individu épars et abstrait, mais sur la position et les mérites acquis dans le groupe familial, communal, professionnel, provincial et national sur l'émulation dans l'effort, sur l'intelligence tendue vers le bien de la communauté, sur les services rendus dans tous les cadres de l'activité humaine.

Mais la hiérarchisation d'une société implique l'exercice de la responsabilité à tous les échelons.

Être responsable, c'est être capable de répondre de ce qu'on fait. Le sentiment de la responsabilité est la caractéristique de l'être sain et normal. Le goût de la responsabilité est le signe distinctif du Chef. ]'ai besoin de responsabilités de plus en plus grandes exprime le pouvoir d'ascension d'un homme dans la hiérarchie sociale ou nationale.

La compétition pour l’avancement dans un métier, dans un corps, dans une administration, sans la conscience claire du degré croissant de responsabilité, est la preuve d'une société e n décomposition ou le symptôme d'un état malade.

La Constitution et les lois organiques qui la compléteront, que ce soient les lois communales ou provinciales, la charte des corporations le statut des fonctionnaires, devront marquer nettement le degré de responsabilité afférent aux divers postes de la hiérarchie correspondante, et déterminer les sanctions applicables à tous les cas de manquement ou d'incapacité.

Nous avons pratiqué un régime politique où le principe de l'irresponsabilité était posé de la base au sommet de l'État irresponsabilité: du corps électoral, irresponsabilité du pouvoir législatif, irresponsabilité du pouvoir exécutif (sauf pour le cas de haute trahison), celui d'incompétence n'étant pas retenu. C'est pourquoi nous en sommes sortis par la porte du malheur.

La question capitale qui se pose à nous aujourd'hui est de savoir quel type de structure sociale nous devons et nous voulons instaurer, pour servir de soubassement à une construction politique qui doit affronter un avenir redoutable.

Ne nous contentons pas d'abroger ce qui fut nocif et qui est mort. Faisons du neuf avec les valeurs concrètes et permanentes que le Pays garde et met à notre disposition. [...]

Le salut de la Patrie étant la suprême loi. C'est sur elle que se fonde la légitimité de la Révolution Nationale et de la Constitution qui lui donnera son armature et son couronnement.

Au cours des années où notre destin allait à la dérive, le peuple a été sourd aux avertissements. Qu'il m'entende bien aujourd'hui si je lui dis que demain il ne se relèvera que dans la trêve des disputes vaines sur le régime idéal qu'il cherche depuis cent cinquante ans.

Le meilleur régime sera celui qui correspondra aux exigences précises et concrètes de sa vie nationale dans des conjonctures extérieures dont il n'est pas le maître et dont il devra tenir compte pour rétablir l'ordre dans sa maison.

Le peuple français porte son avenir en lui-même, dans la profondeur des soixante générations qui vous ont précédés sur notre sol et dont vous êtes les héritiers responsables.

Cet avenir, il ne le découvrira que par l'application résolue et réfléchie qu'il mettra à retrouver le sens de sa grandeur et celui de sa mission impériale."

Le Conseil National mettra près de trois ans à réaliser cette constitution républicaine et démocratique, qui devait être appliquée après la guerre. Cependant, Pétain avait la volonté de la dévoiler à la population avant la fin du conflit. Pour preuve, voici la rédaction de son appel réalisée le 12 novembre 1943, et qui devait être expliquée aux Français le lendemain (document présent notamment dans Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 575-576) :
"Le 10 juillet 1940, l'Assemblée nationale m'a donné mission de promulguer, par un ou plusieurs actes, une nouvelle constitution de l'État français.
J'achève la mise au point de cette constitution. Elle concilie le principe de la souveraineté nationale et le droit de libre suffrage des citoyens avec la nécessité d'assurer la stabilité et l'autorité de l'État.
Mais je me préoccupe de ce qui adviendrait si je venais à disparaître avant d'avoir accompli jusqu'au bout la tâche que la Nation m'a confiée.
C'est le respect de la légitimité qui conditionne la stabilité d'un pays. En dehors de la légitimité, il ne peut y avoir qu'aventures, rivalités de factions, anarchie et luttes fratricides.
J'incarne aujourd'hui la légitimité française. J'entends la conserver comme un dépôt sacré et qu'elle revienne à mon décès à l'Assemblée nationale de qui je l'ai reçue si la nouvelle constitution n'est pas ratifiée.
Ainsi, en dépit des événements redoutables que traverse la France, le pouvoir politique sera toujours assuré conformément à la loi.
Je ne veux pas que ma disparition ouvre une ère de désordres qui mettrait l'unité de la France en péril.
Tel est le but de l'acte constitutionnel qui sera promulgué demain au Journal officiel.
Français, continuons à travailler d'un même cœur à l'établissement d'un régime nouveau dont je vous indiquerai prochainement les bases et qui seul pourra rendre à la France sa grandeur."


Malgré tout, le principal représentant de l'Etat n'aura pas la possibilité d'expliquer son projet. Quelle en est la raison ? La déclaration officielle du Maréchal au consul allemand à Vichy, le 13 novembre 1943, nous donne la réponse :
"Une communication du gouvernement allemand demande l'ajournement du message que je devais prononcer ce soir et M. de Brinon vient de me faire savoir que des mesures militaires seraient prises par les autorités allemandes pour en empêcher l'émission. Je constate le fait et je m'incline, mais je vous déclare que jusqu'au moment où je serai en mesure de diffuser mon message, je me considère comme placé dans l'impossibilité d'exercer mes fonctions." (Jacques Isorni, Philippe Pétain, La Table Ronde, Tome II, p. 357, Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 575 et Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 500).
Dans une longue lettre connue de Ribbentrop, datant du 29 novembre 1943, les Allemands lui reprochent de vouloir remettre en place une république démocratique : "L'ambassade de Paris a été informé, le 13 novembre, de l'intention que vous aviez, monsieur le Maréchal, d'annoncer, le jour même, dans un discours radiodiffusé, une modification de la Constitution concernant la succession du chef de l'Etat Français. Le texte communiqué par le gouvernement français ainsi que le projet de révision constitutionnelle transmis à Berlin par l'ambassade d'Allemagne ne sont arrivés ici que peu de temps avant le moment prévu pour la radiodiffusion de votre discours. Le gouvernement du Reich n'était donc pas en mesure d'examiner au préalable si cette loi pouvait, dans ses effets, affecter les intérêts légitimes de l'Allemagne en tant que puissance occupante. [...]
1. Le projet de la révision de la Constitution qui nous a été soumis tend à mettre la désignation future du chef de l'Etat français, même pendant la guerre, entre les mains d'un organisme qui constituait, dans le passé, l'Assemblée nationale française. Il semble que vous avez, en cela, totalement perdu de vue que cette Assemblée nationale est le même corps qui, en septembre 1939, a déclaré sans le moindre motif la guerre à l'Allemagne, malgré les exigences solennelles de paix échangées encore le 6 décembre 1938 entre la France et l'Allemagne, et qu'au surplus une partie non négligeable des membres de ce corps, violant, une fois de plus, d'une manière flagrante, l'accord intervenu entre nos deux pays, c'est-à-dire l'armistice, lutte à nouveau contre l'Allemagne.
Le gouvernement du Reich doit repousser avec indignation et comme une prétention impossible l'intention du chef de l'Etat français de remettre en fonction une pareille Assemblée par l'acte constitutionnel projeté, afin de légaliser, pour ainsi dire, par là, une nouvelle activité de traîtres et de gens qui ont violé le droit.
2. L'ancienne Assemblée nationale n'est plus aujourd'hui, d'aucune manière, la représentation légale de la volonté du peuple français. Pendant la guerre, des élections sont impossibles, de même que dans d'autres Etats, a fortiori dans la Franc actuelle. Quant à une assemblée nationale constituée d'une autre façon, elle ne saurait jamais exprimer légalement la volonté du peuple français. En conséquence, il n'existe aucun corps légal susceptible d'exercer la fonction que le discours à radiodiffuser voudrait lui attribuer et qui, pour cette fin, pourrait être reconnu par l'Allemagne."
(Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 506-510).
Ces documents prouvent que c'est face à la menace militaire allemande et non de son plein gré que Pétain ne va pas publier sa Constitution. Malgré tout, il le signera le 30 janvier 1944, ce qui prouve son authenticité. Mais quelle est la composition de cette Constitution républicaine ? Nous allons le voir dans la deuxième partie (http://realite-histoire.over-blog.com/article-36673072.html).

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Realite-Histoire
  • : Ce blog a avant tout pour objectif de faire découvrir au monde des faits historiques oubliés en gardant une certaine objectivité, ce qui est rare à notre époque. Je veux ainsi donner un regard différent sur l'histoire de l'humanité, se soustrayant des préjugés et des mythes.
  • Contact

Recherche

Archives