Composition de la Constitution républicaine du maréchal Pétain
Le maréchal Pétain avait établi, en conformité du mandat qu'il avait reçu, une Constitution qui ne devait être promulguée qu'après la fin de la guerre. Voici le texte de cette Constitution demeurée inconnue de la quasi-totalité des Français. On va mettre en valeur des points qui seront repris dans les futurs Républiques françaises d'Après Guerre, principalement dans la Vème République. Mes commentaires sont encadrés par [ ]. De plus, en lisant cette Constitution, un connaisseur en matière de droit constitutionnel s'apercevra que certains aspects de la IIIème République ont été repris et perdurent encore aujourd'hui.
Préambule
Article premier. La liberté et la dignité de la personne humaine sont des valeurs suprêmes et des biens intangibles. Leur sauvegarde exige de l'État l'ordre et la justice, et des citoyens la discipline.
La Constitution délimite à cet effet les devoirs et les droits respectifs de la puissance publique et des citoyens en instituant un État dont l'autorité s'appuie sur l'adhésion de la Nation.
Article 2. L'État reconnaît et garantit comme libertés fondamentales : la liberté de conscience, la liberté de culte, la liberté d'enseigner, la liberté d'aller et venir, la liberté d'exprimer et de publier sa pensée, la liberté de réunion, la liberté d'association. L'exercice de ces libertés est réglé par la loi devant laquelle tous les citoyens sont égaux.
[Pétain et le Conseil National ont placé en priorité la liberté des citoyens et le respect d'autrui. Ce fait est en contradiction avec la doctrine officielle démontrant un Maréchal antidémocratique proche du fascisme, même lorsque le pays est en paix. Par ailleurs, l'article premier définit le droit et le devoir comme des principes fondamentaux, conformément à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 aout 1789. Egalement, il ne remet pas en cause la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905 puisqu'il garantit la liberté de culte dans l'article 2.]
Article 3. Nul ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites.
Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.
Article 4. Acquise par le travail et maintenue par l'épargne familiale, la propriété est un droit inviolable, justifié par la fonction sociale qu'elle confère à son détenteur ; nul ne peut en être privé que pour cause d'utilité publique et sous condition d'une juste indemnité.
Article 5. L'État reconnaît les droits des communautés spirituelles, familiales, professionnelles et territoriales au sein desquelles l'homme prend le sens de sa responsabilité sociale et trouve appui pour la défense de ses libertés.
Article 6. Les citoyens désignent librement par suffrage leurs représentants aux assemblées locales et nationales, ainsi qu'aux organismes professionnels et corporatifs.
Sauf dans les élections de caractère professionnel, un suffrage supplémentaire est attribué aux chefs de familles nombreuses en raison de leurs responsabilités et de leurs charges.
[L'article 6 démontre que le droit de vote des citoyens est garantie. Par conséquent, cette Constitution du maréchal Pétain est démocratique.]
Article 7. La représentation nationale vote les lois, consent l'impôt, contrôle les dépenses et associe la Nation à la gestion du bien commun.
Article 8. L'organisation des professions, sous le contrôle de l'État, arbitre et garant de l'intérêt général, a pour objet de rendre employeurs et salariés solidaires de leur entreprise, de mettre fin à l'antagonisme des classes et de supprimer la condition prolétarienne.
Par une représentation assurée à tous les échelons du travail, les professions organisées participent à l'action économique et sociale de l'État.
Article 9. Les devoirs des citoyens envers l'État sont l'obéissance aux lois, une participation équitable aux dépenses publiques, l'accomplissement de leurs obligations civiques pouvant aller jusqu'au sacrifice total pour le salut de la Patrie.
Article 10. Le chef de l'État tient ses pouvoirs d'un Congrès groupant les élus de la Nation et les délégués des collectivités territoriales qui la composent. Il personnifie la Nation et a la charge de ses destinées.
Arbitre des intérêts supérieurs du pays, il assure le fonctionnement des institutions en maintenant - s'il est nécessaire, par l'exercice du droit de dissolution - le circuit continu de confiance entre le Gouvernement et la Nation.
Article 11. Le maintien des droits et des libertés ainsi que le respect de la Constitution sont garantis par une Cour suprême de justice devant laquelle tout citoyen peut introduire un recours.
Article 12. Les trois fonctions de l'État - fonction gouvernementale, fonction législative, fonction juridictionnelle - s'exercent par des organes distincts.
Titre premier
La fonction gouvernementale
Article 13. La fonction gouvernementale est exercée par le chef de l'État, les ministres et secrétaires d'État.
Article 14. Le chef de l'État porte le titre de président de la République. Il est élu pour dix ans par le Congrès national, devant lequel il prête serment de fidélité à la Constitution.
Il est rééligible.
[Ce point sera sévèrement critiqué par le ministre des affaires étrangères du Reich Ribbentrop. A travers sa lettre du 29 novembre 1943 que nous avons cité précédement, ce dernier était scandalisé par la volonté de Pétain que le chef de l'Etat soit élu par l'appareil législatif ]
Article 15.
1° Le Président de la République nomme le Premier ministre et, sur la proposition de celui-ci, les ministres et secrétaires d'État. Il les révoque. Il préside le conseil des ministres.
2° Le chef de l'État a l'initiative des lois ainsi que les membres des deux assemblées. Il peut seul présenter les projets de lois portant amnistie.
Il promulgue les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux chambres. Il en fait assurer l'exécution.
Il communique avec les chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre.
[Ici, il est nécessaire de faire un historique du poste de Premier ministre. Cette appellation est apparu en France dans la première moitié du XVIIème siècle, durant le règne de Louis XIII, pour définir le cardinal de Richelieu comme "principal ministre". Mais la fonction prend forme en Angleterre au début du XVIIIème siècle, sous le règne de Georges Ier. Ce roi avait besoin d'un ministre particulier pour coordonner l'action de tous les autres et traduire ses ordres données en langue germanique (Georges Ier était natif d'Hanovre et refusait d'apprendre l'anglais). Ce ministre se nommait "Primus inter pares", c'est-à-dire Premier ministre. Ce poste existe toujours en Grande Bretagne. Au XIXème siècle, cette fonction apparait dans plusieurs pays, comme au Canada ou en Belgique. En France, la fonction ne réapparaîtra officiellement qu'en 1958 avec la Constitution de la Vème République. L'article 15 prouve donc que c'est Pétain et ses proches qui avaient eu l'idée de mettre en place ce poste, puisque le chef du gouvernement portait le titre de président du Conseil des ministres sous la IIIème et la IVème République. Quelle est la différence ? Sous les deux Républiques parlementaires, le principal ministre définie l'action du gouvernement et préside le Conseil des ministres, puis nomme et révoque ses ministres. Pour le premier point, l'article 21 de la Constitution de la Vème République indique que le Premier ministre dirige l’action du gouvernement, tout comme le Président du Conseil. Cependant, c'est Président de la République qui préside le Conseil des ministres, donc le Premier ministre a davantage un rôle de vice-président. C'est une similitude par rapport à l'article 15 de la Constitution de Pétain. Mais il y a une autre différence, cette fois-ci sur le deuxième point. Dans la République actuelle, l'article 8 explique que le Président de la République choisit des ministres qui composeront le nouveau gouvernement sur proposition du Premier ministre. Or la Constitition réalisée par les pétainistes prévoyait exactement la même chose.]
Article 16.
1° Le Président de la République nomme à tous les emplois civils et militaires, pour lesquels la loi n'a pas prévu d'autre mode de désignation.
2° Il a le droit de grâce.
3° Les envoyés et ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.
4° Il négocie et ratifie les traités.
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi. Les traités de paix, de commerce, ceux qui engagent les finances de l'État et ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger ne deviennent définitifs qu'après avoir été votés par les deux chambres.
5° Il dispose de la force armée.
6° Il peut déclarer l'état de siège.
7° Il ne peut déclarer la guerre sans l'adhésion préalable et formelle des deux chambres.
8° Chacun des actes du chef de l'État, sauf ceux qui portent nomination ou révocation du Premier ministre ou des ministres et secrétaires d'État, doit être contresigné par le ou les ministres ou secrétaires d'État qui en assurent l'exécution.
[Comme c'est le cas avec la Vème République et auparavant sous la IIIème République, le Président de la République possède le droit de grâce (appelé aussi grâce présidentielle) et dispose des forces armées. Pour le droit de grâce, cela correspond aujourd'hui à l'article 17 de la Constitution actuelle, dont voici l'intitulé : "Le Président de la République a le droit de faire grâce." Le contenu a cependant été modifiée lors de la réforme constitutionnelle de 2008. En ce qui concerne le droit de disposer de l'armée française, il est présent dans les articles 20 et 21 de la Constitution de 1958. Le président de la République a même le titre honorifique de "chef des Armées".]
Article 17. Le président de la République peut prononcer la dissolution de la Chambre des députés avec l'avis conforme du Sénat à la suite de l'envoi d'un message motivé.
Il peut, sur la demande du Premier ministre, et en cas de désaccord entre les deux assemblées ou entre le gouvernement et l'une des assemblées, ou en cas de vote d'une motion de défiance à l'égard du cabinet ou d'un ministre, prononcer la dissolution sans avis du Sénat.
La dissolution intervient de plein droit au cas où la Chambre des députés émet des votes de défiance contre trois cabinets successifs.
[La possibilité pour le Chef de l'Etat de dissoudre la Chambre des députés n'était pas une nouveauté et perdure encore aujourd'hui. Voici l'article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 :"Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat". Sur le sujet, Pétain se révèlera moins autoritaire que De Gaulle. Pour le Maréchal, le Président doit demander l'avis du Sénat, comme sous la IIIème République, et ne peut effectuer cette action que si les députés ont émis des avis défavorables à l'encontre de trois ministères successifs. Dans la République actuelle, le chef de l'Etat peut dissoudre l'Assemblée lorsqu'il le souhaite et sans condition. Voici l'article 12 : "Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale."]
Article 18.
1° Le Premier ministre, les ministres et secrétaires d'État sont responsables devant le chef de l'État, individuellement dans le cadre de leurs attributions propres, collectivement pour la politique générale du cabinet.
2° Les ministres et secrétaires d'État se rendent aux assemblées lorsqu'ils le jugent nécessaire. Ils doivent y être entendus quand ils le demandent.
[Comme pour la Vème République, celle prévu par les pétainistes prévoyait que les représentant du pouvoir exécutif étaient directement responsables devant le Président de la République. Dans la IIIème et la IVème République, les tenants de l'exécutif étaient responsables devant le corps législatif. Cette innovation vient donc de la Constitution oubliée du maréchal Pétain.]
Article 19.
1° Le chef de l'État est représenté par un gouverneur dans chacune des provinces définies par la loi qui les institue.
2° Il nomme et révoque le gouverneur par décret contresigné du Premier ministre.
3° Le gouverneur est assisté d'un Conseil provincial.
[L'article 19 ne comporte pas de révolution puisque la fonction de préfet, appelée ici gouverneur de provinces, a été mise en place par Napoléon le 17 février 1800 (loi du 28 pluviôse de l'an VII). Cependant, la Constitution de Pétain est la première à mentionner ce qui correspond au poste de préfet. Par la suite, il sera évoqué dans la Constitution de 1946, puis dans celle de 1958. L'article 72 de Constitution de la Vème République énonce "Dans les départements et territoires (d'outre-mer), le délégué du gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois".]
La fonction législative
Article 20.
1° Le peuple français désigne par voix de suffrages ses représentants aux assemblées législatives : le Sénat et la Chambre des députés.
Dans la composition du Sénat, une place est réservée aux représentants élus des institutions professionnelles et corporatives et aux élites du pays.
2° Quelle que soit l'origine de leur mandat, les membres d'un assemblée ont les mêmes devoirs, les mêmes prérogatives, les mêmes droits.
Ils ne sont liés par aucun engagement à l'égard de ceux qui les ont désignés, et ils n'agissent, dans l'exercice de leurs fonctions, que suivant leur conscience et pour le bien de l'État.
Article 21.
1° Sont électeurs aux assemblées nationales les Français et Françaises nés de père français, âgés de vingt et un ans, jouissant de leurs droits civils et politiques. Sont éligibles aux mêmes assemblées les Français nés de père français, âgés de vingt-cinq ans, jouissant de leurs droits civils et politiques.
2° La loi fixe les autres conditions de l'électorat et de l'éligibilité.
Elle institue le vote familial sur la base suivante : le père ou, éventuellement, la mère, chef de famille de trois enfants et plus, a droit à un double suffrage.
3° Le vote est secret.
4° Les règles ci-dessus, relatives à l'électorat et à l'éligibilité, sont applicables aux élections des conseils provinciaux, départementaux et municipaux. Les Françaises, nées de père français, âgées de vingt-cinq ans, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont éligibles à ces conseils.
[L'article 21 est très important car on peut constater que Pétain était en faveur du droit de vote des femmes. On peut se demander si Pierre-Etienne Flandin a eu une certaine influence dans la rédaction de cet article. La version officielle annonce De Gaulle comme celui qui eu l'idée de reprendre puis donner le droit de vote aux femmes durant la 2nde Guerre Mondiale. On peut alors s'apercevoir qu'il s'agit d'un mensonge puisqu'il s'agissait de la volonté d'un certain nombre de personnes, quelque soit l'engagement politique. Pour information, le Comité français de la libération nationale accorda le droit de vote des femmes par ordonnance le 21 avril 1944, c'est-à-dire près de deux mois avant le débarquement des Alliés en Normandie. Le Gouvernement provisoire de la République française le confirmera définitivement le 5 octobre 1944. Cependant, la Constitution de Pétain a été réalisée entre 1941 et 1943 par le Conseil national de l'Etat français, donc le Sauveur de Verdun voulait donner le droit de vote aux femmes avant les "libérateurs de la France". Par ailleurs, autre point très important, il ne faut pas oublier que les militaires n'eurent officiellement le droit de vote en France qu'à partir du 17 août 1945, avant ils ne possédaient pas ce privilège. Or il semble ici que le Maréchal souhaitait également donner ce droit aux militaires puisqu'il n'avait inscrit aucune contrainte pouvant les empêcher de voter.]
Article 22.
Le Sénat est composé de :
1° Deux cent cinquante membres, élus par des collèges départementaux comprenant les conseillers départementaux et des délégués des conseils municipaux ;
2° Trente membres, désignés par le Chef de l'État parmi les représentants élus des institutions professionnelles et corporatives ;
3° Vingt membres, désignés par le chef de l'État parmi les élites du pays ;
4° Les anciens présidents de la République à l'expiration de leur mandat.
Les membres des deux premières catégories sont élus ou désignés pour neuf ans et renouvelables par tiers tous les trois ans. Les membres des troisième et quatrième catégories sont sénateurs a vie.
Une loi organique détermine les conditions dans lesquelles sont élus les délégués des conseils municipaux, les modalités de l'élection et de désignation des sénateurs, ainsi que le nombre des sénateurs par département.
Les membres du Sénat doivent être âgés de quarante ans au moins.
[Comme sous notre Vème République, la Constitution du Maréchal prévoyait que la grande majorité des membres du Sénat soient désignés pour neuf ans, un mandat renouvelable par tiers tous les trois ans. En revanche, le mode d'élection n'est pas vraiment le même.]
Article 23.
1° La Chambre des Députés se compose de cinq cents membres, élus pour six ans au suffrage universel et direct, à la majorité, à un seul tour.
Chaque département doit avoir au moins deux députés.
2° Au cas de dissolution de la Chambre des députés, il est procédé a son renouvellement dans un délai de deux mois et la Chambre est réunie dans les dix jours qui suivent la clôture des opérations électorales.
Article 24.
1° Chaque assemblée désigne son bureau au scrutin secret, pour un an, dans les conditions fixées par son règlement.
2° Les assemblées doivent être réunies chaque année en deux session d'une durée totale de quatre mois au moins et de six mois au plus.
Les deux assemblées peuvent être convoquées en session extraordinaire par le président de la République chaque fois qu'il le juge utile.
La première session ordinaire s'ouvre de plein droit le troisième mardi de janvier; la seconde, au cours de laquelle est examiné le projet de budget, le premier mardi après la Toussaint.
La session d'une assemblée commence et finit en même temps que celle de l'autre.
Le chef de l'État peut, par décret, prononcer l'ajournement des assemblées pour une durée maximal d'un mois au cours d'une session.
La clôture des sessions est prononcée par le chef de l'État.
3° Les séances du Sénat et de la Chambre des députés sont publiques. Néanmoins, chaque chambre peut se constituer en comité secret sur la demande d'un certain nombre de ses membres fixé par le règlement.
Article 25.
1° Les Assemblées votent les lois.
Leurs membres peuvent adresser aux ministres et secrétaires d'État des questions orales ou écrites, ainsi que des interpellations.
2° Le vote est personnel.
3° Toute motion comportant confiance ou défiance à l'égard du cabinet ou d'un ministre fait de droit l'objet d'un scrutin public.
Elle ne peut être discutée qu'un jour franc après la date à laquelle elle a été déposée.
Article 26.
1° Les membres des assemblées peuvent déposer des propositions de loi ou des amendements aux projets et propositions de loi. Les propositions ou amendements entraînant création ou augmentation de dépenses publiques, quels que soient les voies et moyens qu'ils prévoient, ne peuvent être mis en discussion que si le gouvernement accepte leur prise en considération.
2° Les projets de loi de finances doivent être présentés en premier lieu à la Chambre des députés.
3° Chaque projet ou proposition de loi est soumis, dans chaque assemblée à l'examen d'une commission spécialement désignée à cet effet. La commission peut proposer des amendements. Toutefois, l'assemblée délibère sur le texte du projet ou de la proposition avant d'examiner les amendements.
La participation des fonctionnaires de l'État qui ne sont pas membres de l'assemblée, aux travaux d'une commission, est interdite.
Article 27.
1° En cas de rejet ou de modification d'un projet ou d'une proposition, le gouvernement peut demander une deuxième délibération qui a lieu obligatoirement dans un délai maximum de deux mois.
2° La promulgation des lois doit intervenir dans le mois qui suit leur adoption définitive par les assemblées.
Elle doit intervenir dans les trois jours pour les lois dont la promulgation aura été déclarée urgente par un vote exprès de l'une ou l'autre chambre, à moins que, dans ce délai, le chef de l'État ne demande une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée.
Article 28. Aucun membre de l'une ou l'autre chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.
Aucun membre de l'une ou l'autre chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi en matière criminelle ou correctionnelle, ou arrêté, qu'avec l'autorisation de la Cour suprême de justice, sauf le cas de flagrant délit.
Si l'assemblée intéressée le requiert, la détention préventive ou la poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre chambre, arrêté ou poursuivi au cours de l'intersession, est suspendue pendant la session suivante et pour toute sa durée.
Article 29. Les membres des assemblées reçoivent une indemnité égale à la rémunération des conseillers d'État en service ordinaire.
Article 30.
1° Le Président de la République peut, pour la révision de la Constitution, réunir le Sénat et la Chambre des députés en Assemblée nationale, soit spontanément, soit sur un vote émis par les deux chambres après délibérations séparées à la majorité des deux tiers du nombre légal des membres.
2° Les deux chambres peuvent également se réunir en Assemblée nationale sur résolution prise par l'une d'elles à la majorité des deux tiers du nombre légal des membres, pour statuer sur la mise en accusation du chef de l'État, des ministres ou des secrétaires d'État.
3° Toute convocation de l'Assemblée nationale doit préciser les points sur lesquels porteront ses délibérations.
L'Assemblée n'est, en aucun cas, maîtresse de son ordre du jour.
Ses décisions sont prises à la majorité des deux tiers du nombre légal de ses membres.
4° L'Assemblée nationale a pour bureau le bureau du Sénat.
[Attention, ce que les rédacteurs de cette Constitution appellent par Assemblée nationale, c'est le regroupement du Sénat et de la Chambre des députés, ce qui correspond actuellement au Parlement. Aujourd'hui, l'Assemblée nationale est le nom employé pour désigner la Chambre des députés.]
Le Congrès national
Article 31.
1° Le Congrès national est constitué par les membres des deux assemblées et par les conseillers provinciaux ou - jusqu'à la désignation de ceux-ci - par les délégués des conseils départementaux en nombre égal à celui des sénateurs et des députés.
2° Un mois au moins avant le terme légal des pouvoirs du président de la République, le Congrès national devra être réuni pour procéder à la désignation de son successeur. A défaut de convocation, cette réunion aurait lieu de plein droit le quinzième jour avant l'expiration de ses pouvoirs.
En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause, le Congrès national se réunit de plein droit dans un délai de trois jours pour procéder à l'élection d'un nouveau chef de l'État.
Jusqu'à la prestation de serment, les pouvoirs du président de la République sont exercés par le conseil des ministres.
Dans le cas où la Chambre des députés se trouverait dissoute au moment où se produirait la vacance, les collèges électoraux seraient aussitôt convoqués et le Sénat se réunirait de plein droit.
3° L'élection a lieu au scrutin secret. Aux deux premiers tours, l'élection requiert la majorité absolue du nombre légal des membres du Congrès. Au troisième tour, la majorité relative suffit.
4° Le Congrès national a pour bureau le bureau du Sénat.
[Pétain et ses proches prévoyaient que le Président de la République soit élu par un Congrès constitué des députés, des sénateurs, et de représentants au niveau régional et départemental. Il ne faut pas oublier que le 21 décembre 1958, un collège électoral de 81 764 électeurs avait élu Charles de Gaulle à la tête de l'Etat Français. Certes, le nombre de participants est bien plus élevé que celui prévu par les pétainistes pour leur Constitution. Mais ces 81 764 grands électeurs étaient des parlementaires, des sénateurs, des conseillers généraux et des représentants des conseils municipaux. Il y a donc une similitude entre le Collège électoral et le Congrès national.]
La fonction juridictionnelle
Article 32. La justice est rendue au nom du peuple français.
La fonction juridictionnelle est exercée par des magistrats dont un statut propre garantit l'indépendance.
Les magistrats du siège sont inamovibles. Ils sont nommés par le président de la République. Leur avancement est décidé par celui-ci sur avis conforme d'une cour présidée par le premier président de la Cour de cassation et composée de magistrats élus par la Cour de cassation et les cours d'appel. Des dispositions analogues sont prises pour les magistrats du siège de la Cour des comptes.
Article 33. La sauvegarde de la Constitution et l'exercice de la justice politique sont assurés par la Cour suprême de justice.
Article 34. La Cour suprême de justice a les attributions suivantes :
1° Elle statue sur les recours pour inconstitutionnalité de la loi ;
2° Elle a compétence exclusive pour juger le chef de l'État sur mise en accusation par l'Assemblée nationale ;
3° Elle juge les ministres ou secrétaires d'État sur mise en accusation soit par le président de la République, soit par l'Assemblée nationale ;
4° Elle juge toute personne mise en accusation par le chef de l'État pour attentat contre la sûreté de l'État ;
5° Elle procède à la vérification des opérations électorales tendant à la désignation des sénateurs et des députés et se prononce sur les demandes de levées de l'immunité et sur les demandes de déchéance les concernant.
[C'est sans doute l'un des points les plus importants. Philippe Pétain, Lucien Romier et les autres rédacteurs envisageaient la protection de la Constitution par une Cour suprême. Cette charge existait déjà dans plusieurs pays, par exemple aux Etats-Unis. Cependant, une assemblée ayant cette fonction en France n'a été mise en place qu'en 1958, avec la création du Conseil constitutionnel. Tout comme pour l'assemblée issue de la Constitution de de Gaulle, celle de Pétain devait notamment se prononcer sur l'inconstitutionnalité de la loi, ou encore veillait sur les différentes élections nationales. Mais la Cour suprême de justice a un autre rôle que le Conseil constitutionnel. En effet, elle a la possibilité de juger le Chef de l'Etat, les ministres et les secrétaires d'Etat, ainsi que toutes les personnes nuisant à la sûreté de l'Etat. Il est intéressant de constater que les hommes au pouvoir sont exposés à la justice en cas de violation de la législation, et cela même vis-à-vis du président de la République. Alors que sous la Vème République, il faut admettre que les hommes politiques jouissent d'une grande protection face à la justice, même lors des scandales politico-financiers. Mais par cet aspect de contrôle des actes des personnalités politiques, cette Cour de justice a aussi un rôle semblable à l'actuel Conseil d'Etat, sauf que ce dernier a davantage un rôle de conseiller et moins de juge, et est plus influencé par le pouvoir en place. Quoi qu'il en soit, il est fort probable que les gaullistes se soient inspirés de la Cour suprême de justice de la Constitution de Pétain pour créer le Conseil constitutionnel.]
Article 35.
1° La Cour suprême de justice est composée de quinze conseillers en service ordinaire et de six conseillers en service extraordinaire.
2° Parmi les quinze conseillers en service ordinaire, douze sont ainsi recrutés : trois conseillers d'État, trois conseillers a la Cour de cassation, trois professeurs des facultés de droit de l'État, trois bâtonniers ou anciens bâtonniers de l'ordre des avocats auprès d'une cour d'appel ou membres de l'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, choisis par la Cour suprême elle-même sur des listes de présentation établies par les corps ou ordres ci-dessus et comportant trois noms pour chaque siège à pourvoir.
Trois sièges sont, en outre, réservés à des personnalités n'appartenant pas aux corps ou ordres mentionnés, mais présentés obligatoirement par ces corps ou ordres a raison, sur chaque liste, de deux noms pour toute vacance dans ces trois sièges. Les seules conditions de présentation sont les conditions générales applicables aux conseillers en service ordinaire, fixées ci-dessous à l'article 36.
Les premiers membres de la Cour suprême de justice en service ordinaire seront nommés par le chef de l'État sur les mêmes présentations.
3° Les six conseillers en service extraordinaire sont désignés annuellement par le Sénat parmi ses membres, au début de la session ordinaire, a la majorité absolue.
Ils siègent à la Cour suprême de justice lorsqu'elle est réunie dans les cas prévus aux 2°, 3°, et 4° de l'article 34 pour juger le chef de l'État, les ministres ou secrétaires d'État ou toute personne mise en accusation par le président de la République pour atteinte contre la sûreté de l'État.
[On peut remarquer une différence entre la Cour suprême de justice et le Conseil constitutionnel, à propos du recrutement. La première institution se compose obligatoirement de gens spécialistes en droit, tels que des anciens avocats ou des professeurs de droit, et sont nommés selon leurs compétences. Crée le 4 octobre 1958, la seconde institution ne se compose pas toujours de spécialistes en droit (même s'il faut avouer que c'est souvent le cas) puisque les membres sont nommés par le pouvoir exécutif et législatif, et les anciens chefs d'Etat peuvent l'intégrer sans avoir suivit aucune instruction approfondie dans ce domaine. Parmi ces membres ayant peu d'expérience en droit, les meilleurs exemples sont Gaston Palewski, Roger Frey, Daniel Mayer et Jacques Chirac.]
Article 36.
1° Les conseillers en service ordinaire élisent parmi eux le président et le vice-président de la Cour suprême de justice. Ils sont inamovibles. Ils doivent être âgés de cinquante ans au moins au jour de leur nomination. Ils restent en fonctions jusqu'à soixante-quinze ans, sauf si leur déchéance est prononcée ou s'ils se trouvent dans l'impossibilité permanente de remplir leurs fonctions. L'examen et la décision que comportent ces cas exceptionnels sont de la compétence de la Cour elle-même.
Les fonctions de conseillers en service ordinaire sont incompatibles avec le mandat de sénateur ou de député et avec l'exercice d'aucune profession.
Les conseillers en service ordinaire conservent à vie leur traitement, sauf le cas de déchéance.
Ce traitement est égal a celui des ministres.
2° Le parquet de la Cour suprême de justice est composé d'un procureur général et de deux avocats généraux, choisis par le chef de l'État au début de chaque année, parmi les magistrats du parquet de la Cour de cassation ou des cours d'appel.
Toutefois, lorsque la Cour se réunit pour statuer sur une mise en accusation par l'Assemblée nationale, celle-ci désigne dans son sein trois membres pour soutenir l'accusation.
Article 37.
1° Le recours pour inconstitutionnalité n'est recevable que s'il a pour base la violation d'une disposition de la Constitution.
Il est formé par voie d'exception.
2° L'exception d'inconstitutionnalité peut être soulevée devant toute juridiction, mais seulement en première instance, soit par le ministère public, soit par les parties, soit, d'office, par la juridiction saisie.
3° Dès qu'a été soulevée l'exception d'inconstitutionnalité, la procédure au principal est suspendue jusqu'à l'arrêt de la Cour suprême de justice sur la valeur du recours.
Cet arrêt s'impose à toute juridiction ayant à connaître de l'espèce à l'occasion de laquelle il a été rendu.
Les conseils municipaux, départementaux et provinciaux
Article 38.
1° Le conseil municipal est élu pour six ans par le suffrage universel direct au scrutin de liste.
2° Le maire et les adjoints sont élus par le conseil municipal dans les communes dont la population n'excède pas dix mille habitants.
La loi détermine le mode de désignation du maire et des adjoints dans les communes où la population excède ce chiffre.
3° La loi prévoit les conditions dans lesquelles les conseils municipaux peuvent être dissous et remplacés provisoirement par des délégations spéciales.
4° Elle établit le régime municipal spécial de Paris, de Lyon et de Marseille.
Article 39. Le conseil départemental est élu pour six ans au suffrage universel direct, par scrutin uninominal, à raison d'un conseiller par canton.
Article 40.
1° Le conseil provincial est formé :
Pour deux tiers, de membres élus par les conseils départementaux ;
Pour un tiers, de membres nommés par le gouvernement sur la proposition du gouverneur, parmi les représentants élus des organisations professionnelles et corporatives et parmi les élites de la province.
2° La durée du mandat est de six ans. Ce mandat est incompatible avec celui de député ou de sénateur.
3° Le nombre des conseillers provinciaux est, pour l'ensemble des provinces, égal à celui des sénateurs et des députés.
Titre VI
Le gouvernement de l'Empire
Article 41.
1° Les territoires d'outre-mer sur lesquels, à des titres divers, l'État français exerce sa souveraineté ou étend sa protection, constituent l'Empire.
2° Dans l'Empire, le gouvernement exerce son autorité par l'intermédiaire de hauts fonctionnaires responsables de la sécurité intérieure et extérieure des territoires qu'ils administrent ou contrôlent.
3° L'Empire est régi par des législations particulières.
Article 42.
1° Auprès du président de la République est institué un conseil d'Empire appelé à donner son avis sur les questions intéressant le domaine français d'outre-mer.
2° Dans les parties de l'Empire où l'évolution sociale et la sécurité le permettent, le représentant du chef de l'État est assisté d'un conseil consultatif.
3° La loi fixe les conditions dans lesquelles s'exerce la participation traditionnelle de certaines colonies à la représentation nationale.
[Les articles 41 et 42 constituent une véritable révolution, car ils prévoyaient que les territoires désignés autrefois comme des "colonies" soient désormais appelés des "territoires d'outre-mer". Par conséquent, un changement de statut des terres françaises situées hors de métropole était prévu. La Constitution du maréchal Pétain est la première à employer ainsi ce terme d'outre-mer, en usage dans les constitutions des IVème et Vème Républiques.]
L'analyse de cette Constitution oubliée permet de comprendre deux choses. D'abord, ce document remet en cause la version officielle qui fait du dictateur Pétain un anti-républicain et un anti-démocrate. Il est vrai qu'il a souvent critiqué la démocratie de la IIIème République française, mais cela ne signifie aucunement qu'il ne souhaitait pas que son pays vive en démocratie après la fin du second conflit mondial. Il avait simplement une vision différente, avec une République composée d'un exécutif fort, ainsi qu'une liberté d'action plus importante du chef de l'Etat, c'est-à-dire du Président de la République. De plus, il ne remit pas en cause la liberté d'expression et de culte, comme le prouve les premiers articles. Quant à ceux qui en doute, rappelons-nous de ce qu'il a déclaré en 1936 : "Je ne demande pas un chef unique pendant la paix, mais pendant la guerre" (Philippe Pétain, "Défense nationale et Commandement unique", dans Revue des Deux Mondes, 1er mai 1936). Cependant, il ne faut surtout pas oublier l'influence direct de plusieurs intellectuels issus de la droite libérale, en particulier de Lucien Romier qui avait pour rôle d'élaborer cette Constitution, ainsi que Joseph Barthélémy et Pierre-Etienne Flandin. Ensuite, l'étude de ce projet a démontré qu'un certain nombre de points seront présents dans les constitutions suivantes, principalement dans celle de la Vème République. On peut citer par exemple : le rôle accru du Président de la République; le remplacement du poste de Président du Conseil des ministres par celui de Premier ministre, fonction qui n'existait pas en France, et sa responsabilité devant le Chef d'Etat ; la volonté de donner le droit de vote aux femmes ; ou encore la création d'un conseil chargé de la protection et du contrôle de la Constitution. Il y a incontestablement quelques similitudes avec la IVème et surtout avec la Vème République. Est-ce le fruit du hasard ? On peut très sérieusement en douter ...