Le 3 octobre 2010, Serge Klarsfeld et son fils Arno dévoilent au public, par l'intermédiaire de l'Agence France Presse (devant 25 journalistes), un document qui a été "authentifié" comme étant le texte original du statut des juifs, et comportant une écriture au crayon à papier attribuée à Pétain. Klarsfeld père ajoute que ce dernier aurait voulu durcir à l'extrême la législation antisémite de l'Etat Français. Une petite enquête réalisée par mes soins va démontrer que les paroles du théologien de l'histoire sont à remettre en cause, voir à mettre à la poubelle.
Un document authentique ou un faux ?
Premièrement, le document est apparu comme par magie (soit disant donné par un anonyme au Mémorial de la Shoah) et il est diffusé à la télévision bizarrement 70 ans jour pour jour après le premier statut des juifs en France. Lorsque Serge Klarsfeld livra le document au public par l'intermédiaire des médias, il certifia que son authenticité ne fait aucun doute, et qu'il avait par conséquent fait l'objet d'une expertise scientifique. Malgré tout, il va involontairement se contredire, prouvant un premier mensonge de sa part, puisqu'il avouera que le document n'avait même pas été analysé par un graphologue (analyse de l'écriture, étude cependant fragile et pas toujours fiable) avant d'être placé devant les caméras. En effet, la fin d'une entrevue publiée dans Le Monde et datée du 4 octobre 2010 (http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/10/04/serge-klarsfeld-petain-n-a-pas-hesite-a-s-aligner-sur-l-ideologie-raciale-nazie_1420144_3224.html), le journaliste Thomas Wieder demande "Etes-vous sûr de l'authenticité du document ?", alors Klarsfeld répond "Oui, les circonstances de sa découverte ne doivent pas jeter un doute sur son authenticité", mais ajoute "On fera expertiser par un graphologue, s'il le faut, mais on reconnaît très bien l'écriture de Pétain – et nous avons bien sûr comparé avec d'autres documents rédigés par lui à l'époque avant de rendre public le document." Autrement dit, le document n'a pas été analysé par un expert avant qu'il soit rendu public à la télévision, alors qu'il aurait très bien pu n'être qu'un faux. Il indique que son authenticité est simplement prouvée par une écriture qui ressemble à celle de Pétain, alors que n'importe qui aurait pu l'imiter (ce n'est pas bien difficile). Le comble, ce document avait été "authentifié" avant son passage dans les médias par ... Arno Klarsfeld, fils de Serge, qui n'a aucune compétence pour analyser un document historique. Nous reparlerons de l'écriture un peu plus tard.
Lorsqu'un document est reconnu comme authentique, alors un certificat d'authenticité doit-être délivré par un expert. Quelques jours après qu'il soit rendu public, le document fut vérifié par Tierry Bodin. Celui-ci est expert de la cour d'appel de Paris, mais surtout spécialiste en documents autographes. Quelques-unes de ses déclarations ont été publiées dans divers journaux (http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/10/06/97001-20101006FILWWW00592-le-statut-des-juifs-authentique.php). Il explique que ce texte est "incontestablement authentique", qu'il a été "annoté par la main même du maréchal Pétain", qu'il "s'agit bien d'un document original, tapé à la machine et annoté à la main"et surtout qu'il date "indubitablement des années 1930-1940, et tout à fait semblable à d'autres documents émanant du cabinet du maréchal Pétain ou du gouvernement de l'Etat français que nous avons eus en main". Un autre expert de la cour d'appel de Paris, Alain Nicolas, a délivré le certificat d'authenticité après une seconde expertise (http://www.letelegramme.com/ig/generales/france-monde/france/statut-des-juifs-une-seconde-expertise-confirme-l-authenticite-du-document-07-10-2010-1074998.php). "Ce document de travail sur une loi portant sur le statut des juifs est incontestablement corrigé et annoté de la propre main du maréchal Pétain, à l'exception du mot "Projet", mentionné en rouge sur la première des cinq pages du document." Sur quoi se sont basés les deux experts pour certifier que le document est authentique ? Selon le discours de Bodin, il daterait "des années 1930-1940". Quelle superbe précision pour un expert ! Peut-être que cette fourchette est la conclusion d'une analyse du papier, mais elle reste bien large. De plus, rien n'empêche à un faussaire de prendre un papier de cette époque puis d'écrire dessus. Bodin n'a même pas soumis le papier à une expertise scientifique qui apporterait plus de précision, et n'a sans doute utilisé que l'oeil nu. En effet, il est impossible, je dis bien impossible, de dater précisément un document en quelques coups d'oeil, car une analyse scientifique requiert plusieurs étapes indispensables qu'il est nécessaire de rappeler. Premièrement, pour procéder à un examen optique fiable il est nécessaire d'analyser l'aspect et la structure du papier ainsi que de son grain, tout en utilisant un éclairage tangentiel. L'éclairage permet d’étudier l'homogénéité du papier, et voir sa fluorescence sous l'effet des radiations UV afin de distinguer des différences. Le phénomène de fluorescence est lié à l'utilisation d'azurants dans la pâte du papier. Par exemple, la coumarine est un azurant qui renvoie la lumière et fait apparaître plus blanche la matière à laquelle elle est mêlée. Cette étape est indispensable car elle permet de savoir si le papier du document date de avant ou après les années 1950. Secondement, il est nécessaire d'examiner la pâte du papier au microscope en prélevant une partie infime équivalent à une tête d'épingle, qui est ensuite placé sur une lame accompagnée d'une goutte d'eau. Ce procédé permet de connaître le type de pâte en papier pour déterminer l'origine et le procédé de fabrication, c'est-à-dire s'il s'agit d'une pâte industrielle, chimique ou de chiffon. De plus, cela permet également d'en savoir plus sur l'état du papier en observant l'usure de ses fibres. En fonction des résultats obtenus, nous pouvons obtenir des éléments qui pourraient nous permettre de dater le document concerné. Bref, comme les fameux experts n'ont pas effectué d'analyse approfondie en employant les méthodes citées, alors que le document est considéré comme important, cet argument est à jeter aux oubliettes. Mais le motif principal des experts est que ce document est "tout à fait semblable à d'autres documents émanant du cabinet du maréchal Pétain ou du gouvernement de l'Etat Français" et que l'écriture ressemble à celle du maréchal Pétain. Par conséquent, les experts Bodin et Nicolas ont authentifié la source de la même manière que les Klarsfeld, d'après des ressemblances ... Belle manière d'établir l'authenticité d'un document !
Cela nous amène à étudier l'écriture annotée au crayon à papier. Pour accuser le maréchal Pétain, Klarsfeld et son fils expliquent que l'écriture présent sur le document serait de lui. Ils se justifient : "L'écriture de Pétain est très personnelle". La parole des "très honnêtes" Klarsfeld ne font bien-sûr pas office de preuve. Tout le monde peut apercevoir sur les deux photos publiées que ce texte tapé à la machine ne comporte seulement que quelques mots et morceaux de phrases qui sont annotés. L'expert Tierry Bodin explique "Le maréchal Pétain utilisait couramment le crayon de papier pour annoter ou corriger des documents, ou annoter des livres. Le graphisme des lettres comme celui des chiffres (y compris dans la numérotation des articles) est absolument le sien". Le Maréchal possédait donc une écriture unique dans l'histoire de l'humanité ! En regardant les annotations présentes sur les deux photos de cet article, nous pouvons rapidement constater que l'écriture est assez courante, seul un menteur ou un aveugle pourrait prétendre le contraire. La seule exception concerne la forme particulière de la lettre "d", mais nous pouvons retrouver ce style dans des sources datant de l'Ancien Régime et du XIXème siècle, car n'oublions pas que le supposé auteur est né en 1856. Alors de quelle manière peut-on certifier que l'écriture présente sur le document est bien de Pétain ? Une analyse de datation de la matière utilisée pour écrire permettrait d'en savoir davantage. Problème, ce type d'étude se fonde sur l'encre employée par l'auteur, or l'ustensile utilisé était un crayon à papier. Par conséquent, la source est quasiment indatable ... Bodin le justifie par le fait que le Maréchal "utilisait couramment le crayon à papier", mais il ne prouve pas que c'est bien lui qui a écrit sur ce document. De plus, il n'est guère difficile d'imiter l'écriture d'une personne. En conclusion, l'analyse du document n'a révélé aucune preuve scientifique sur l'auteur des écrits.
Enfin, il faut signaler que la cinquième feuille du projet indique le lieu de sa rédaction et la fonction de ses rédacteurs, «fait à Vichy, par le maréchal de France, chef de l'Etat, le vice-président du Conseil» et huit autres ministres. Malgré tout, il n'y a ni date, ni nom, ni signature, et ni côte administrative ... . Par conséquent, au mieux ce document a servi de brouillon. Au pire il s'agit d'un faux.
En clair, aucune donnée ne permet de certifier que ce document est authentique ou non, en l'absence de signature de l'auteur, d'indice de datation et d'analyse scientifique avérée du papier. Mais dans le point suivant, nous allons partir du principe qu'il est bien authentique pour analyser les rectifications qui auraient été réalisées par le Maréchal.
Des informations inédites ?
Tout d'abord, le Maréchal aurait annoté que "tout les membres du corps enseignant" seraient interdis pour les juifs, alors que alors que les rédacteurs du statut avaient prévu cette interdiction uniquement pour les recteurs, inspecteurs, proviseurs et directeurs d'établissements primaires et secondaires. Egalement, Pétain voulait exclure les juifs des fonctions judiciaires, ainsi que de la possibilité de siéger dans "toute assemblée issue de l’élection" et d'"inspecteur des colonies". En réalité, ces points étaient déjà connus puisque Pétain avait demandé que l'enseignement et la justice et ne comprennent aucun juif dès le Conseil des ministres du 1er octobre 1940. De plus, il est bien noté dans le statut du 3 octobre 1940 que tous les juifs ne sont pas exclus de la fonction publique, contrairement à ce qu'affirme Klarsfeld. Voici l'article 4 de cette loi : "L'accès et l'exercice des professions libérales, des professions libres, des professions dévolues aux officiers ministériels et à tous les auxiliaires de la justice sont permis aux juifs, à moins que les règlements d'administration publique n'aient fixé pour eux une proportion déterminée. Dans ce cas, les mêmes règlements détermineront les conditions dans lesquelles aura lieu l'élimination des juifs en surnombre."
De plus, si nous faisons référence à la loi du 2 juin 1941, l'article 3 stipule que des juifs pouvaient garder leur emploi en remplissant certaines conditions, les principales étant d'avoir participé à un conflit dans lequel la France a été engagée, ou encore être pupille de la nation, veuve ou orphelin de soldat tué au combat. Par conséquent, un nombre considérable de juifs gardèrent leur travail n'en déplaise aux théologiens klarsfeldiens :
Les juifs ne peuvent occuper, dans les administrations publiques ou les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, des fonctions ou des emplois autres que ceux énumérés à l'article 2, que s'ils remplissent l'une des conditions suivantes :
a) Être titulaire de la carte du combattant, instituée par l'article 101 de la loi du 19 décembre 1926 ;
b) Avoir fait l'objet, au cours de la campagne 1939-1040, d'une citation donnant droit au port de la Croix de guerre instituée par le décret du 28 mars 1941;
c) Être décoré de la Légion d'honneur ou de la médaille pour faits de guerre ;
d) Être pupille de la nation ou ascendant, veuve ou orphelin de militaire mort pour la France.
Toujours sur ce point, ce que les Klarsfeld se passent bien de dire, c'est que les membres exclus de la fonction publique furent indemnisés selon leur ancienneté dans la profession exercée. Ce fait peut être facilement prouvé puisque l'article 7 de la loi sur le statut des juifs du 2 juin 1941 définit précisément les dispositions pour indemniser ces fonctionnaires, dispositions déjà prises plus brièvement dans l'article 7 de la loi du 3 octobre 1940. Relevons notamment l'un des points importants de cet article du 2 juin 1941 : "3º Les fonctionnaires des départements, communes ou établissements publics qui possèdent une caisse spéciale de retraites bénéficieront, avec jouissance immédiate, de la pension d'ancienneté ou de la pension proportionnelle fixée par leur règlement de retraites, s'ils remplissent les conditions de durée de services exigées pour l'ouverture du droit à l'une de ces pensions."
Afin de comprendre de manière raisonnée cette disposition, l'intellectuel René Rémond évoque une autre raison que l'antisémitisme supposé de Pétain. En effet, il observe objectivement que la politique du gouvernement tend à enfermer les juifs "dans un statut discriminatoire qui les écarte de tout poste de responsabilité ou d'influence". Il ajoute que "le gouvernement du Maréchal ne vise aucunement à la disparition des Juifs" (René Rémond, Préface à l'ouvrage d'Asher Cohen, Persécutions et sauvetages: Juifs et Français sous l'Occupation et sous Vichy, Editions du Cerf, Paris, 1993).
Deuxième chose, d'après le document, une mesure prévoyait que "les descendants de Juifs nés français ou naturalisés avant 1860" ne soient pas concernés par la loi portant sur le statut des juifs. Cet alinéa a été rayé. D'après les Klarsfeld et les "experts", le responsable ne peut être que Pétain. Et ils en ajoutent une couche en affirmant que le Maréchal n'avait jamais tenté de protéger les juifs français. Nous ne sommes pas certains que ce soit bien de sa main, n'importe qui aurait pu le gribouiller, le responsable ayant effectué cette rayure peut tout aussi bien être Pétain qu'une autre personne. Mais partons du principe que le Maréchal avait un style de rayure unique dans l'histoire de l'humanité, tout comme son écriture "très personnelle". Pour les Klarsfeld, il s'agit d'une pulsion antisémite dans lequel l'accusé mettait tous les juifs dans le même paquet à l'égal des nazis. Il n'y a pas à chercher très loin pour s'apercevoir que les accusateurs ont volontairement menti, car rien que le contenu des différents statuts des juifs présents dans le Journal Officiel prouve très clairement que Pétain avait tenté d'épargner au maximum les juifs français. En effet, l'article 8 du 2 juin 1941 établi une mesure réduisant de manière conséquente le nombre de concernés par la législation antijuive, soit en ayant accompli « des services exceptionnels » comme par exemple avoir été récompensé pour en engagement dans la Première Guerre mondiale ou en 1940, ou soit si les familles juives vivaient en France « depuis au moins cinq générations » :
"Peuvent être relevés des interdictions prévues par la présente loi, les juifs :
1º Qui ont rendu à l'État français des services exceptionnels ;
2º Dont la famille est établie en France depuis au moins cinq générations et a rendu à l'Etat français des services exceptionnels."
De plus, le deuxième point de l'article 8 est intéressant, car si Pétain aurait rayé dans le document des Klarsfeld la mesure prévoyant de protéger les "les descendants de Juifs nés français ou naturalisés avant 1860", il a été en réalité encore plus loin dans le sauvetage des juifs français en voulant préserver les familles présentes en France "depuis au moins cinq générations" et qui pouvaient très bien être naturalisés après 1860.
Par conséquent, les propos de Klarsfeld expliquant que Pétain voulait durcir le statut des juifs pour des raisons purement antisémites sont largement contestables, pour ne pas dire mensongers. On peut affirmer que, si ce document est authentique, il n'apporte strictement rien dans le cadre de l'analyse historique du statut des juifs, tandis beaucoup d'interprétations ont été réalisées par les Klarsfeld à des fins de propagande, agissant soi-disant au nom de la mémoire des juifs.
Les désaccords de plusieurs « historiens »
Je ne vais pas m'étendre sur ce point, mais je vais prendre simplement deux entretiens concernant deux « historiens » envers lesquels je ne suis pourtant pas toujours d'accord.
Le premier est celui de Henry Rousso paru sur Libération (http://www.liberation.fr/politiques/01012294794-petain-et-les-juifs-l-obsession-juridique), qui n'a rien d'un pétainiste mais qui conteste largement l'authenticité du document ainsi que le point de vue falsificateur de Klarsfeld. Voici ce qu'il explique :
- au sujet de l'authenticité du document : "Si on laisse les effets d’annonce, l’analyse même rapide du document dans son intégralité peut conduire à d’autres hypothèses. Si rien ne permet de penser qu’il s’agit d’un faux, s’il est probable qu’il provienne de papiers ayant appartenu à Pétain ou à l’un de ses ministres les plus impliqués comme Raphaël Alibert, le garde des Sceaux, rien ne permet en revanche d’identifier formellement le ou les auteurs des annotations. L’expertise graphologique constitue ici un élément fragile : aucun tribunal n’aurait accepté cette pièce comme preuve à charge contre Pétain."
- au sujet de l'exclusion des juifs de la fonction publique : "les mesures d’exclusion professionnelles prévues à l’origine seront presque toutes appliquées, le caractère radicalement antisémite du texte étant acquis dès l’origine. En revanche, elles en étendent le périmètre et limitent les exceptions : plus de gens seront ainsi touchés. Parmi les catégories nouvelles, on relève les enseignants (et pas seulement les cadres de l’instruction publique), catégorie particulièrement détestée par Pétain, qu’ils soient Juifs ou pas. Pour les magistrats, contrairement à ce qui a été dit, presque toutes les catégories sont déjà exclues, une annotation ajoutant les juges de paix et les membres d’assemblées juridictionnelles élues (comme les prud’hommes) ce qui n’est pas une extension considérable [...] les fonctionnaires juifs proches de la retraite seront renvoyés mais pourront toucher tout ou partie de leur pension ; les autres recevront leur traitement pendant une durée qui «ne pourra excéder quinze ans», précise l’avant-projet, une disposition rayée par celui qui l’a annoté, ce qui signifie, au moins sur un plan formel, que la durée pourra être plus longue."
- au sujet de l'alinéa rayé concernant l'exemption des descendants de juifs français nés avant 1860 : "Celui ou ceux qui ont modifié le texte ont supprimé l’exemption concernant les descendants de Juifs français «nés avant 1860», soit une population conséquente : c’est un point qui mérite examen, moins parce qu’il a été supprimé que parce qu’il a été prévu, sans que l’on puisse en l’état comprendre le sens de cette disposition jusque-là inconnue."
- au sujet de la responsabilité de Pétain dans le statut des juifs : "Pétain a peut-être annoté tout ou partie de ce texte puisque toutes les modifications seront retenues dans la loi du 3 octobre, ce qui signifie que celui qui les a faites avait le pouvoir de les imposer. Mais c’est ici une pure supposition. Rien ne permet de conclure que c’est lui, qu’il était seul, qu’il n’y a pas eu discussion au sein de son cabinet ou que ces modifications relèvent en priorité d’un antisémitisme plus forcené que le projet initial. [...] imagine-t-on le militaire Pétain relever le fait que l’on a oublié les juges de paix ou les inspecteurs des colonies ? Elle montre une volonté d’égalité dans l’opprobre, mâtinée d’une préoccupation pseudo-humanitaire qui permet de comprendre pourquoi on se préoccupe du paiement des fonctionnaires renvoyés : justifiant la promulgation du statut des Juifs, le gouvernement parlera d’«indispensables sécurités» prises avec un «esprit d’humanité»."
En clair, même si Henry Rousso pense que Pétain est antisémite, un avis que je ne partage pas, il parvient quasiment à la même conclusion que moi vis-à-vis de ce document, c'est-à-dire un document à l'authentification fragile et qui n'apporte rien de neuf dans la recherche.
Un deuxième sera interrogé sur ce document, Alain Michel. Cet entretien est paru dans Le Monde (http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/08/petain-klarsfeld-et-le-statut-des-juifs_1421990_3232.html). Voici les points intéressants :
- au sujet de l'intérêt historique : "Je ne suis pas, loin de là, un "défenseur de Pétain", mais en tant qu'historien travaillant sur cette période, je ne peux être que frappé par les inexactitudes, pour le moins, qui ont entouré la découverte du document, tant dans la présentation des faits que dans leur analyse. Ce document n'apporte rien d'essentiel sur le statut des juifs d'octobre 1940. Nous savons depuis longtemps que le maréchal a insisté pour aggraver le projet, et le document vient seulement le confirmer. Il est intéressant sur le plan de la mémoire, bien plus que sur le plan de la connaissance historique, à laquelle il n'apporte rien de neuf."
- au sujet de l'antisémitisme français et du "durcissement" sur le statut des juifs : "Surtout, ce document ne dit rien quant à l'argument de certains concernant la protection ou non donnée par Vichy aux juifs français. Nous sommes en octobre 1940, dans le contexte d'un antisémitisme français qui est le prolongement d'une vision propre à la France développée dans les années trente, et qui est un antisémitisme essentiellement différent du racisme nazi. A la date du document, la solution finale n'a pas encore été mise en place et il n'est nulle part question d'un danger physique pour les juifs, en tout cas pour ceux de nationalité française. Nous ne pouvons donc tirer aucune conclusion quant à l'attitude de Vichy presque deux ans plus tard, lorsque les nazis mettront en place en France la solution finale, et que le gouvernement de Vichy devra faire des choix quant à son attitude et à sa collaboration dans le domaine des déportations."
- au sujet de l'analyse de certains "historiens" : "L'interprétation abusive de ce document est directement liée à la manière à la fois trop globalisante, et surtout anachronique, utilisée par nombre de personnes, dont beaucoup d'historiens, pour lire et reconstituer les événements difficiles de cette période."
Par conséquent, Alain Michel explique bien que non seulement ce document est d'un intérêt historique moindre, mais il ajoute qu'on ne pas en tirer grand chose. De plus, il remet en cause l'analyse arbitraire de plusieurs historiens qui se laissent submerger par leurs pulsions haineuses et aveugles plutôt que par la raison et l'objectivité. Les Klarsfeld, Paxton ou encore Azéma sont quelques-uns des nombreux exemples.
Un coup politico-médiatique préparé à l'avance
Selon Klarsfeld, le document du statut des juifs aurait été donné par une personne qui souhaitait rester anonyme. Dans le n° 303 du magazine Faits & Documents daté de la deuxième quinzaine d'octobre, le rédacteur précise que "cette apparition miraculeuse apparaît comme très soigneusement orchestrée et ne relevant absolument pas d'une découverte récente" (page 7). Il justifie sa déclaration en publiant le carton d'invitation distribué plusieurs semaines avant cet événement médiatique, prouvant que celui-ci a bien été un coup monté initié par plusieurs "historiens", Serge Klarsfeld en tête, avec la classe politique, dont les très "honnêtes" Robert Badinter et Bertrand Delanoë comme chefs de file.
Je terminerai sur ce sujet en rappelant que j'ai rédigé 5 articles à propos de Pétain et sa liaison avec l'antisémitisme, dont les arguments sont plus fournis ceux de monsieur Klarsfeld et ses copains politiciens, mais qui sont moins connus puisque je ne bénéficie pas du même statut médiatique :
-http://realite-histoire.over-blog.com/article-22916931.html
-http://realite-histoire.over-blog.com/article-23403054.html
-http://realite-histoire.over-blog.com/article-23879774.html
-http://realite-histoire.over-blog.com/article-24985330.html
-http://realite-histoire.over-blog.com/article-26518930.html
Pas de date ni de signature, datation impossible à réaliser, analyses graphologiques peu fiables ... Par conséquent, il faut être particulièrement prudent sur ce fameux document, soit disant original, qui tombe à pic et qui était tant attendu par les Klarsfeld, 70 ans jour pour jour après le premier le premier statut des juifs du 3 octobre 1940. Et même si un certificat d'authenticité fut délivré par des experts, ces derniers n'ont absolument pas prouvé que l'écriture sur le document était bien celle de Pétain, ils se sont simplement basés sur des ressemblances vis-à-vis d'autres documents, des arguments biens fragiles et non dénués de subjectivité. Donc il peut s'agir tout aussi bien d'un authentique que d'un faux. Si c'est le cas, il ne faudrait pas s'en étonner puisque bon nombre de documents considérés autrefois comme authentiques se révélèrent finalement être des falsifications, et celui qui nous concerne ne serait pas le premier, loin de là. Il ne faut pas oublier qu'au XVIIème siècle, le moine oratorien Jérôme Vignier (1606-1661) avait réalisé de faux documents mérovingiens et carolingiens, une supercherie mise au jour en 1886. Plus récemment, un certain Konrad Kujau avait vendu le Journal d'Adolf Hitler en 61 livres à l'hebdomadaire Der Stein, pour une coquette somme de plus de 9 millions de marks en février 1983. Quelques mois après la publication de ce document, l'Office fédéral allemand des archives découvrit la fraude et Kujau fut condamné à 4 ans et demi de prison. Incontestablement, il existe des faussaires de génie à travers l'histoire. Quoi qu'il en soit, même si le texte imprimé concernant le statut des juifs serait authentique, il n'a en aucun cas l'importance que les Klarsfeld et autres historiens-théologiens le prétendent. Non seulement ils ont interprété très grossièrement ce document, mais en plus parfois avec des explications mensongères. Par ailleurs, je ne suis pas le seul à effectuer cette conclusion puisque plusieurs historiens sont en complet désaccord avec les Klarsfeld, dont Henry Rousso et Alain Michel que j'ai cité. Ceux-ci remettent aussi en cause l'authenticité de ce document ainsi que les propos des Klarsfeld alors qu'ils ne sont absolument pas pétainistes et ni admirateurs du Maréchal. Le document tant évoqué par les médias n'a clairement presque aucune importance historique. Malgré tout, on ne doute pas que les bien-pensants vont protéger pendant longtemps les élucubrations de Klarsfeld père et fils, vu leur position dans la sphère politico-médiatique. En effet, il n'est pas donné à tout le monde d'être un ami proche de l'ancien président de la République française Nicolas Sarközy comme Arno Klarsfeld, ce dernier étant aussi un ex-amant de Carla Bruni, l'une des trois femmes de ce même président, sans oublier qu'il fut également conseiller au cabinet du premier ministre François Fillon et chargé de missions auprès de son ami intime. Quoi qu'il en soit, l'histoire regorge de sources tellement plus importantes qu'un simple document à l'authenticité douteuse et aux interprétations théologiques qui sont liées.