Ce thème est un sujet encore sensible aujourd'hui puisqu'il concerne la question du double jeu de Pétain durant l'occupation allemande, à savoir si Pétain a pleinement collaboré avec les Allemands contre les Alliés, ou s'il a aussi joué un rôle au côté de ces derniers. Les mythes qui demeurent dans notre société d'aujourd'hui veulent nous démontrer que, après la débâcle de mai à juin 1940 subie par la France, Pétain, partisan d'un armistice face à l'ennemi, considérait la guerre perdue, au contraire de de Gaulle. La réalité est complètement différente et j'ai émis quelques sources permettant d'affirmer que Pétain avait aussi collaboré au côté des Anglais et des Américains, malgré une politique de collaboration envers l'Allemagne en parallèle.
Les actions de Paul Dungler et ses relations avec Pétain, selon ses Souvenirs de la guerre de 1939/1945
Lorsqu’en 1940, après la débâcle de l’armée française, l’Alsace et la Moselle furent à nouveau annexés par l’Allemagne. Paul Dungler, un industriel du textile et adhérant d’Action Française, entreprit d’organiser une résistance alsacienne. Dans ses Souvenirs de la guerre de 1939/1945 (p. 11), Paul Dungler écrit "Les Allemands vont perdre la guerre. [...] Lorsqu'ils auront un certain nombre de revers, le régime va s'effondrer intérieurement [...]; il faut que nous, nous nous organisions pour remplacer les Allemands à leur effondrement par une organisation qui tiendra tout le pays pour éviter le jeu communiste." Cet extrait a été repris par l'historienne Bénédicte Vergez-Chaignon dans Le Docteur Ménétrel (Perrin, 2001, p. 159). Ainsi, dès l'été 1940, il entend préparer dans l’ombre une organisation de combattants qui devront combattre l’emprise de l’occupant le moment venu, c'est-à-dire lors de la libération de la France. Le 1 septembre, il fonde la “7e colonne d’Alsace”, ou réseau Martial. Le réseau Martial fonctionnera selon un cloisonnement rigoureux. Il ne se livrera pas à un terrorisme qui aura pour risque de provoquer des représailles allemandes sur des innocents. Il organisera en profondeur la résistance, assurant la protection des prisonniers évadés et des jeunes Alsaciens qui fuient la conscription dans l’armée allemande, transmettant des informations au maréchal Pétain, lequel les adressera ensuite, via l’amiral Leahy, ambassadeur des États-Unis à Vichy, au président Roosevelt. Voici ce qu'il raconte : "Je venais une fois par semaine passer une journée à Vichy. Et dès que j'avais quelques chose d'important, j'allais me présenter à Ménétrel qui chaque fois me recevait immédiatement." (Paul Dungler, Souvenirs de la guerre de 1939/1945, p. 31) Dungler a aussi une importante relation parmi les Allemands opposants à Hitler. Il apprendra ainsi, dès la fin de 1940, l’intention d'Hitler d’attaquer l’U.R.S.S. au printemps 1941. L’information transmise à Washington par le Maréchal fut pour Roosevelt une révélation. Toujours selon Paul Dungler, ce dernier est ensuite reçu à Vichy par Pétain qu’il informe de ses activités clandestines. Le chef de l’État l’encourage et lui donne un sauf-conduit pour faciliter ses déplacements. Il le met en relation avec l’Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A) commandée par le général Frère. Celui-ci lui déléguera le colonel d’Ornant pour assister le réseau Martial. Selon Bénédicte Vergez-Chaignon : "L'agenda, assez fragmentaire, de Bernard Ménétrel, indique par exemple des rendez-vous les 4 mars et 26 avril. Dans tous les cas, on dépasse la simple collecte d'information encouragée par Ménétrel pour remédier à l'absence de renseignements fournis au Maréchal. Il approuve ou aide des entreprises qui travaillent à favoriser la défaite allemande." (Bénédicte Vergez-Chaignon, Le Docteur Ménétrel, Perrin, 2001, p. 159).
Au printemps 1942, Dungler organise l’évasion, via l’Alsace et la Suisse, du général Giraud qui était détenu par les Allemands dans une enceinte fortifiée. Ce dernier, libéré en avril de la même année, prêtera serment de fidélité envers le Maréchal et sera envoyé en Afrique du Nord pour aider l'amiral Darlan à réorganiser l'armée française. Hitler sera furieux de l'évasion de Giraud. En juin 1943, Paul Dungler est de nouveau convoqué par Pétain à Vichy et le décorera de la Francisque, avant de prendre contact avec les généraux Giraud et de Gaulle qui, pour un temps, se partagent le pouvoir à Alger. Il se dira porteur d’un message destiné à permettre la réconciliation des Français, par-delà les options divergentes choisies depuis 1940. Mais de Gaulle l’éconduit et rejette la main tendue par le Maréchal car Paul Dungler voulait préserver l’autonomie de son réseau, en refusant de s’inféoder au Conseil National de la Résistance. De plus, de Gaulle voulait conclure une alliance avec les communistes pour écarter les partisans pétainistes de Giraud. Déçu par de Gaulle qui avait donné comme priorité d'écarter ses opposants plutôt que de s'unir pour prévoir la libération de la métropole française, il sait que ce projet ne pouvait pas aboutir. Par la suite, Paul Dungler sympathise à Alger avec Antoine de Saint-Exupéry qui, comme lui-même, songe avant tout et seulement à la libération de la France. Il se désole des règlements de comptes politiques qui se préparent et qui engendreront l'Epuration, avec le massacre d'environ 12 000 victimes. Egalement, il reçoit le meilleur accueil de l’ambassadeur des États-Unis en France, Pinkney Tuck, qui lui propose de devenir conseiller du président Roosevelt pour les affaires allemandes, mais préfère revenir en métropole où il se fait parachuter. Ayant repris contact avec Pétain, il participe à des rencontres avec des représentants de l’Abwehr (service de contre-espionnage allemand) qui prévoyait rien de moins que l’élimination de Hitler ! Par la suite, Dungler continue d’organiser les Groupes Mobiles d’Alsace (G.M.A.), du Sud des Vosges et de Suisse. Le premier d’entre eux deviendra la Brigade Alsace-Lorraine. En janvier 1944, il est arrêté par la Gestapo. Déporté dans un camp de Tchécoslovaquie, il ne sera libéré que le 7 mai 1945. Jacques Soustelle, envoyé par De Gaulle, lui interdira alors de témoigner au procès du maréchal Pétain car l’opinion publique ne devait pas savoir que celui-ci avait soutenu et aidé des organisations de Résistance. Alors que tant de “résistants” vrais ou faux se pavanaient alors, Dungler qui a joué un rôle important, voir indispensable, rentrera dans l’obscurité de la vie civile, et cela sans l’obtention d’aucun honneur. Par ailleurs, à travers son livre, il tenta de démontrer un double jeu de Pétain, dans le sens où le Maréchal faisait semblant de collaborer avec les Allemands tout en favorisant leur défaite. Pourtant, même s'il n'a pas complètement tort, une collaboration avec l'Allemagne était bien réelle, même s'il tenta en parallèle de conserver le soutien de plusieurs Etats, notamment celle des Etats-Unis et d'autres pays d'Amérique.
Le début d'un double jeu ?
Le 13 juin 1940, Pétain exprime ses pensées sur l'avenir de la guerre en expliquant que celle-ci sera longue. Le général de La Porte du Theil, futur ministre de la défense, évoquera que : "Il n'imaginait pas que la ligne défensive allemande pût être définitivement forcée [...] Pour lui, la guerre devait se terminer par lassitude." ("Le Maréchal et les Chantiers de la jeunesse", dans le Bulletin bimestriel de liaison de l'amicale des anciens du Groupement N°1, numéro spécial, 1951). Le 16 juin 1940, soit quarante-huit heures avant l'appel de Charles de Gaulle, le Maréchal déclare : "II y en a pour longtemps. Les Américains gagneront, comme en 1918. Il faut tenir jusque-là." (Pétain à Albert Rivaud, témoignage de celui-ci cité par François-Georges Dreyfus, Histoire de Vichy, Édition De Fallois, p. 163).
Le 20 juin, le gouvernement français du maréchal Pétain donne l'ordre à la marine française de rejoindre immédiatement l'Afrique du Nord : "Aucun bâtiment de combat ne doit tomber aux mains de l'ennemi. La ligne de repli de tout bâtiment est l'Afrique du Nord. Tout bâtiment français ne pouvant facilement l'atteindre et risquant de tomber aux mains de l'ennemi doit se saborder." (Jacques Benoist-Mechin, Les 60 jours qui ébranlèrent l'Occident, Robert Laffon, 1956, et Pierre Cattin, "Le prince des faussaires, un mensonge historique et meurtrier", Lettre de Veritas, n°42, avril 2000).
Dès juillet 1940, le Maréchal approuve la création de Services spéciaux qui vont arrêter environ 3000 espions de l'Axe en deux ans. Parmi eux, 42 seront condamnés à mort et non graciés, conformément à l'avis de la Commission des grâces. En parallèle, aucun des agents Alliés avec lesquels il collabore ne seront exécutés (Paul Paillole, Services Spéciaux). Par ailleurs, l'un des espions allemands arrêtés par les Services spéciaux français était un nommé Silberstein, juif réfugié en France depuis 1935, avec lequel il avait eu des contacts (Paul Paillole, Services spéciaux, p. 241, et Raymond Aron, Mémoires, Editions Julliard, 1983, p. 18). Paul Paillole avait plusieurs responsabilités sous les ordres du Maréchal. Il dirigea le service de contre-espionnage clandestin, notamment par l’intermédiaire des Travaux Ruraux qui furent sa couverture, et dont il assumait la direction sous le nom de Perrier. Il organisa les Bureaux des Menées Antinationales (BMA), autorisé par les Allemands afin d’assurer la sécurité de l’Armée de l'armistice. Ce service était en fait la couverture du service de contre-espionnage et lui servira de soutien. Paillole mena la lutte contre les agents allemands. En août 1942, après la dissolution du BMA sur ordre des Allemands, il prend la tête du Service de Sécurité Militaire (SSM) créé par le colonel Rivet. Puis en novembre, il est recherché par les nazis mais parvient à s'évader par l'Espagne. Il rejoint Londres puis Alger en janvier 1943. Il exerce ensuite des responsabilités au sein des services spéciaux du général Giraud, représentant de Pétain en Afrique du Nord. D’Alger, il dirige les actions de Marcel Taillandier, Chef du réseau Morhange, et organise des missions sous-marines entre l’Afrique du Nord et Ramatuelle (dans le département du Var), afin de transporter agents et armes hors de la métropole occupée. En novembre 1943, il est accusé de participer à une tentative d’évader Pétain de France. Les gaullistes tentèrent de l’écarter et nuire à ses actions, mais qui servirent à la libération de la France. De plus, de Gaulle voulait combattre les services giraudistes. Selon Jean Kessler, il fut même le premier officier français à œuvrer secrètement à la préparation du débarquement de Normandie (Jean Kessler, «Les archives privées du colonel Paul Paillole», Revue historique des armées, n° 248, 2007).
En dépit de l'agression britannique à Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940, causant la mort de plus de 1000 soldats français, Pétain refuse toute idée de rupture avec le Royaume-Uni : "Je ne laisserai pas commettre l'irréparable entre l'Angleterre et moi [...] Je garderai l'amitié des Etats-Unis." (Déposition de François Charles-Roux – Procès du Maréchal, Journal Officiel du procès, p. 88).
Le 4 août 1940, lors d'une réunion réunissant uniquement Baudouin, Darlan et Pétain, ce dernier évoque l'hypothèse d'une occupation totale de la métropole. Paul Baudouin mentionne cet entretien avec le Maréchal et l'Amiral :
"Aucun plan de défense n'a été préparée.
Pétain. - Que voulez-vous dire ?
Baudouin. - Il faut qu'un avion soit toujours prêt pour vous transporter à Alger.
Pétain. - J'ai déjà réfléchi, je ne quitterai la France en aucun cas, je me laisserai faire prisonnier et vous serez avec moi. Mais vous avez raison, il faut que quelqu'un soit prêt à s'enfuir à Alger, le mieux serait que ce soit le chef de la flotte.
Baudouin. - Lui en avez-vous parlé ?
Pétain. - Non, venez ce soir avec Darlan.
Le soir, Pétain déclare en ma présence à Darlan :
Je ne veux pas de papier, mais vous devez considérez mon ordre comme définitif. Je ne reviendrai pas sur cette décision. D'autre part, il doit bien être entendu qu'elle restera strictement entre nous trois. Personne d'autre ne doit la connaître." (Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement, La Table Ronde, 1948, p. 278 et témoignage rappelé notamment par Marc Ferro dans Pétain, Hachette, 2009, p. 166). Aussi incroyable que cela puisse paraître, Pétain avait déjà prévu de donner la direction de l'Afrique du Nord à Darlan, ce qu’il fera deux ans plus tard.
Le 6 septembre 1940, Pétain nomme le général Weygand au poste de "Délégué général du gouvernement en Afrique française". Le 20 septembre, il confie au professeur Rougier : "J'envoie Weygand en Afrique du Nord, avec tout pouvoir, loin des orages du Conseil des ministres, où il ne peut plus s'entendre avec Laval, et hors des regards des Allemands. Sa mission sera de sauvegarder l'Afrique du Nord et de former une armée capable de la défendre. Un jour cette armée nous servira, mais il est encore beaucoup trop tôt." (La grande iniquité du général Héring, rappelé par le général Le Groignec dans Pétain et les Américains, Nouvelles Editions Latines, 1995, p. 232). En décembre de la même année, Weygand déclara au diplomate américain Robert Murphy : "Si vous venez avec deux divisions, nous vous tirerons dessus. Si vous venez avec vingt-cinq divisions, nous vous recevrons les bras ouverts." (Affaire Weygand, arrêt de non-lieu de la Haute Cour, extrait des archives d'Henri Noguères, p. 32, et cité par Robert Paxton dans l'Armée de Vichy, Tallandier, Paris, 2004, p. 277).
Le 23 au 25 septembre 1940, les forces françaises basées à Dakar rejettent une attaque gaullo-britannique, et marque le début du conflit entre les soldats pétainistes et gaullistes, engendré par ces derniers. Mais la victoire des pétainistes va s'avérer aussi bénéfique à la France qu'à la cause des Alliés. En effet, la dissidence de l'A.O.F. aurait entraîné la rupture de l'armistice et l'invasion immédiate de la zone Sud et de l'Afrique du Nord. Le Haut commandement de la Wehrmacht, par la voix du général von Stülpnagel, le confirme auprès du général français Huntziger (Paul Baudouin [ancien ministre des affaires étrangères], Neuf mois au gouvernement, La Table Ronde, 1948, p. 399). Pour information, la Bataille de Dakar a fait l'objet d'une étude dans mon blog d'histoire (http://realite-histoire.over-blog.com/article-le-23-septembre-1940-le-debut-d-une-guerre-franco-francaise-47999429.html et http://realite-histoire.over-blog.com/article-le-23-septembre-1940-le-debut-d-une-guerre-franco-francaise-2-50124816.html).
Quels sont les enjeux de l'entrevue de Montoire entre Pétain et Hitler ? Quel direction le chef de l'Etat va t-il donner à la France ? Nous avons la réponse dans l'article suivant (http://realite-histoire.over-blog.com/article-22506257.html).