L’idée d’un Etat unique regroupant toutes les populations germaniques est indivisible du nazisme. Elle doit donc être étudiée. Ce souhait d'une nation unifié a émergé au début du XIXème siècle par l’intermédiaire du théoricien Johann Gottlieb Fichte (1762-1814). Proche de Kant, ce philosophe athéiste a écrit les Discours de la nation allemande en 1808, à une période où la majorité des Etats européens étaient soumis à l’Empire de Napoléon Ier. En opposition à la domination française, une conscience nationale est apparue en Allemagne comme dans la plupart des régions d'Europe. Il ne faut pas oublier qu’avant 1870, l’Allemagne était composée de plusieurs Cités-Etats indépendantes les unes des autres, et étaient intégrées au sein du Saint-Empire Germanique. A travers son œuvre, Fichte va défendre le développement d’une conscience nationale allemande et va assigner à son peuple une mission spirituelle. Il était convaincu que les Etats Allemands ne pourraient être plus forts que s’ils s’unissaient au sein d’une même nation. Après la chute de l’Empire napoléonien, en 1815, la conscience d’une unité nationale allemande va progressivement se développer. En 1834 est crée une union douanière entre les différents Etats (la Zollverein). Mais à partir de 1848 s’affirme une querelle de conception nationaliste entre les partisans d’une "Grande Allemagne", incluant notamment l’Autriche, et ceux d’une "Petite Allemagne", rassemblée autour de la Prusse. Ce sont les défenseurs de cette dernière qui vont s’imposer durant la deuxième moitiée du XIXème siècle. En 1866, les Prusses combattent victorieusement l’Autriche à Sadowa, anéantissant provisoirement la réalisation d’une "Grande Allemagne". Après la guerre franco-allemande de 1870, la "Petite Allemagne" sort vainqueur du duel l’opposant à la France de l’empereur Napoléon III, notamment grâce à la politique d'Otto Von Bismarck. Le 18 janvier 1871, celui-ci fait proclamer l’Empire allemand, et en devient chancelier. Néanmoins, après le départ du "Chancelier de fer" en 1890, l’idée d’une "Grande Allemagne" reprend forme et va profondément influencer l’empereur Guillaume II.
En parallèle, le nationalisme va évoluer à travers deux théories : d’une part, promouvoir une alliance économique et politique entre les Etats allemands ; d’autre part, le besoin d’une union politique entre tous les peuples d’origine germanique. C'est à travers la seconde théorie que la conception raciale apparaît. Paradoxalement, elle va d'abord être développée par un français, Joseph Arthur comte de Gobineau (1816-1882). Cet écrivain et diplomate va faire le tour du monde. En effet, à partir de 1851, il va effectuer diverses missions diplomatiques en Ottomanie, en Allemagne, en Grèce, au Brésil et en Suède. Gobineau publia plusieurs ouvrages que nous pouvons citer : Le Prisonnier chanceux (1846), Adélaïde (1869), Souvenirs de voyage (1872), Nouvelles asiatiques (1876), Les religions et les philosophies dans l’Asie centrale (1865), Histoire des Perses (1869). Mais ce grand intellectuel va aussi développer des théories raciales à travers son Essai sur l’inégalité des races humaines, publié en 1853. Selon lui, la race est la cause essentielle de la prospérité et de la décadence des différentes civilisations. Il affirme la supériorité de la race indo-européenne par rapport aux autres races, à la fois intellectuelle et morale. Par ailleurs, la pureté du sang doit déterminer la hiérarchie raciale, et s'oppose au métissage qu'il considère comme une menace de dégénérescence contribuant au déclin des civilisations. Cependant, même si Gobineau met en valeur le principe de hiérarchie raciale, on reste assez éloigné de l'idéologie nazie. En effet, celui-ci prônait une théorie élargie des races, avec les Indo-Européens comme êtres supérieurs, donc comprenant les Celtes, les Latins, les Anglo-Saxons, ... . En parallèle, il ne définit pas les Tziganes et les Juifs comme des dangers permanents.
Cependant, la conception d'"espace vital", c'est à dire de Lebensraum, apparait en Allemagne de la plume d'un dénommé Friedrich Ratzel. Partisan du darwinisme concernant l'évolution des espèces, Ratzel va publier Géographie politique en 1897. Il explique que l'Etat subi les mêmes influences que toute vie et que ce sont les bases de l'extension des hommes sur la terre qui déterminent logiquement l'extension de leurs Etats. Malgré tout, cette pensée est avant tout influencée par les idées de Darwin selon laquelle chaque être vivant, animal et végétal, se développe selon le milieu naturel dans lequel il évolue. Par conséquent, chaque race doit selon lui évoluer à l'intérieur d'un espace vital qui lui est propre et que la nature a fixé : "Les frontières ne sont pas à concevoir autrement que comme l'expression d'un mouvement organique et inorganique". Toutefois, il faut replacer le contexte. Ratzel souhaitait sans doute justifier et promouvoir l'existence d'une Allemagne unifiée. De plus, cette jeune nation voulait à l'époque concurencer la Grande Bretagne et la France dans la colonisation du globe. Ratzel n'était pas indifférent à ce phénomène et soutenait que les peuples primitifs (Naturvölker) de l'Afrique, Océanie et des îles s'opposent par leurs traits aux peuples évolués (Kulturvölker) de l'Ancien et du Nouveau Monde. Par conséquent, ces derniers avaient pour lui naturellement le droit d’occuper les territoires des premiers. Par la suite, la conception d'espace vital sera repris plus tard par les fondateurs de l'idéologie nazie.
Par la suite, un Allemand d'origine anglaise va développer les théories de Gobineau et les associer avec certaines idées de Ratzel, Houston Stewart Chamberlain (1855-1927). Natif de Portsmouth en Angleterre, Chamberlain a passé la majeure partie de sa vie dans des pays germaniques. Il fit des études à Vienne, s'installa en Allemagne en 1885, puis se maria avec Eva en 1908, qui n'est autre que la fille du compositeur Richard Wagner. En 1916, celui-ci obtint la nationalité allemande et milite en faveur du IIème Reich contre la France et l'Angleterre, son pays d'enfance. Mais Chamberlain s'est surtout fait connaître pour son ouvrage Les Fondements du xixe siècle (Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts) publié en 1899, puis traduit en anglais en 1911. En s'inspirant de Gobineau, il met en valeur l'idée de pureté raciale, et affirme la supériorité du peuple allemand qui serait issu d’une souche teutonique ou aryenne dominante. Mais au contraire du Français, l'Allemand pense que le peuple Juif et le peuple Tzigane sont des dangers pour la survie de la civilisation. Il va avoir un grand succès en Allemagne. Après la Grande Guerre et le traumatisme de la défaite allemande, ses théories seront reprises par la Ligue Pangermaniste (Alldeutscher Verband). Cette organisation a été fondée en 1891 à Berlin sous le nom de Ligue Générale Allemande, puis sera réorganisée sous le terme de Ligue pangermaniste en 1894 par Ernst Hasse. La Ligue va propager ses théories par des tracts, des livres et des conférences, et se réfère essentiellement aux idées de Chamberlain. Elle va défendre l’idée de race (Volkstum) et veut faire prendre conscience aux ressortissants allemands d’une unité culturelle germanique transcendant les frontières. Cette idée va s'additionner à la théorie de la "Grande Allemagne", et elle trouve un écho favorable chez les Allemands d’Autriche et les Sudètes de Tchécoslovaquie. Des hommes politiques viennois, comme Karl Lueger et Georg von Schönerer, vont y adhérer en professant leurs idées pangermanistes et racistes. La volonté d'une "Grande Allemagne" sous l'influence du pangermanisme va être mis en avant en 1911 par l'intermédiaire de Otto Richard Tannenberg. Auteur de La plus grande Allemagne, quelques-uns de ses arguments deviendront politique d'Etat, comme ce passage : "Quelle situation pitoyable que la nôtre, si l'on considère que pas moins de 25 millions d'allemands, c'est-à-dire 28 pour cent de la race, vivent au-delà des limites de l'empire allemand ! C'est là un chiffre colossal, et un fait pareil ne saurait se produire dans un autre État quelconque sans susciter la plus vive indignation de tous les citoyens et l'effort le plus passionné pour remédier au mal sans plus attendre. [...] Qui pourrait empêcher 87 millions d'hommes de former un empire, s'ils en faisaient le serment ?" Le pangermanisme est l'une des bases du national-socialisme. Les annexions de territoires abritant des populations germaniques (Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne) durant les années trente servirent de prétexte à la réalisation des ambitions pangermanistes de l’Allemagne nazie : constituer une « Grande Allemagne » en Europe. En parrallèle, les nazis tentèrent de s'appuyer sur des scientifiques pour prouver leur théorie. L’anthropologue et raciologue Hans Günther reprit aussi les idées de Gobineau sur l‘inégalité des races, tout comme l’avait fait Chamberlain. Il publia notamment Les peuples de l’Europe (Kleine Rassenkunde Europas) en 1924 et fut l‘un des plus célèbres raciologues du IIIème Reich. L’un de ses élèves les plus connus était Bruno Beger qui devint également anthropologue. Celui-ci travailla notamment au RuSHA (Bureau pour la race et la population) à partir de 1934, ainsi qu’à l’Ahnenerbe (qui signifie Héritage Ancestral en français) qui fut une organisation crée le 1er juillet 1935 par Heinrich Himmler et qui avait pour but était de prouver la validité des hypothèses sur la supériorité raciale des « Aryens ». Beger participa même à une expédition en 1938 afin de recueillir des informations sur les origines et le développement de la race aryenne dans cette région. Durant la Seconde Guerre mondiale, il tenta de récupérer des squelettes afin de créer une collection anthropométrique servant à l'identification des juifs. Cependant, la théorie pangermaniste n'aurait jamais pu s'imposer si elle n'avait pas été soutenue par des sociétés secrètes, dont la plus importante était l'ordre de Thulé.
L'influence de Thulé
L’ordre de Thulé est sans aucun doute l’une des sociétés secrètes la plus influente dans l’Allemagne du début du XXème siècle. Son nom vient de l’Ultima Thulé, contrée mythique du Grand Nord située dans plaine entourée de montagnes de glace et appartenant au continent disparu Hyperborée. Ce territoire aurait sombré dans la mer, alors que l’Ultima Thulé était le berceau de la race aryenne, composée d’humains blonds aux yeux bleus. Quelques rares survivant auraient échappé au cataclysme. Cette histoire qui n'est qu'une légende est néanmoins à l’origine d'un mythe grec et a été mentionnée pour la première fois par l'explorateur du -IVème siècle Pythéas de Massalia (Marseille), à travers son ouvrage De l'Océan, ouvrage qui a aujourd'hui disparu. Néanmoins, plusieurs auteurs antiques vont l'évoquer, notamment l'historien Hécatée d'Abdère (fin -IVème siècle) qui va consacrer un ouvrage sur Les Hyperboréens, ou encore le poète Virgile (-70 à -19), dans son œuvre l’Enéïde. Cependant, l'ordre de Thulé était à la base une organisation d'études ethnologiques s'intéressant surtout à l'Antiquité germanique. Après la fondation du groupe en 1912, la confrérie se fit d’abord remarquer en publiant une œuvre de quatre volumes intitulée Prose et poésie de l’Antiquité nordique (Altnordische Dichtung und Prosa), sous la direction du professeur Félix Niedner. Cependant, plusieurs membres furent tués durant la Première Guerre Mondiale. Après la Grande Guerre, l'association se reforma mais prit une nouvelle orientation, notamment sous l’influence du professeur et historien Paul Rohrbach qui écrivit plusieurs livres consacrés au pangermanisme. Le 17 aout 1918, ce groupe de recherche devint alors une société secrète après sa fondation par le baron Rudolf von Sobotendorff. Diffusée à Munich, ville qui fut le berceau du nazisme, Thulé prôna le paganisme, le racisme et l'antidémocratie. De plus, son symbole, la croix de Wotan (dieu pré-germanique), ressemble fortement à la croix gammée. Paul Rohrbach a eut un impact important pour avoir fait entrer un certain Karl Haushofer dans l’organisation, et lui en confia même la direction. Général et diplomate, Haushofer va reprendre la théorie du Lebenscraum de Ratzel. c’est-à-dire de l’idée d’un espace vital nécessaire à l’épanouissement de la race aryenne. Pour lui, le monde doit être divisé en zones d'influences ne devant pas être exclusivement déterminées par l'arbitraire de l'humain, mais elles renverraient à une base conforme à la nature qui en serait l'expression directe. Par conséquent, l'espace vital devient l'élément clef de sa thèse. Chaque peuple doit s'affirmer à l'intérieur d'une zone déterminée selon des dispositions naturelles puis doit s'y développer. Et s'il veut maintenir et améliorer son développement, il doit recourir à une politique étrangère adaptée à ses objectifs. Malgré tout, il y a une différence importante par rapport à la théorie de Ratzel évoquée ci-dessus. Si ce dernier a crée ce principe d'espace vitale, c'était dans le cadre d'une unification de l'Allemagne et de sa potentielle domination sur les peuples moins avancés. La géopolitique de Haushofer était essentiellement anti-impérialiste, dans le sens où elle s'opposait aux menées conquérantes des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes. En effet, selon lui, ces dernières empêchaient le déploiement harmonieux des peuples qu'elles soumettaient et divisaient inutilement les continents. Séduit par les idées panasiatiques et paneuropéennes, le théoricien entendait dépasser les nationalismes et voulait contribuer, par ses écrits, à l'émergence de « grands espaces continentaux » formés de nations solidaires. Par ailleurs, il souhaitait la collaboration des Européens, des Russes et des Japonais dans une grande alliance eurasienne, mais fermée aux influences anglaise et américaine. Malgré tout, il ne faut pas oublier qu'Haushofer n'a jamais intégré le parti nazi et était marié à une juive, mais les partisans d'Hitler reprirent ses idées pour les appliquer à leur doctrine. L'un des premiers adhérants à cette théorie du Lebenscraum fut le dignitaire nazi Rudolph Hess, qui estimait que, conformément à l'idée d'Haushofer, l'Europe devait être partagé entre les Germains et les Anglo-Saxons. Hess était influencé par l'occultisme et la magie noire, et demandait souvent l'avis des astrologues avant de prendre des décisions importantes. Le plus réputé de ces "conseillers" était un certain Eric-Jan Hanussen, organisateur de soirées initiatiques et qui accordait des entretiens avec des responsables nazis, en échange d'une forte somme. Par ailleurs, Hitler reprit une autre idée de ce groupe, le salut de Thulé "Salut et victoire" ("Heil und Sieg"), qu'il transforma en "Sieg Heil". Comme autre membre influant, on peut rappeler le théoricien Dietrich Eckart qui va faire entrer Alfred Rosenberg. Ce dernier publiera Le Mythe du vingtième siècle en 1930, dans lequel il affirmera que la race détermine l'évolution culturelle et scientifique des civilisations tout en rappelant la supposée supériorité raciale des Germains, issue de la "race des seigneurs" de l'Ultima Thulé. Paradoxalement, l'ordre de Thulé va décliner en parallèle à la montée en puissance du national-socialisme durant les années 1930. Enfin, un décret de 1937 interdira toutes les organisations franc-maçonnes, dont Thulé faisait partie. Néanmoins, celle-ci a eu incontestablement une influence considérable envers les nationales-socialistes. D'autres sociétés secrètes avaient influencé les nazis, notamment l'Ordo Novi Templi et le Golden Dawn qui pratiquaient le culte de la mort et de la pureté de la race.
Le nazisme n'est pas né du jour au lendemain. Il a au contraire été l'aboutissement d'un long processus intellectuel qui s'est déroulé sur plus d'un siècle. Nous avons pu constater que le nationalisme allemand était à l'origine de ce processus, puis qu'il s'est développé pour donner naissance au pangermanisme, prônant le souhait d'un Etat composé de tous les peuples issus de la "race germanique", tout en rejetant les "races impures". Cette idéologie s'est ensuite incrustée dans des organisations maçonniques, dont l'ordre de Thulé qui était de loin la plus importante. Ces sociétés ont profondément influencé le parti National-Socialiste. Ainsi est né le nazisme.