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6 décembre 2008 6 06 /12 /décembre /2008 13:50

Le coup d'Etat de Laval contre Pétain, évènement volontairement oublié de nos contemporains, va marquer un changement radical de politique vis-à-vis de l'Allemagne nazie. En effet, alors que les évènements de 1942 montrent une certaine résistance face à la volonté allemande de déporter les juifs de France, on va s'apercevoir que Vichy va de plus en plus accepter les exigences de l'occupant. L'évènement étudié dans ce thème marque donc une rupture avec les moments précédents.

 

La fin d'une certaine souveraineté

 

Le 11 novembre 1942 à 7 heures du matin, La Wehrmacht franchit la ligne de démarcation et envahit le sud de la France. C'est la panique générale à Vichy, même si cette action était attendue puisque les Américains avaient débarqué en Afrique du Nord. Pétain va protester "solennellement contre des décisions incompatibles avec les conventions d'armistices." De plus, on sait que celui-ci va s'efforcer de faire un double jeu, diverses sources le confirment, évoqués dans le thème "Pétain a t'il fait double jeu à Vichy ?" Malgré tout, celui-ci va s'attacher à conserver une collaboration : "Je suis attaché à la nécessité d'une entente de tous les pays d'Europe. Nous ne pouvons pas nous bouder indéfiniment. C'est intérêt de nos pays. Je suis tout acquis à cette collaboration, conciliation que nous pratiquerons avec toute notre loyauté. Maintenant quelques difficultés. Il y a deux ans et demi que nous sommes en armistice. Nous avons attendu dans la nuit, sans espoir, les pourparlers deviennent très difficiles à conduire, c'est même douloureux pour moi. J'implore un peu de pitié. J'espère que nous ferons le plus de chemin possible ensemble. Je peux signaler que l'Allemagne a eu quelque avantage économique. Je vous demande de faciliter ma tâche douloureuse et difficile. Je donnerai à M. Laval toutes les possibilités de travailler" (Visite du maréchal Von Rundstedt du 11 novembre 1942). Il ne faut pas oublier que, comme les autorités allemandes avaient envahi tout le territoire métropolitain, l'Etat Français était censé disparaître. Pétain voulait certainement faire contrepoids et obliger les Allemands à préserver son autorité sur le territoire national. Néanmoins, cet entretien illustre les difficultés qu'éprouve Pétain vis-à-vis de ses relations avec les nazis, qui semble désespérer à l'idée de trouver des compromis. Par contre, si on se réfère à la dernière phrase,  "Je donnerai à M. Laval toutes les possibilités de travailler", on peut se demander si le Maréchal est pret à entrer vers la voie du collaborationnisme, comme le souhaitait Laval ? On va s'apercevoir, par des preuves, que ce n'est pas le cas.

 

La montée progressive de Laval au pouvoir

 

Déjà, l'acte constitutionnel n°11 du 18 avril 1942, signé par Pétain avec la pression des Allemands, donne des pouvoirs exceptionnels à Pierre Laval, c'est-à-dire le poste de chef de gouvernement avec la direction des ministères de l'Intérieur, des Affaires Etrangères, et de l'Information. D'une certaine façon, il y avait deux n°1 à Vichy depuis avril, Pétain et Laval, chacun ayant leurs propres fonctions. Il est malheureux de constater que peu de personnes et même d'intellectuels se souviennent des conflits intérieurs qui avaient animé le Régime de Vichy, entre le débarquement américain en Afrique du Nord et le coup d'Etat officieux de Pierre Laval. En effet, le docteur Bernard Ménétrel, le confident du Maréchal Pétain, va réaliser un ensemble de compte rendus, rédigés de sa main, dans lesquels il va démontrer les tensions, d'une part entre les différents membres de l'Etat Français, et d'autre part vis-à-vis du Reich (la majorité de ces écrits sont cités par Louis Noguères dans Le véritable Procès du maréchal Pétain [Fayard, 1955] et par Bénédicte Vergez-Chaignon dans Le docteur Ménétrel [Perrin, 2001], tandis que d'autres sont aujourd'hui présents aux Archives Nationales). Il nous permettra de savoir notamment si Pétain voulait entrer dans la voie du collaborationnisme. Dans son compte rendu de la journée du 11 novembre 1942, il va montrer la volonté du Maréchal de maintenir l'Etat Français, qui poursuit ce qu'on a dit précédemment : "Si l'opinion publique se détache de moi, c'est l'anarchie. Mon prestige vous est nécessaire. Il faut que je puisse rester, sans cela, l'Allemagne ne trouverait plus rien devant elle. Hitler aurait pu s'arranger, si, dès le début, on avait pu prendre le parti de s'entendre. Cela peut très bien être réparé. Il faut que vous acceptiez mes petits procédés, protestations ..." (Déclaration du Maréchal à Otto Abetz, citée par Bernard Ménétrel dans Journée du 11 novembre). Ce qui est intéressant dans cette déclaration, c'est que Pétain tente de tenir  tête aux Allemands en leur expliquant que son départ pourrait entraîner une révolte que l'occupant n'arriverait pas à contrôler. Il est vrai qu'à cette époque, la grande majorité des Français était encore attachée au Maréchal. Mais les menaces eurent sans doute un effet face aux nazis puisque ces derniers semblèrent avoir manifestés quelques craintes, selon les sources que j'ai retrouvé. En effet, même si les nazis souhaitaient contrôler le territoire français, comme tous les Etats d'Europe, ils ne supprimèrent pas le Régime de Vichy alors qu'ils en avaient largement les moyens. De plus, il faut déjà rappeler que les Américains venaient de débarquer en Afrique du Nord et l'armée française avait manifesté assez peu d'opposition. Il est fort probable que les Allemands eurent peur que les soldats de Pétain, dont ceux d'Afrique du Nord, entrent en guerre au côté des Alliés (ce qu'ils feront néanmoins quelques jours plus tard). Cependant, le 12 novembre 1942, le général Weygand, l'un des hommes les plus influent en Afrique du Nord, est arrêté par la Gestapo sur les ordres d'Himmler. Selon Otto Abetz, Pétain va tenter en vain de le faire libérer en leur faisant croire que "l'annonce de l'arrestation de Weygand entraînerait largement dans la dissidence toutes les troupes françaises d'Afrique du Nord" (télégramme d'Abetz au ministère allemand des affaires étrangères, le 13 novembre 1942, cité par Bénédicte Vergez-Chaignon, Le docteur Ménétrel, Perrin, 2001, p. 209, et présent aux Archives Nationales, 3 W 348). Malgré tout, ses protestations resteront sans effet.

A l'intérieur du gouvernement français, un complot se dessine contre Pétain. Alors que l'amiral Darlan devait être le successeur du Maréchal si celui-ci disparaissait, Mario Jardel, qui était le secrétaire du chef de l'Etat, va tenter en vain de le convaincre de la nécessité que le Conseil des ministres puisse assurer sa succession : "M. Jardel suggère au Maréchal que ce soit le Conseil des ministres qui assure la succession au cas où ..." (Bernard Ménétrel, Journée du 13 novembre 1942). Pétain va refuser, ce qui est logique puisque certains ministres de l'époque, dont Laval, lui avaient déjà été imposé en avril 42 par les Allemands. Jusqu'à ce moment, ses possibles successeurs étaient majoritairement des militaires, ainsi que quelques rares hommes de confiance tels que Pierre Etienne Flandin. De plus, selon Ménétrel, Jardel aurait déclaré qu' "il faut reconnaître Darlan, surtout pour éliminer Giraud et empêcher le gaullisme" (Bernard Ménétrel, Journée du 13 novembre 1942, cité par Bénédicte Vergez-Chaignon, Le docteur Ménétrel, Perrin, 2001, p. 209, et présent aux Archives Nationales - 3 W 348), une phrase qui est importante car il ne faut pas oublier que les Américains traitaient avec l'amiral en Afrique du Nord mais préféraient Giraud pour les questions militaires, car ce dernier souhaitait que Vichy soutiennent publiquement les Anglo-Américains. Une partie du gouvernement français était donc hostile à l'entrée en conflit des Américains contre le Reich, car le régime Français devait alors prendre obligatoirement position pour l'un des deux camps. Grâce aux témoignages des ambassadeurs Américains, tels que Tuck, ou encore de chefs militaires tels le général Noguès, on connaît la position complexe du maréchal Pétain vis-à-vis des Alliés (Je vous conseil vivement de voir l'article "Pétain faisait-il double jeu à Vichy ? Partie 3 : Le Maréchal face à l'Opération Torch" http://realite-histoire.over-blog.com/article-petain-faisait-il-double-jeu-a-vichy-2--37749432.html). Mais quelle était la position du reste du gouvernement ? On sait par Ménétrel que Pierre Laval, l'homme qui a dit "je souhaite la victoire de l'Allemagne", va tenter de convaincre Pétain d'un rapprochement avec l'Allemagne tout en lui retirant la responsabilité : "J'accepte toutes les responsabilités quelles qu'elles soient et que vous, Monsieur le Maréchal, vous en soyez dégagé". Laval était même prêt à prendre la responsabilité de l'entrer en guerre au côté de l'Allemagne. Pétain, à la dérive depuis son isolement suite à l'enlèvement de Weygand et par son vieil âge (86 ans), aurait été favorable à une passation de pouvoir, si on en croit le confident de Pétain "Le Maréchal accepterait de consentir à cette sorte d'abdication s'il y avait des compensations favorables à la France de la part des Allemands" (Bernard Ménétrel, Journée du 16 novembre 1942, cité par Louis Noguères, Le véritable Procès du maréchal Pétain, Fayard, 1955, p. 508-509). Son docteur va affirmer que sa santé et le surmenage qu'il subissait ne pouvaient lui permettre de prendre une décision lucide : "L'état de santé du Maréchal ne lui permet pas provisoirement de prendre toutes les décisions urgentes que nécessite la situation" (Archives Nationales - 2 AG 617, cité par Bénédicte Vergez-Chaignon, Le docteur Ménétrel, Perrin, 2001, p. 211). Etait-ce une manière de s'opposer à la prise de pouvoir de Laval ? Selon l'historien Lottman "Son visage de marbre, rapporte le garde des Sceaux [Joseph Bathélémy], est ce coup-ci parsemé de taches rouges. Ses traits sont creusés et tirés [...], il ne cherche pas à dissimuler son émotion" (Herbert Lottman, L'Epuration, Fayard, 1986, p. 449). Néanmoins, il semble que le Maréchal n'ai pas perdu toute sa tête puisqu'il avait envisagé un compromi : "Il est clair que le Maréchal envisageait une formule qui, en quelque sorte, permettrait de céder sur ce point aux Allemands pour pouvoir éluder la principale demande qui était celle de la constatation de l’état de guerre. On cherche longuement une formule qui affirme à la fois la confiance du Maréchal vis-à-vis du Président [Laval], et réciproquement. L’idéal serait de céder aux Allemands sur Laval, tout en sauvegardant les pouvoirs du Maréchal [et donc de n'être pas en état de guerre contre les Alliés]." (Bernard Ménétrel, Journée du 17 novembre 1942, repris par Marc Ferro dans Pétain, Hachette, 2009, p. 450). Il aurait même menacé de démissionner. Ferro indique que Krug von Nidda avait informé Otto Abetz que Pétain aurait déclaré au Conseil des ministres qu’il était fatigué et qu’il souhaitait se retirer. Laval s’y serait opposé et aurait à son tour menacé de se retirer si le Maréchal le faisait, sans doute parce qu'il comptait se servir de l'image de ce dernier pour appliquer sa politique. Puis "Laval a demandé les pleins pouvoirs pour ne pas passer des heures entières, chaque fois, à convaincre tel ministre du Maréchal ou le Maréchal lui-même. On renverra Auphan et on le remplacera par Abrial ou Leluc." (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 451). Malgré tout, celui-ci va bénéficier du soutien de sa femme, Eugénie Pétain, qui va aussi s'en méler en attaquant Laval : "Celle-ci avait voulu rencontrer le président du gouvernement pour lui dire qu'elle redoutait l'usage qu'il ferait des pouvoirs qu'il voulait se faire remettre. Mais elle lui a dit aussi qu'elle a eu un mouvement de reconnaissance à son égard parce qu'il voulait décharger le Maréchal d'une responsabilité grave [...] Mme Pétain a ce matin fait une longue sortie en n'acceptant rien de ce qu'est présenté au Maréchal." (Bernard Ménétrel, Journée du 17 novembre 1942, cité par Louis Noguères, Le véritable Procès du maréchal Pétain, Fayard, 1955, p. 512-514). Alors que le Maréchal ne semblait pas être apte à prendre des décisions, le témoignage écrit de Ménétrel concernant Eugénie Pétain confirme la volonté de Laval d'en profiter et de prendre les pleins pouvoirs,  afin de réduire le Maréchal à une simple image de propagande. La femme du Maréchal n’était pas la seule à s’opposer au transfert de pouvoirs. Le garde des sceaux Joseph Barthélemy s’est aussi manifesté ce 17 novembre : "En vérité, Barthélemy, à la demande du Maréchal qui cherchait tous les moyens et prétextes pour refuser ces pouvoirs à Laval, avait rédigé un mémorandum où, juridiquement, il prouvait que le maréchal Pétain ne pouvait valablement transmettre de tels pouvoirs à Laval, ce qui avait exaspéré Laval contre le Maréchal et Barthélemy dont il avait dit qu’"il n’avait fait qu’un papier d’avocat"." (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 451). 
 

Les pleins pouvoirs à Laval

 

Un quotidien proche de Pierre Laval, Le Moniteur, va titrer la une du 18 novembre 1942 les "Pleins pouvoirs", et explique :

"En raison des circonstances exceptionnelles
Et pour lui permettre de faire rapidement
Face au difficultés
Le Maréchal Pétain, chef de l'Etat
A décidé de donner les pleins pouvoirs
Au président Laval."
(Bénédicte Vergez-Chaignon, Le docteur Ménétrel, Perrin, 2001, p. 212-213, note rédigée par Paul Marion, secrétaire d'Etat à l'Information, et destinée à être publiée dans la presse*)
* N'oublions pas qu'un journal publie toujours des évènements concernant la veille, il ne peut publier des faits concernant le jour même !

Après l'avoir découvert, Pétain laisse éclater sa colère et va même exiger la démission de Marion. Selon Angelo Tasca (Vichy 1940-1944, archives de guerre, CNRS, 1986), le docteur Ménétrel aurait tenté de défendre en vain le secrétaire d'Etat à l'Information (anecdote signalé Par Bénédicte Vergez-Chaignon, Le docteur Ménétrel, Perrin, 2001, p. 212-213). Une interception téléphonique entre deux journalistes du Petit Parisien, l'un à Vichy et l'autre à Paris, illustre les tensions au sein du Régime de Vichy :
"- Tu as vu mon papier sur le Maréchal ?
  - Oui, très bien !
  - Et bien, j'ai tout simplement réussi à me faire engueuler par le charmant docteur; il n'en rate pas une pour trouver un prétexte pour vous engueuler. J'avais écrit que le Maréchal devait parler ce soir ; tu parles si c'est grave ! Tout le monde savait ! Il trouve à critiquer et à gueuler sur tout ce qu'on fait, c'est à vous dégoûter. Je n'y comprend rien."

(Bénédicte Vergez-Chaignon, Le docteur Ménétrel, Perrin, 2001, p. 213, conversation téléphonique entre Véran et Algaron, 18 novembre 1942 à 20 h)

Malgré les protestations du Maréchal, la presse annonce officiellement les pleins pouvoirs à Laval. Par ailleurs, Pétain devait parler à la radio concernant cet évènement, mais refusera catégoriquement de le faire. De plus, la majorité des pétainistes de l'Etat Français n'ayant pas été renvoyés en avril 42 vont alors progressivement démissionner, car ils sont totalement opposés à l'obtention des pouvoirs de Laval ainsi qu'à sa politique. C'est le cas par exemple de l'amiral Auphan, ancien chef d'état-major des forces maritimes et
secrétaire d'Etat à la Marine, qui quitte ses fonctions le 17 novembre 1942, mais qui restera malgré tout en contact avec le Maréchal ; ou encore de l'intellectuel Joseph Bathélémy, le garde des Sceaux, qui partira en mars 1943. Par ailleurs, les Allemands reconnaîtront davantage Laval comme le véritable chef du territoire métropolitain, même si le vieil homme va garder son poste de Chef de l'Etat Français. Désormais, Pétain est isolé et sans réel pouvoir. Il ne sera même plus tenu d'assister au Conseil des ministres et Laval demeure libre d'émettre ses propres lois et de signer seul les décrêts. Joseph Barthélémy avouera même que "Désormais, le Maréchal était comme un organe superflu dans le fonctionnement des affaires de l'Etat" (Joseph Barthélémy, Vichy 1941-1943, Paris, Pygmalion, 1989, p. 133). Cependant, il refusera toujours de quitter son poste et tentera de faire contrepoids face à Laval et les Allemands. André Lavagne constatera que "Le Maréchal veut s'accrocher à son autorité, à l'exercice extérieur de ses anciennes prérogatives" (Carnets d'André Lavagne, 19 novembre 1942, également cité par Jean-Raymond Tournoux, Pétain et la France, Plon, 1980 p. 435). Par les actes constitutionnels n° 12 et 12 bis du 17 et du 26 novembre 1942, Laval obtient le droit de promulguer toutes les lois et décrets, à l'exception des lois constitutionnelles. Cependant, le Maréchal avait tenté de donner des directives au chef du gouvernement à travers une lettre inamicale datée du 17 novembre 1942 :
"Par l'acte constitutionnel n°12 en date du 17 novembre 1942, je vous délègue la promulgation des lois et décrets pour une période indéterminée à laquelle je me réserve de mettre fin après discussion préalable avec vous.
Conscient de l'étendue et de la gravité de cette délégation que les circonstances imposent actuellement pour le salut du pays, je ne la consens que sous la réserve expresse que vous respecterez les trois conditions suivantes :
1° Vous n'engagerez, ni ne laisserez engager, directement ou indirectement, la France dans une guerre contre quelque puissance que ce soit. Je vous rappelle à ce sujet que, constitutionnellement, moi seul peux déclarer la guerre, et que je peux le faire sans l'assentiment préalable des Assemblées législatives (Acte constitutionnel N°2 du 11 juillet 1940, article 1er, paragraphe 9).
Vous ne constaterez pas davantage un état de belligérance entre la France et une nation ou une nation ou une puissance militaire quelconque.
2° Soucieux de remplir à l'égard de tous les Français les devoirs que l'humanité et l'honneur national imposent, vous garantirez notamment la sécurité personnelle et matérielle absolue des Alsaciens-Lorrains et des détenues politiques.
3° Vous respecterez les traditions spirituelles de la France en protégeant de toute atteinte notamment les convictions religieuses et philosophiques, l'exercice du culte, les droits de la famille, les mouvements de jeunesse, le respect de la personnalité humaine, etc.
Je précise enfin que, si la délégation que je vous donne  sous ces trois conditions s'étend à toutes les lois et à tous les décrets, elle ne vous donne pas compétence pour promulguer des actes constitutionnels."
(Philippe Pétain, Actes et Ecrits, Flammarion, 1974, p. 580-581, Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 452-453).
Par lettre du même jour, Laval répond qu'il s'engagera à respecter les termes énoncer par le Maréchal. Malgré tout, on sait aujourd'hui qu'il ne respectera pas les exigences souhaitées par le Chef d'Etat.
Dans Le véritable Procès du maréchal Pétain, Louis Noguères rappelle ces trois conditions (Fayard, 1955, p. 516) :
"- interdiction d'engager ou de laisser engager directement ou indirectement la France dans une guerre contre quelque puissance que ce soit. Car conformément à l'acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940, seul le chef de l'Etat peut déclarer la guerre, avec l'assentiment préalable des Assemblées législatives ;
- garantie de la sécurité personnelle et matérielle absolue des Alsaciens-Lorrains et des détenus politiques ;
- respect des traditions spirituelles de la France, en protégeant notamment de toute atteinte les convictions et coutumes religieuses ou philosophique, à l'exercice des cultes, des droits de la famille, les mouvements de jeunesse, le respect de la personne humaine."

A ce sujet, le docteur Ménétrel exprima dans son journal sa propre pensée : "Je pense que le texte de cette lettre définissait les limites qu'il fixait à l'utilisation de ces pouvoirs, comme par exemple refuser toute cobelligérence, n'accepter aucune cession du territoire, Alsace, Lorraine, etc., lettre qui atteste de la méfiance du Maréchal à l'égard de Laval et la crainte de le voir abuser des pouvoirs qu'il n'avait donnés qu'à regret et sous la contrainte." (Bernard Ménétrel, Journée du 17 novembre 1942, repris par Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 451).

image1petainnvillavu2.jpgLe refus de quitter la métropole

Après le 17 novembre 1942, Pétain était tenu à l’écart du Conseil des ministres et Laval ne lui communiqua même plus de date. Il n’est plus informé de l’ordre du jour. Il n’a plus le pouvoir de signer les décrets, même si on l’appel encore à l’occasion, lorsque son intervention est vraiment indispensable. Selon Marc Ferro : « le Maréchal est devenu, en novembre 1942, un souverain potiche. » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 458).  Il constate que : « Il est clair que les épreuves l’ont gravement atteint et diminué. L’attentisme ne suffit plus quand, à Alger, à Berlin, à Vichy, d’autres agissent à sa place. » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 458). A partir de janvier 1944, von Renthe-Fink, l'un des rares témoins de l'entrevue de Montoire, organisera une surveillance absolue sur Pétain, au point qu'il ne sera plus libre de ses mouvements. Ferro écrit : "il doit en quelques sorte justifier de chacune de ses sorties, de ses visites, il est donc totalement prisonnier ; autour de Vichy sont disposés des corps d'armée allemands qui empêchent toute fuite et tout départ, si jamais Pétain avait envisagé cette solution." (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 525). On lui interdira même de se rendre à sa propriété de Villeneuve-Loubet, alors que l'un de ses passes temps favoris était de participer aux vendanges et à la mise en bouteille du vin blanc. L'une de ses rares activités sera de faire sa promenade matinale en compagnie de son confident, le docteur Ménétrel.

Pourtant, dès le 8 novembre 1942, on lui a proposé de rejoindre l’Afrique du Nord. Jamais il n’acceptera. Pourquoi ? On peut définir trois raisons :

-> sa mentalité

Certainement pour ne pas être assimiler à un homme politique qui ne tient pas sa parole, il tente de respecter cette promesse qu’il avait faîte aux Français en juin 1940.

Il avait notamment déclaré au général Weygand avant son arrestation, le 12 novembre 1942 : « Je ne partirai pas, je suis responsable du sort et de la vie des Français, des prisonniers, des travailleurs en Allemagne, j’ai fait le don de ma personne à la France. » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 459).

Quant son secrétaire Jean Jardel lui annonce le 11 novembre : « L’armistice est violé, le moment est venu, monsieur le Maréchal, il faut vous en aller. », Pétain lui répond : « Ecoutez Jardel, vous me connaissez, j’ai dit aux Français que je ne m’en irai pas, je ne m’en irai pas, dût à ma gloire d’en souffrir. Vous, vous pouvez partir, n’hésitez pas. Moi j’estime que ce n’ai pas mon devoir, le devoir n’est pas toujours la voie la plus facile, je suis un paratonnerre. » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 460).

Le général de Serrigny lui mit à disposition un avion et le pressa de partir. Il raconta le refus du Maréchal : « Le Maréchal resta d’abord inerte, puis finit par répondre :

- On m’a dit qu’à mon âge et dans mon état de santé, un voyage en avion à haute altitude serait fatal.

- Ce n’est pas une raison pour vous y refuser, il y a toujours un risque, si vous mouriez vous rejoindriez Jeanne d’Arc dans l’Histoire. […] C’est triste à dire, mais la France ne perdrait rien dans cet accident.

- Je ne peux pas partir parce que j’ai promis aux Français de rester avec eux quoi qu’il arrive. » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 459).

Envers le prince Sixte de Bourbon-Parme, il tient le même genre de discours : « Je resterai entre l’enclume et le marteau, un maréchal n’abandonne jamais son armée, il la sauve ou il meurt avec elle. » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 459).

-> préserver la métropole

Au général Revers, Pétain mentionne un autre argument : « Si je m’en vais, je serai remplacé par Déat, ou un Gauleiter qui déclarera la guerre aux Anglais et aux Américains, et ça, je ne le veux pas. » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 459).
Et le 12 novembre, il expliquait au général Conquet : "Je ne pars pas. Je veux avant-tout m'efforcer de protéger les Français. Je voudrais être un jour le médiateur entre les partis." (Alfred Conquet, Auprès du Maréchal, Editions France-Empire, 1970, p. 368). 

Sisley Huddleston, un proche du Maréchal, confirma aussi sa volonté de rester en France le 12 novembre, quoi qu’il advienne, car il craignait beaucoup la mise en place d’un gauleiter en métropole : « Pétain posa la main sur mon bras et ajouta : […] Ma tâche est ici, quelles qu’en soient les conséquences pour ma personne ; je dois sauver les Français du pire qui peut leur arriver, si un Gauleiter était nommé, sans qu’il y ait plus d’intermédiaire » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 457). Il est intéressant de constater que la vie du peuple français comptait plus que ses ambitions personnelles. L’homme qui s’est exclamé « Je suis la France !», c’est-à-dire Charles De Gaulle, n’avait sans doute pas le même avis.

-> une raison stratégique

Il ne faut pas oublier cette raison qui est peu évoquée, mais qui ne doit pas être oubliée. Le maréchal Pétain explique au général Georges qu’un déplacement possible vers l’Afrique du Nord engendre des conséquences néfastes pour l’Afrique du Nord : « Mais si je pars, avec votre plan, c’est la bataille qui va faire rage en Afrique du Nord. C’est l’Algérie, la Tunisie, le Maroc ruinés et dévastés, ce sont nos ports magnifiques d’Alger et de Tunis, Oran, Casablanca, réduits en cendres … » (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 459). Il craignait que le départ de sa propre personne engendrerait l’intensification des combats, ne servant pas réellement les intérêts de la France mais plutôt la ruinant.


Même si Pétain n'aura plus une grande influence vis-à-vis de la de l'orientation politique de l'Etat Français, il faut bien avoir conscience qu'il a sacrifié son honneur en restant en France. Aujourd'hui, les historiens sont quasiment tous unanimes pour admettre que s'il avait quitté la France pour l'Afrique du Nord, comme l'avait suggéré certains de ses proches, il serait aujourd'hui considéré comme le véritable héros de la Seconde Guerre Mondiale, au même titre que lors de la Grande Guerre. Le 9 novembre au matin, il déclarait déjà devant Georges Lamirand : "Pour moi, partir, c'est la solution la plus facile ; mais je n'en ai pas le droit. La guerre, en effet, n'est pas terminée. Les Allemands vont envahir la zone Sud dans quelques jours. Le peuple de France aura de plus en plus besoin d'un écran entre lui et l'occupant. Or, je suis actuellement le seul qui soit capable de jouer ce rôle-là. Certes, l'épaisseur de cet écran va devenir de plus en plus petite, mais je crois que, pendant encore de nombreux mois, je pourrais rendre de grands services au peuple. Et c'est pourquoi je n'ai pas le droit de partir." (document manuscrit remis le 19 avril 1983 à Jean Borotra, et signalé dans plusieurs livres, notamment dans Pétain et les Américains de Jacques Le Groignec, Nouvelles Editions Latines, 1995, p. 325). C'est auprès général Lannurien qu'il a indiqué précisément ce qu'il pensait : "J'avais trois solutions : partir, rester tranquillement dans ma maison, renoncer. C'était la plus facile, la plus médiocre des solutions, la moins courageuse. Le geste aurait fait plaisir à l'amour-propre de beaucoup de Français. Quel est le lendemain ? La France était encore là. Je ne suis pas parti à Alger ? A Alger, je coiffais tous les Français, c'est une affaire entendue, et ensuite me retourner vers Hitler et lui dire : "Voilà, c'est fini, nous sommes à d'autres jeux, je reprends les armes avec mes alliés. Il reste quelque chose entre nous, quelque chose que je reprendrai un jour, dans un certain nombre d'années, je ne sais pas combien d'années, cette chose je vous l'abandonne en ce moment, faites-en ce que vous voudrez, c'est la France." Et la troisième solution ? On a amené là, dans le champ d'à côté, un avion. Serrigny est venu de Paris me presser de partir, je n'avais qu'un pas à faire, un mot à dire, je ne suis pas parti, je ne suis resté que pour la France, pour que la France vive. Vous pouvez le dire dans l'autre zone. Les Allemands pourront m'emmener de force, les Français me faire passer en Haute Cour s'ils le désirent, mais moi, tant que je serai libre, je ne partirai pas." (Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 460-461).
Comme l'a écrit Jean Pierre Azéma, pourtant assez anti-pétainiste : "Il y a gros à parier que malgré Montoire, malgré les Protocoles de Paris, malgré les "bavures" de la collaboration d'Etat[s], il eût été sacré et consacré "libérateur de territoire" et que son nom eût été donné à plus de places, avenues et lycées que n'en fût honoré feu M. Thiers." (Jean Pierre Azéma, De Munich à la Libération, Paris, Editions du Seuil, 1979, p. 204). Aujourd'hui, nos contemporains préfèrent condamner le maréchal Pétain pour des crimes qu'il n'a jamais commit, au lieu de se souvenir de son sacrifice. D'ailleurs, on ne peut pas le juger responsable pour les crimes de l'Etat Français de 1943 et 44, alors qu'il n'avait plus réellement de pouvoirs, car on verra dans l'article suivant du même thème qu'il avait fait tout ce qui pouvait pour faire contrepoids, mais tout en couvrant des actes criminels. C'est l'arrière petit-fils d'une juive que je suis qui l'a constaté.

L'appropriation des pouvoirs de Laval va marquer un changement important dans la manière de collaborer vis-à-vis de l'Allemagne. Désormais, le Régime de Vichy ne va plus collaborer avec une volonté d'obtenir des contreparties, mais avec une volonté d'adhésion avec le Reich, qui apparaissait cependant davantage comme une nécessité et non comme un souhait aux yeux des collaborationnistes français. Les principales victimes de ce changement vont être les pétainistes et les juifs de France.
Cependant, même si Pétain et Laval partageaient deux conceptions de la collaboration radicalement opposées, il ne faut pas imaginer d'une manière simpliste que ces deux acteurs seront en conflit perpétuel, tout simplement parce qu'il était indispensable pour ces deux hommes de s'entendre pour tenter de maintenir l'ordre au sein même du régime. La prochaine et dernière partie montrera la soumission de Pétain au collaborationnisme, même si ce dernier va  tenter  en vain de faire contrepoids face aux exigences allemandes, et notamment sur la question juive (http://realite-histoire.over-blog.com/article-26518930.html). A noter une chose qui me parait importante. Il ne faut pas oublier que Pétain avait reçu les pleins pouvoirs par les élus du peuple, tandis que Laval s'est emparé de plusieurs ministères et du poste de chef de gouvernement avec le soutien de l'occupant le 18 avril 1942, avant de prendre les pleins pouvoirs de manière assez forcée le 17 novembre de la même année. S'il est incontestable que l'Etat Français soit légitime entre le 10 juillet 1940 et le 18 avril 1942, il est beaucoup plus contestable de le considérer comme légitime après le 18 avril 1942 et surtout après le 17 novembre 1942.

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