Le 24 décembre 1942, c'est-à-dire à la veille de Noël, François Darlan revient de l'hôpital d'Alger afin de voir son
fils malade. En rentrant à son bureau, le jeune aristocrate Fernand Bonnier de La Chapelle abat froidement de deux balles ce principal représentant de Pétain en Afrique du Nord. Mais n'ayant eu
le temps de s'enfuir, l'homme de 20 ans est immédiatement neutralisé. Malgré le procès ultra-rapide et son exécution au bout de seulement deux jours, les policiers ont tenté de connaître les
véritables cerveaux de l'opération. Les aveux du meurtrier, peu connu de la population française, vont pourtant nous donner une réponse sur le sujet.
Acteurs et préparation de l'assassinat
Après son arrestation, Fernand Bonnier est conduit directement au commissariat central de la police judiciaire de la ville d'Alger. Il va être interrogé par les commissaires
Garidacci et Esquerré, et après avoir seulement quelques heures après le début de son interrogatoire, celui-ci va rapidement avouer son crime ainsi que ses relations:
"Je dois vous dire que j'allais tous les jours au domicile de M. Henri d'Astier, comme chargé de liaison du Corps franc. Dans ce Corps franc, nous avions
formé entre nous un groupe de "durs", que nous appelions le "groupe d'Hydra". M. d'Astier ignorait ce détail. C'est le colonel Van Hecke qui m'avait désigné pour cette liaison. M. d'Astier me
recevait fort bien, parlait de moi et m'avait présenté à ses deux filles, qui étaient très gentilles. Je n'étais pas du tout monarchiste, je n'y pensais même pas! Au cours de nos conversations,
M. d'Astier me montrait que la seule solution pour que la France voie s'ouvrir devant elle un avenir brillant était un retour à la monarchie, régime dont il me faisait l'éloge. Ces conversations
ont duré environ un mois. Vers le 20 décembre, tant M. d'Astier que l'abbé Cordier, qui habitait chez M. d'Astier, me firent comprendre que le seul obstacle à l'arrivée en France de cet avenir si
favorable était la présence de l'amiral Darlan à la tête du gouvernement. Progressivement, j'ai compris que ces messieurs recherchaient un jeune homme courageux, convaincu de la grandeur de sa
mission, qui accepterait d'accomplir une action historique: faire disparaître l'amiral. Je me suis présenté spontanément comme celui qui serait capable de mener à bien cet acte d'épuration. Car,
en réalité, sous ses allures de patriote, Darlan était inféodé aux Allemands. A cette époque, il y eut beaucoup de remue-ménage chez M. d'Astier, causé par des visites mystérieuses, et on me fit
comprendre que la disparition de l'amiral était urgente. On fixa le 24 décembre 1942, veille de Noël, pour l'exécution. L'abbé Cordier me donna rendez-vous le 24 au matin dans une petite rue,
près de l'église Saint-Augustin, où il disait la messe. Je m'y rendis et il me dit qu'il était nécessaire que je me confesse avant d'agir. Et qu'au nom de Jésus-Christ il me donnerait
l'absolution. Tout en marchant, il m'invita à faire ma confession. J'avais à peine esquissé un signe de croix que l'abbé me dit: "Voici les plans du Palais d'Eté, où se trouvent les bureaux de
l'amiral." Il m'expliqua le procédé à employer pour pénétrer dans les bureaux et l'endroit où je devais me poster. Il me remit un revolver de gros calibre, chargé, et m'invita à confesser ce que
j'allais faire puis me donna l'absolution. Mes camarades disposaient d'une automobile de marque Peugeot, que conduisait l'un d'entre eux, nommé Mario Faivre. Ils décidèrent de me conduire avec ce
véhicule jusqu'aux grilles du Palais d'Eté. Il était environ onze heures trente lorsque je pénétrai sans difficulté dans le palais, près des bureaux. Je me fixai à l'endroit décidé par l'abbé. Je
n'ai rien pu faire, car j'ai vu de loin l'amiral partir. Après mon retour, j'ai été invité au restaurant "Le Paris" à déjeuner par M. d'Astier et l'abbé, qui m'ont encouragé à ne pas modifier ma
ligne de conduite. L'après-midi vers quinze heures, mes camarades sont venus me reprendre avec la même automobile. Nous étions toujours quatre : le fils d'Astier, Sabatier, Mario Faivre et moi.
Ils m'ont conduit au même endroit. Je me suis placé à l'endroit fixé et, dès l'arrivée de l'amiral, j'ai pu accomplir la mission dont j'étais chargé." (Albert-Jean Voituriez,
L'affaire Darlan, l'instruction judiciaire, Editions Jean-Claude Lattès, 1980).
Parmis ses principales relations, on peut déjà citer Henri d'Astier de la Vigerie. A l'intérieur de la richissime famille d'Astier de la Vigerie, il y trois frères,
Henri, Emmanuel et François qui vont tous avoir un rôle important en Afrique du Nord. Ils sont issus d'une famille monarchiste et ont des bonnes relations avec le comte de paris,
l'héritier au trône de France, mais ont aussi des relations étroites avec Charles de Gaulle. D'ailleurs, l'un d'entre eux, le général François d'Astier était en mission à Alger du 19 au 22
décembre, où il fut chargé d'étudier la situation et de préparer la venue du général de Gaulle en Afrique du Nord, alors que Darlan qui dirigeait ce territoire avait refusé de le voir. On
sait que celui-ci avait rencontré son frère Henri durant cette expédition éclaire. Dans la déclaration, on distingue rapidement la volonté de la famille d'Astier d'un retour à la
monarchie. Un autre personnage important est l'abbé Cordier, un monarchiste plus proche du comte de Paris que de De Gaule. D'après les aveux de Fernand Bonnier, il est certain que Henri
d'Astier et l'abbé Cordier soient impliqués dans l'affaire. Il semble même que l'abbé soit le cerveau de l'opération. Par ailleurs, on va voir que Fernand Bonnier, par les déclarations
suivantes, était entièrement manipulé.
Un jeune homme manipulé
Après la première déclaration de l'assassin, le commissaire Garidacci rédige un procès-verbal qui résume le récit de Bonnier de La Chapelle: "L'an 1942 et le 24
décembre, devant nous, Garidacci, commissaire de la police mobile, auxiliaire de M. le Procureur de la République, entendons: M. Bonnier de La Chapelle, Fernand, étudiant, 20 ans, demeurant à
Alger, 56, rue Michelet: "J'affirme avoir tué l'amiral Darlan, haut-commissaire en Afrique française, après en avoir référé à l'abbé Cordier sous forme de confession. C'est M. Cordier qui m'a
remis les plans des bureaux du Haut-Commissariat et du cabinet de l'amiral, et c'est par lui que j'ai pu me procurer le pistolet et les cartouches qui m'ont servi à exécuter la mission qui
m'était assignée et qui était de faire disparaître l'amiral. Lorsque je me suis engagé dans les Corps francs, j'ai recruté de ma propre initiative des hommes de main dont M. d'Astier aurait pu
avoir besoin, mais M. d'Astier n'a jamais été au courant de cette initiative personnelle. Je sais que MM. Cordier et d'Astier ont rencontré récemment le comte de Paris, au même titre que d'autres
personnalités. Enfin, j'ai l'impression que M. d'Astier ne vit pas en excellents termes avec M. Rigault, dont l'action auprès de l'amiral est gênante pour lui et ses amis. Lu, persiste et signe:
Fernand Bonnier de La Chapelle." (Albert-Jean Voituriez, L'affaire Darlan, l'instruction judiciaire, Editions Jean-Claude Lattès, 1980).
Si on en croit le procès-verbal, il ne fait aucun doute que le comte de Paris, héritier au trône de France, souhaitait l'assassinat de Darlan. Nous n'avons donc pas à faire à l'acte criminel
d'un fou, mais à un assassinat prémédité plusieurs jours à l'avance par l'entourage du comte et dont Fernand Bonnier n'était que la main.
Dans la matinée du 25 décembre, le père de François Bonnier, Eugène, vient voir son fils au commissariat. Alain Décaux, raconte l'évènement : "Alors, papa, tu es plus dégonflé que moi? Tu as
tort. Il faut que tu saches que j'attends du secours de gens très haut placés. - Mais, Fernand, tu ne sais donc pas ce que tu risques? - La voix de Fernand est toujours assurée: - Ceux qui vont
m'aider ce sont d'Astier de La Vigerie et le comte de Paris. C'est pour eux que j'ai agi." (Alain Décaux, Alain Décaux raconte, Editions
Perrin, 1980). Le jeune meurtrier, qui n'a pas eu conscience de ses actes, croit naïvement que ses collaborateurs vont le sauver. On sait aujourd'hui que l'histoire lui donnera tord. En effet, le
lendemain, le 26, Bonnier sera condamné à mort, sa diginité nationale sera retirée puis il sera fusillé. Cependant, il ne fut pas condamné par un crime prémédité, mais par l'acte isolé d'un
jeune exalté qui croyait faire un acte patriote. Cette condamnation déclanchera le courou de la famille du meurtrier. La raison est pourtant simple puisque le commissaire Garidacci dissimula son
procès-verbal pour s'en servir afin de résoudre Henri d'Astier à avouer que celui-ci faisait parti de ceux qui avaient commandité le crime, et si possible pour remonter jusqu'au comte de Paris.
Par ailleurs, on sait que Henri d'Astier et Cordier vont tenter de le faire libérer puisque ceux-ci vont multiplier les démarches en téléphonant sans la moindre discrétion à des hauts membres du gouvernement, sans savoir que Jean
Rigault, ministre de l'Intérieur et de l'Information, a fait placer sur écoute l'appartement d'Henri d'Astier. Ce dernier était déjà surveillé puisqu'il ne faut pas n'oublier que le
jour du débarquement américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, d'Astier avait fait capturer par surprise l'amiral Darlan et le général Juin, afin de prendre les pouvoirs en Algérie. Mais
par la pression des Américains qui voulaient traiter avec Darlan, celui fut contraint de les relâcher au bout d'une quinzaine d'heures. D'Astier n'était donc pas à sa première tentative de
prendre les pouvoirs aux pétainistes en Afrique du Nord.
Les derniers aveux
La nuit précédent son excécution, Fernand Bonnier de La Chapelle, qui se doute que ses collaborateurs ne pourront pas le sauver, va effectuer des déclarations importante et que l'on dissimule
encore aujourd'hui. Ces déclarations sont repris par le capitaine Gaulard et montre que le jeune homme n'avait pas comprit la situation et la position de Darlan : "J'ai tué l'amiral Darlan parce que c'est un traître, il vendait la
France à l'Allemagne pour son profit. […] J'ai appris qu'une personne (le général François d'Astier de La Vigerie), venant de la part du général de Gaulle, avait demandé à être reçue par
l'amiral. Le général de Gaulle était prêt à faire sa soumission si une personnalité que je connais (le comte de Paris) prenait le pouvoir à la place de l'amiral Darlan. L'amiral a refusé de
recevoir l'envoyé du général de Gaulle, marquant sa volonté de garder pour lui le pouvoir. Certaines personnalités ont parlé devant moi de cette démarche infructueuse et ont dit : "Il faut que
Darlan disparaisse." J'ai dit alors: "Eh bien, moi, je me charge de le faire disparaître" […] On m'a dit que, après l'affaire, je serais pris, condamné à mort et gracié. Cependant, on
m'a jugé trop vite, il aurait fallu deux jours pour permettre à mes amis d'intervenir. Je sais que Maître Sansonnetti, mon avocat, s'y emploie maintenant. D'ailleurs, le comte de Paris que je
connais, est depuis plusieurs jours ici, il est à vingt minutes d'Alger. Je connais aussi Henri d'Astier de La Vigerie, ils sont plusieurs frères, l'un est chez de Gaulle, un autre était avec moi
aux Chantiers." (Chamine, La querelle des généraux, Albin Michel, 1952).
Il y a plusieurs choses à dire sur ce récit. Tout d'abord, Bonnier n'avait sans doute pas comprit que Darlan avait négocié avec les Américains leur débarquement en Afrique du Nord, et cela sur
l'ordre de Pétain (voir l'article sur le double jeu de Pétain à Vichy). Il pense que Darlan est acquit à la cause allemande alors qu'il faisait à ce moment double jeu. Par ailleurs, le jeune
homme explique que le général François d'Astier, le frère d'Henri, était venu en Algérie de la part de De Gaulle afin d'obtenir un entretien avec Darlan, pour donner au comte de
Paris la direction de l'Afrique du Nord. Fidèle au maréchal Pétain, l'amiral va refuser. Quelques jours plus tard, il se fera assassiner. Est-ce une simple coïncidence ? De
plus, les aveux de Fernand Bonnier révèlent alors que les proches de De Gaulle jugeaient nécessaires de tuer le principal représentant de Pétain en Afrique du Nord. On a donc tout le cheminement
qui ont conduit les proches de Charles de Gaule et du comte de Paris à vouloir assassiner l'amiral Darlan.
Position de De Gaulle sur l'assassinat, une multitude de
contradictions
Les aveux de Fernand Bonnier démontrent que les proches de De Gaulle souhaitaient l'assassinat de l'amiral. De plus, une action du général tend à confirmer que lui-aussi
souhaitait sa mort. En effet, en 1945, le gouvernement provisoire va, sous sa direction, redonner la dignité nationale au meurtrier défunt, estimant que celui-ci avait agit pour le bien de la
patrie. Par ailleurs, il faut savoir que dans ses mémoires, De Gaulle évoquera très peu l'assassinat de Darlan alors qu'il s'agissait d'un évènement important, et son opinion sur le sujet ne fut
jamais demandée. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que De Gaule a participé à la préparation de l'attentat. D'ailleurs, les preuves sur le sujet sont
contradictoires. En effet, peu de temps après l'attentat, le général Giraud, successeur de Darlan, fait arrêter le préfet de police Muscatelli ainsi que le commissaire Achiary.
Celui-ci pense qu'une partie de la police est impliquée, et les aveux d'Achiary lui donnèrent raison puisque celui-ci dénonça les véritables instigateurs : "Sans conteste, l'instigateur
est Henri d'Astier de La Vigerie et l'agent d'exécution l'abbé Cordier. D'ailleurs ils habitent ensemble, 2, rue La Fayette à Alger. […] Ce qui est certain également, c'est que le
personnage au profit duquel ces gens-là conspiraient est le comte de Paris, prétendant au trône de France" (Albert Voituriez, L'affaire Darlan,
L'instruction judiciaire, Lattès, 1980). Mais quand le juge lui demande l'implication du général dans cette affaire, celui-ci répond "Les conversations que j'ai eues tant avec Henri
d'Astier qu'avec l'abbé Cordier me permettent de vous dire avec certitude que l'assassinat a été organisé au profit exclusif du comte de Paris et qu'il n'y a jamais été fait allusion à un accord
secret avec de Gaulle." (Albert Voituriez, L'affaire Darlan, L'instruction judiciaire, Lattès, 1980). Par la suite, le banquier Alfred Pose,
autre instigateur de l'assassinat, est aussi arrêté. Mais Giraud conclura "Les services spéciaux américains ont examiné votre dossier avec le général Bergeret. Ils sont maintenant convaincus
que la collusion entre le comte de Paris et de Gaulle est le fait du hasard, qu'en réalité le but des conjurés était bien, à l'origine, la restauration de la monarchie, et que l'ensemble a été
organisé à Alger." (Albert Voituriez, L'affaire Darlan, L'instruction judiciaire, Lattès, 1980). Si Giraud croyait que De Gaulle y
était étranger dans l'Affaire Darlan, on peut se dire que le général n'y est bel et bien pour rien. Mais c'est oublier que Giraud lui-même protégeait certains accusés tels que Alfred Pose
qui finançait en parti son gouvernement. Par ailleurs, un témoignage va vouloir démontrer le contraire. Mario Faivre, cité par Fernand Bonnier comme étant un de ses complices dans
l'attentat, va publier un livre intitulé Nous
avons tué Darlan, en 1975 (Editions de La Table Ronde). Dans ce livre, Faivre va expliquer que De Gaulle était aussi lié à l'assassinat, en tentant de démontrer que c'est finalement
lui qui a profité de la mort de l'amiral. Jean-Bernard d'Astier de la Vigerie, qui est de la même famille que les monarchistes et les gaullistes du même nom, va participer à la rédaction de
l'ouvrage, malgré l'hostilité de sa famille. Tous les deux vont livrer des faits peu connus. Cependant, le général gaulliste Béthouard ne croit pas à sa version des faits. Faivre va alors lui
envoyer une lettre daté dans laquelle il ne condamne pas l'acte envers Darlan auquel il a participé, mais lui explique que la manière de De Gaule de régler des problèmes était identique
durant la période 1940-45 qu'en 1958-1969, même si les deux périodes n'avaient rien à voir: "Vous m'écrivez, mon Général, que vous jugez de Gaulle absolument incapable de patronner un crime
politique. Si l'action de De Gaulle, de 1940 à 1945, malgré certains de ses aspects qui sont assez répugnants, a, sans doute, évité à la France un régime communiste à la Libération, je pense que
son règne, de 1958 à 1969, n'est qu'une succession de crimes, certains inutiles, d'autres aux conséquences catastrophiques. Avoir, durant les années qui ont précédé son retour au pouvoir, fait
voter à chaque occasion ses partisans avec les communistes pour enlever toute chance au régime démocratique et à la République de réussir dans ses entreprises, je pense que c'est un crime. Avoir
empêché l'Europe de se constituer à l'époque où c'était possible, je pense que c'est un crime. Avoir promis l'Algérie française, pour reprendre le pouvoir, alors qu'il était déjà décidé à faire
le contraire, je pense que c'est un crime. Avoir détruit l'armée, je pense que c'est un crime. La fusillade de la rue d'Isly, où plus de cent personnes, hommes, femmes, enfants, ont été
assassinés alors qu'ils chantaient la Marseillaise, je pense que c'est un crime. Le sac de Bad-el-Oued, meurtres, viols, pillages, je pense que c'est un crime. Les enfants tués sur les balcons
par les gendarmes mobiles, parce qu'ils s'y trouvaient malgré le couvre-feu, je pense que c'est un crime. Les gamins abattus sans sommation parce qu'ils inscrivaient O.A.S. sur un mur, je pense
que c'est un crime. Les camps de torture, qui n'avaient rien à envier à la Gestapo, les assassinats commis par les barbouzes, je pense que c'est un crime. Avoir livré l'Algérie au F.L.N. et à la
misère, je pense que c'est un crime. Avoir abandonné le pétrole du Sahara livré à de douteux accords bancaires qui se sont révélés être des chiffons de papier, je pense que c'est un crime. Avoir
empêché les harkis de gagner la Métropole, vouant ainsi à l'assassinat plusieurs dizaines de milliers d'entre eux, je pense que c'est un crime. Avoir assassiné par peloton d'exécution interposé
mon ami Roger Degueldre, alors que la guerre d'Algérie était terminée et que ne pouvait plus être invoquée l'exemplarité, je pense que c'est un crime. Avoir détruit ce qui restait de sens moral,
peut-être enlevé ses dernières chances à notre civilisation, je pense que c'est un crime" (Lettre de Mario Faivre au général Béthouard, 18 décembre 1975). N'oublions pas non plus que le général avait aussi mit en
place l'Epuration qui avait suivit la libération, c'est-à-dire l'élimination de ses opposants, à partir de 1944, même si l'on sait que cet évènement lui avait échappé et était devenu
incontrôlable, ce qui engendra une mini-guerre civile en France avec la mort de 11 000 personnes, dont de nombreux innocents. Cependant, si De Gaulle est capable de commettre des
crimes, la lettre de Faivre ne prouve rien en ce qui concerne l'Affaire Darlan. Quant à son livre, il évoque des faits qui vont en contradiction avec divers témoignages et qui fera l'objet de
beaucoup de critiques. Cependant, une émission télévisée consacrée à l'assassinat de Darlan avait eu lieu en 1979 et était présentée par Alain Decaux. Pour cette occasion, il avait recueilli des
témoignages inédits qui semblent confirmer la thèse de Mario Faivre. Parmi les invités, Jean-Baptiste Biaggi évoque des confidences de François d'Astier au sujet du meurtre de l'amiral,
comme on peut le lire dans le livre publié par Alain Decaux à la suite de son émission. Il mentionne : "De 1956 à 1958, j'ai été très lié avec François d'Astier de La Vigerie. Les deux frères
m'ont souvent parlé de l'affaire. Enfin, j'ai bien connu l'abbé Cordier. Nous avons vécu ensemble à Pino, en Corse, au couvent des franciscains. C'était le temps de l'O.A.S. et je n'en dirai pas
davantage." (Alain Decaux raconte, Editions Perrin, 1980). Decaux explique dans ce même ouvrage "Il semble évident que
l'assassinat de Darlan a été évoqué explicitement entre l'envoyé de De Gaule [Henri d'Astier] et le prétendant à la couronne de France."
L'Affaire Darlan est devenue une énigme avec divers témoignages et de sources se contredisant. Il est certain que les proches du comte de Paris et de Charles de Gaulle avaient prémédité
l'assassinat de l'amiral. Il ne fait aucun doute que le comte de Paris devait être le bénéficiaire de sa mort. Mais les instigateurs de l'assassinat qui ont témoigné se contredisent à propos de
la position de De Gaulle. On peut penser que celui-ci souhaitait le meurtre, sinon il n'aurait pas laissé ses proches agir alors qu'aucune pression n'était exercée à son encontre. Mais en
tout cas, l'histoire a démontré que c'est quand même lui qui a profité de la disparition de Darlan, un adversaire politique et militaire en moins pour le
général.